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L’analyse classique du transfert de propriété solo consensu

Le dépassement de la remise dans les contrats translatifs de propriété

1. L’analyse classique du transfert de propriété solo consensu

21 - Le transfert de propriété par le seul effet des consentements. Le principe du transfert de propriété solo consensu est classiquement associé aux articles 711, 938, 1138142 et 1583 du Code civil. La convention produit par elle-même le transfert du droit. « Le droit de propriété se déplace dans une immatérialité

saisissante : ni la chose ni le prix n’ont à être présents »143. La volonté, toute

puissante pour créer des obligations, l’est également pour opérer, sans formalité particulière, le transfert des droits réels ; « le contrat, outre son effet obligatoire, a un

effet réel »144. Ce type de transfert est alors considéré comme causal : celui-ci n’exige

pas, en principe, de remise de la chose, mais un contrat valable, c'est-à-dire un accord de volontés, accompagné d’une cause. Cette conception de la translation de propriété, permet une réalisation de la mutation à l’écart des tiers, elle favorise « le

secret des fortunes » 145 et la « fixité du patrimoine »146.

142 L’article 1138 pose deux principes. Tout d’abord, celui selon lequel le simple échange des consentements, en l’absence de toute forme, suffit à transférer la propriété, c’est le principe du transfert solo consensu. Ensuite, celui selon lequel la propriété se transfère dès l’échange des consentements, c’est ici le principe du transfert immédiat de la propriété dès la conclusion du contrat translatif. C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droit réels principaux, op. cit., n°375 ; Cass. Civ. 3e, 6 mars 1996, Bull. civ. III, n°66, D. 1996, IR. p. 104 ; le principe semble conservé par les différents projets de réformes du droit des contrats. Ainsi, L’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, à l’article 1152 al. 1er, dispose que « l’obligation de donner s’exécute en principe par le seul échange des consentements » et l’alinéa 3 de ce même article que « son exécution rend le créancier titulaire du droit transmis et met à ses risques et périls la chose objet de ce droit, encore que la tradition n’en ait pas été faite ». De même, l’article 112 de L’avant-projet de réforme du droit des contrats, affirme que l’obligation de donner « s’exécute en principe par le seul échange des consentements ». Enfin, le « Projet Terré », envisage le même principe à l’article 93 : « Dans les contrats ayant pour objet l’aliénation de la propriété ou d’un autre droit, le transfert s’opère en principe dès la conclusion du contrat. Ce transfert peut être différé par la volonté des parties, une disposition de la loi ou la nature des choses », in, Pour une réforme du droit des contrats, sous la direction de F. TERRÉ, Dalloz, Thèmes et commentaires, Actes, 2009.

143 J. CARBONNIER, Droit civil, T. 2, Les biens, les obligations, PUF, 2004, n°770.

144 H., L. et J. MAZEAUD, Leçons de droit civil, T. 2, Montchrestien, 1956, n°1612.

145 G. BLANLUET, Le moment du transfert de la propriété, in 1804-2004, Le Code civil, un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p.409 et s., n°6.

22 - L’inutilité du recours à la tradition réelle. La tradition de la chose, n’est donc plus exigée pour transférer la propriété147, et cela semble être le fruit de la différence nettement marquée aujourd’hui entre la possession et la propriété.

Ainsi, pour un auteur, la tradition était maintenue comme mode de transfert de la propriété en raison du manque d’études sur la notion de possession avant celles

menées par IHERING. « Au plan du transfert de propriété, des conséquences

juridiques ont de tout temps été attachées à la possession et, dans la mesure où elle a toujours été plus qu’une situation de fait, on conçoit que la tentation ait été grande de la confondre avec la propriété, ce qui a également contribué à maintenir le rôle de la

tradition »148. La tradition n’est donc plus nécessaire pour transférer la propriété en

raison de la nette distinction entre la chose et le droit portant sur cette chose. Tant que le droit conditionnait la reconnaissance de la propriété à la possession des choses, seul un acte matériel, transférant la possession de celles-ci, la tradition notamment, était susceptible de transférer la propriété149. Dès qu’il a pu être admis que la propriété pouvait exister alors même que le titulaire de ce droit n’était pas en possession de la chose, la voie vers l’admission d’un transfert abstrait de la propriété était ouverte.

23 - L’efficacité contestée du transfert par l’effet des consentements.

