• Aucun résultat trouvé

Le pouvoir sur le bien en cause dans la délivrance

B. La rupture des liens entre délivrance et possession

1. Le pouvoir sur le bien en cause dans la délivrance

104 - La présentation traditionnelle : une délivrance translative de la possession. La délivrance en droit romain emportait un transfert de la possession de la chose vendue542. Cette conception se comprend tout à fait en considérant que les juristes romains n’opéraient pas de véritable distinction entre le transfert du droit et de la chose. La possession étant nécessaire pour acquérir le bien543, un transfert de la propriété ne se réalisait qu’autant que la possession avait été remise. En droit romain, la possession est la matérialité de la propriété, « le pouvoir de fait sur la chose sur

laquelle la propriété est le pouvoir de droit »544. Inspirés par ce modèle, DOMAT, puis

542 V. Supra n° 13.

543 A.-E. GIFFARD, Droit romain et ancien droit français, Les obligations, Dalloz, 3e éd., par R. VILLERS, 1970, p. 288.

les codificateurs définirent ainsi la délivrance comme le transfert de la possession. Dès lors, de nombreux auteurs appliquent l’article 1604 du Code civil à la lettre et affirment que l’obligation de délivrance a effectivement pour objet la possession du bien545. Ainsi, afin de pallier les errances terminologiques suscitées par la présence du terme « puissance »546 à l’article 1604, une partie de la doctrine, s’inspirant d’un arrêt rendu par la Chambre des requêtes le 12 avril 1831547, proposa de redéfinir l’obligation de délivrance comme « le transport de la chose vendue en la jouissance et

possession de l’acheteur »548

.

Cette présentation est toutefois susceptible de certaines critiques. Il n’est, en effet, pas évident que la possession puisse être transférée, faute de pouvoir matériellement opérer une mutation de l’animus549, mais seulement abandonnée550. De plus, ce principe ne semble pas s’accorder avec celui du transfert de propriété solo

consensu. Comme l’ont démontré certains auteurs, « la délivrance n’est pas un

transfert de possession, une mise en possession de l’acheteur »551, ce dernier

obtiendrait la possession dès le transfert de la propriété. Dans cette conception, le transfert de la possession, ou plus précisément de l’animus, suit le transfert du droit. Dès l’accord des volontés l’acheteur devient non seulement propriétaire de la chose,

545 L. GUILLOUARD, Traités de la vente et de l'échange, T. I, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel éditeurs 2e éd., 1890, n°205 ; G. BAUDRY-LACANTINERIE et L. SAIGNAT, Traité théorique et pratique de droit civil, T. XVII, De la vente et de l’échange, op. cit., n°286 ; M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, T. II, Paris, LGDJ, 4e éd., 1907, n°1148 ; Ch. LYON-CAEN et L. RENAULT, Traité de droit commercial, T. III, op. cit., n°107 ; J. et E. ESCARRA et J. RAULT,

Traité théorique et pratique de droit commercial, Les contrats commerciaux, Sirey, 1953, n°229 ; Rappr. F. GORÉ, Le moment du transfert de propriété dans les ventes à livrer, RTD civ. 1947, p.162.

546 La signification de "puissance" chez DOMAT, semble renvoyer au droit en cause, c'est-à-dire la propriété. Certains auteurs ont toutefois tenté de justifier la présence de ce terme. Ainsi, DUVERGIER, estime que « le mot puissance ajouté au mot possession, exprime énergiquement la nature de la possession que doit procurer le vendeur à l’acheteur, et toute l’étendue des droits qu’il est obligé de lui transmettre », C.-B.-M. TOULLIER, Le droit civil français, T. XVI, par DUVERGIER, Paris, éd. Jules Renouard et Cie, n°245. De même, pour d’autres auteurs, « en conservant ce mot "puissance" (…) les auteurs du code ont en effet voulu évidemment ajouter quelque chose à l’idée qui découlait du mot "possession" (…). Ils ont voulu indiquer qu’il ne suffisait pas au vendeur de conférer à l’acheteur la détention matérielle de la chose vendue, (…) mais que le vendeur devait de plus transmettre à l’acheteur le moyen de disposer en maître de la chose », G. BAUDRY-LACANTINERIE et L. SAIGNAT, Traité théorique et pratique de droit civil,