L’admission d’un transfert dématérialisé, sans avoir recours à une mise en possession préalable, soulève le problème de l’opposabilité de cette opération, et en quelque sorte de son efficacité même. L’article 1583 du Code civil est le siège de la faiblesse de cette opération, puisqu’il précise qu’ « elle [la vente] est parfaite entre les

parties(…) ». Cette inopposabilité du transfert de propriété aux tiers est à l’origine de

147 Essentiellement en matière mobilière certains pays subordonnent toutefois encore le transfert de propriété à la remise de la chose, tel est le cas notamment de l’Allemagne, l’Autriche, la Grèce, les Pays-Bas, et la Suisse. Dans les pays de Common Law, le Sales of goods Act de 1979 laisse aux parties le soin de déterminer le moment du transfert, mais soumet le transport de la propriété des choses de genre à l’individualisation (Section 17 et 18). Certains pays de droit latin consacrent également le principe du transfert solo consensu, notamment les droits belge, italien, et luxembourgeois. Enfin, le droit commun espagnol admet le même principe, toutefois, le transfert de propriété des meubles s’opère par la remise de la chose. Pour une analyse comparatiste plus détaillée des différents modes de transfert de propriété V. C. WITZ, Le paiement du prix de vente, condition légale du transfert de la propriété en matière mobilière. Etude comparative, in D'ici, d'ailleurs : Harmonisation et dynamique du droit. Mélanges en l'honneur de Denis Tallon, Société de législation comparée, 1999, p. 339.

148 Y. LOUSSOUARN, Cours de droit civil (doctorat), Le transfert de propriété par l'effet des contrats, 1970, p. 12.

149 Ainsi, IHERING, nie l’idée même du concept de transfert de droit en droit romain : « Dans le transfert de propriété, le droit et la chose se confondent […]. Le transfert de propriété n’était pas le transfert du droit de propriété, mais bien le transfert de la chose même. Cette idée du transfert de droit, du droit comme chose idéale existant par elle-même […]était trop subtile, trop abstraite pour le droit ancien », R. Von IHERING, L'esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, op. cit., p. 124.

nombreuses critiques adressées au mécanisme du transfert solo consensu150 en raison du fait que le droit de propriété est inconciliable avec un transfert issu de la seule volonté des parties. Ainsi, pour certains, le « point capital de la propriété »151 étant l’opposabilité de celle-ci aux tiers, l’acheteur qui ne serait pas encore en possession de la chose ne serait titulaire que d’un droit relatif, un droit de créance, « et non pas un

droit réel, opposable adversus omnes »152. Un auteur, quant à lui, raisonnant par

syllogisme, fait ressortir la nécessité d’une mise en possession réelle pour réaliser le transfert d’une chose : « la propriété est un lien d’opposabilité substantielle, et comme l’opposabilité substantielle résulte de la mise en possession (juridique) de l’acquéreur, la propriété n’est transférée et acquise à l’acquéreur, que par la mise en possession de ce dernier »153.

Cette analyse de la propriété comme un lien d’opposabilité substantielle devant affecter, par essence, les tiers, semble imposer une remise de la chose en plus de l’accord des parties, pour la réalisation du transfert.

24 - L’exigence d’une remise de la chose en matière mobilière ? La question s’est posée de savoir si, notamment en matière mobilière, la remise de la chose n’était pas l’événement seul capable de transférer la propriété. À première lecture, l’article 1141 du Code civil apparaît comme une exception au principe posé par l’article 1138, le premier neutralisant les effets du second154. Il résulte, en effet, de cette disposition, qu’en cas de conflit entre deux acquéreurs d’un même meuble corporel, l’un ayant été mis en possession et l’autre ne pouvant invoquer qu’un transfert de propriété issu du contrat, l’acquéreur en possession de la chose est

150 V. not. É.-L.-J. BONNIER, De la transmission de la propriété par l’effet des obligations, rev. lég. et jur., avril-septembre 1837, t.6, p. 432 et s ; M. HUREAUX, Étude historique et critique sur la transmission de la propriété par actes entre vifs. Transcription sous le Code civil et sous le Code de procédure, Revue de droit français et étranger 1846, T. III, p. 765 et s.; T. HUC,

Commentaire théorique et pratique du Code civil, T. VII, Pichon, 1894, n°96 et s., p. 144 et s. ; P. VIOLLET, Histoire du droit civil français, 3e éd., Paris, 1905, réimpr. 1966, n°612, p. 658 ; J. FLOUR, Quelques remarques sur l’évolution du formalisme, in Le droit privé au milieu du XXe siècle. Etudes offertes à G. Ripert, T.1, LGDJ, 1950, p.93, spéc. n°10, p. 102-103 ; Ch. ATIAS,

Le transfert conventionnel de la propriété immobilière, thèse Poitiers, 1974, n°104 et s., p. 161 et s. ; Y. FLOUR, L’effet des contrats à l’égard des tiers en droit international privé, thèse, Paris II, 1977, n°93 et s., p. 128 et s ; J.-P. CHAZAL et S. VICENTE, Le transfert de propriété par l’effet des obligations dans le code civil, RTD civ. 2000, p.477.

151 M. HUREAUX, préc., p. 775

152Ibid.

153 F. DANOS, Propriété, possession et opposabilité, préface L. AYNÈS, Economica, coll. Recherches juridiques, 2007, n°326.

154 L’article 1141 dispose que « si la chose qu’on s’est obligé de donner ou de livrer, à deux personnes successivement, est purement mobilière, celle des deux qui a été mise en possession réelle est préférée et demeure propriétaire, encore que son titre soit postérieur en date, pourvu toutefois que la possession soit de bonne foi ».

préféré, s’il est de bonne foi. De nombreux auteurs considèrent, dès lors, que cet article est la traduction du principe selon lequel la propriété des meubles ne peut s’acquérir que par la mise en possession du bénéficiaire155 et donc par la tradition de la chose vendue. Contestable, cette analyse peut, toutefois, s’appuyer sur l’article 536 du troisième projet de Code civil de CAMBACÉRÈS qui affirme que « lorsqu’il s’agit de

marchandises ou d’effets mobiliers, la tradition s’opère par la délivrance réelle »156, et

qui aurait inspiré les codificateurs dans la rédaction de l’article 1141. Une idée similaire se retrouve dans l’étude des discussions sur le Code de commerce, où les rédacteurs affirment que « les achats et les ventes, en fait de commerce, ont pour

objet des valeurs mobilières dont la propriété s’acquiert par la tradition »157 et, plus

loin, précisent qu’ils partageaient, sur ce point, l’opinion des rédacteurs du Code civil. De même, l’esprit de ces textes est emprunté à la doctrine de POTHIER selon qui le contrat de vente ne transfère pas, de lui-même, la propriété de la chose vendue, car il ne crée qu’un engagement personnel, seule la tradition pouvant opérer ce transfert158.

25 - Critique du raisonnement. Le principal reproche adressé à cette thèse est de ne pas tenir compte de la dernière partie de l’article : « […] pourvu toutefois

que la possession soit de bonne foi ». La préférence n’est accordée à l’acquéreur mis

en possession qu’autant que celui-ci est de bonne foi159, « or dans un système qui, reproduisant les idées romaines, subordonnerait l’acquisition à la tradition, peu

155 V. notamment M. DELVINCOURT, Cours de Code Civil, T. II, Delestre-Boulage, 1824, Liv. IV, Tit. II, p. 146 ; R.-T. TROPLONG, Le droit civil expliqué suivant l’ordre des articles du Code, De la vente, T. I, Paris, Charles Hingray, 5e éd., 1856, n° 42 ; C.-B.-M. TOULLIER, Le droit civil français, T. IV (n°61) et T. VII (n°205), par DUVERGIER, Paris, éditions Jules Renouard et Cie ; K.-S. ZACHARIAE, Le droit civil français, T. I, traduit de l'allemand sur la 5e édition, annoté et rétabli suivant l'ordre du Code Napoléon par G. Massé et Ch. Vergé, p. 430 ; P.-A. MERLIN,

Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, V° tradition, 1815, 4e éd., t. 14 p. 59 ; H. SOLUS, Les principes du droit civil, 2e éd., 1939, A. Colin, p. 96 ; plus récemment : P. DIDIER,

Les biens négociables, in Mélanges en l'honneur de Yves Guyon, Aspects actuels du droit des affaires, Dalloz, 2003, p. 327 ; F. DANOS, Propriété, possession et opposabilité, op. cit., n°352 et s.