T. 17, De la vente et de l’échange, op. cit., n°286.

547 Cass. req. 12 avril 1831, D. 1832, I, p. 54.

548 F. LAURENT, Principes de droit civil français, T. XXIV, Bruxelles, Bruylant – Maresq, 3e éd., 1878, n°159 ; Rappr. L. GUILLOUARD, Traités de la vente et de l'échange, T. I, op. cit., n°205.

549 V. Supra n° 32.

550 Rappr. G. BAUDRY-LACANTINERIE et L. SAIGNAT, Traité théorique et pratique de droit civil,

T. 17, De la vente et de l’échange, op. cit., n°293, « le vendeur doit d’abord abandonner la possession de la chose vendue ».

mais également possesseur. Il ne possède cependant que corpore alieno, ou animo solo, puisqu’il n’a pas encore de mainmise sur le bien.

105 - Une délivrance translative de la seule détention ? D’après la présentation proposée de la délivrance, celle-ci n’emporterait qu’une mutation de la détention du bien. L’acheteur serait déjà possesseur de la chose avant l’exécution de l’obligation de délivrance, et obtiendrait ainsi le corpus nécessaire à la constitution de la possession pleine et entière. Ainsi, suivant la majorité de la doctrine contemporaine, l’obligation de délivrance du vendeur porterait uniquement sur la détention du bien552. Cette construction doctrinale a le mérite de bien distinguer le transfert de la possession, qui suit le sort du droit, et celui de la détention, qui ne s’opère que par la remise. Toutefois, la thèse ne semble pas tirer toutes les conséquences de la notion de délivrance. Suivant cette conception, la détention ne peut être transférée que par la remise du corpus, c'est-à-dire par la tradition. Le fait de retenir une telle acception de la délivrance, vide de tout son sens l’article 1657 du Code civil qui impose à l’acheteur de retirer la chose : la chose ayant été remise à l’acquéreur, il n’y a pas d’intérêt à le forcer à venir retirer une chose qu’il a déjà entre ses mains. Il semble donc que la théorie proposée néglige les hypothèses où la délivrance ne s’opère pas par la remise de la chose. La conception d’une délivrance translative de la détention ne trouve, en effet, à s’appliquer qu’autant qu’elle s’exécute par la tradition réelle. Or la tradition réelle n’épuise pas le concept de l’obligation de délivrance, elle n’en est qu’un mode particulier d’exécution553. Dès lors qu’il est admis que la délivrance peut s’exécuter par le fait de ne pas empêcher l’acheteur de retirer, il n’est pas évident qu’une mutation de pouvoir sur la chose puisse intervenir. L’acheteur est tenu de retirer, c’est donc de son fait que le pouvoir est transmis.

La question des pouvoirs sur la chose n’apparaît pas particulièrement limpide en matière d’obligation de délivrance. Les hésitations quant au pouvoir exercé sur la chose par le vendeur qui n’a pas encore délivré le bien vendu en attestent également avec force.

552 En ce sens, L. JOSSERAND, Cours de droit civil positif français, T. II, op. cit., n°1084 ; H., L. et J. MAZEAUD, op. et loc. cit. ; P.-H.ANTONMATTEI et J. RAYNARD, Droit civil - Contrats spéciaux, n°174 ; J.-J. BARBIERI, Contrats civils, contrats commerciaux, op. cit., p. 60 ; A. BÉNABENT, Droit civil – Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., n°182 ; J.-L. BERGEL, Les ventes d'immeubles existants, Litec, 1983, n°471 ; E. LAMAZEROLLES, Les apports de la convention de Vienne au droit interne de la vente, op. cit., n°199 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, Réflexions sur le transfert différé de la propriété immobilière, in Mélanges offerts à Pierre Raynaud, Dalloz, 1985, p. 733, n°25.

Outline

Documents relatifs