156 P.-A. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, T. I, 1827, réimpr. Otto Zeller Osnabrück, 1968, p. 258.

157 Discours préliminaire in G. LOCRÉ, La législation civile commerciale et criminelle, ou commentaire et compléments des Codes français, t. XVII, Treutel et Würtz, 1831, p. 43 et 44.

158 R.-J. POTHIER, in Œuvres, T.III, Traité du contrat de vente, traité des retraits, traité du contrat de constitution de rente, par M. BUGNET, Paris, Cosse, Marchal et Plon, 2e éd., réimpr. 1861, n°135, p. 131. L’auteur reprend ici un texte du Cod. de Pactis « traditionibus, non nudis, conventionibus dominia transferuntur »,L. 20, Cod. de Pact.

159 La bonne foi, ici fait référence à l’article 550 du Code civil, qui précise que : « le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices ». Dans ce cas, pour être considéré de bonne foi, l’acquéreur doit avoir cru qu’il avait traité avec le véritable propriétaire.

importerait la bonne ou la mauvaise foi de celui qui a reçu la tradition » 160. Il ne s’agirait donc que d’une application de l’article 2276 du Code civil : le second acquéreur voit son titre consolidé, car il a été mis en possession, et qu’« en fait de

meubles, la possession vaut titre », si celui-ci n’a pas eu connaissance de l’absence de

titre de son auteur. Ce dernier a donc transféré, non pas la propriété de la chose – qu’il avait perdue en vertu du contrat translatif de propriété passé avec le premier acquéreur – mais sa possession, qui devenue de bonne foi, permet la prescription instantanée. La propriété de l’acquéreur ne trouve dès lors pas sa source dans le contrat, mais dans la possession issue de la remise de la chose161. Le second acquéreur « obtient la propriété par l’effet de la loi en vertu de sa possession, quoique

son auteur ne fût plus propriétaire, et non parce que son auteur l’était encore »162. Il

est possible d’ajouter que si les codificateurs avaient souhaité consacrer la remise matérielle de la possession en tant que mode de transfert de la propriété des meubles, ils auraient certainement admis les mécanismes des traditions feintes et symboliques, plutôt que de les exclure expressément, en exigeant une tradition réelle de la chose. Cette conception aurait marqué un net retour en arrière à un système rigide et formaliste que semble combattre le Code163.

L’exigence d’une remise de la chose afin d’opérer le transfert de la propriété des choses mobilières n’apparaît pas conforme à l’esprit des codificateurs ni à l’évolution de la matière. La volonté d’assimilation, même parfois fondée en apparence sur les textes, entre la remise de la chose et le transfert de propriété, révèle une difficulté à conceptualiser l’idée de transfert de propriété. L’embarras suscité par cette notion semble avoir pour origine la distinction entre la propriété en tant que droit, du bien objet de cette propriété164.

160 A.-M. DEMANTE, Cours analytique de Code civil, T. V, Paris, E. Plon et Cie, 2e éd. Par E. COLMET de SANTERRE, n°53.

161 En ce sens F. MOURLON, Répétition écrites sur le deuxième examen de Code Napoléon, T. II, Paris, Marescq, 8e éd., 1869, n°1133 ; C. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, T. XXIV, Traité des contrats, T. I, Paris, Durand et Pedone Lauriel, 1877, n°469 ; L. JOSSERAND, Cours de droit civil positif français, T. II, Sirey, 3e éd., 1939, n°1084. F. TERRÉ, Ph. SIMLER, Les biens, Dalloz, coll. Précis Dalloz, 7e éd., 2006, n°409 ; C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droit réels principaux, op. cit., n°394 et s. ; G. CORNU, Droit civil, Les biens, Domat - Montchrestien, 13e éd., 2007, n°36 et 124.

162 M. PLANIOL, G. RIPERT et M. PICARD, Traité pratique de droit civil français, T. III, op. cit., n°621 ; l’opinion semble d’ailleurs confirmé par Cass. civ. 24 juin 1845, D. 45. 1. p. 309 ; S. 46. 1. p. 551.

163 C. LARROUMET, Droit civil, Les biens, Droit réels principaux, op. cit., n°398.

164 « Propriété et bien ne sont pas synonymes, car la propriété est un droit et le bien la chose qui en est l’objet. Pourtant, la force de la propriété est telle que bien et propriété tendent à se confondre », P. BERLIOZ, La notion de bien, préface de L. AYNÈS, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, t. 489, 2007, n°60, p. 25-26.

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