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a. Le transfert de propriété à titre temporaire

56 - Premières vues sur la fiducie. Abandonnée en droit romain quand les techniques juridiques permirent d’obtenir des résultats similaires, sans recourir à un

transfert de propriété et donc accessibles aux pérégrins271, la fiducie réapparaît en droit positif. La loi n°2007-211 du 19 février 2007, l’a, en effet, introduite dans le Code civil en tant que contrat nommé. Elle est définie comme « l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans

un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires »272. L’objet de la présente

étude n’est pas d’expliquer l’ensemble de la réforme273 mais de se consacrer aux effets réels issus du contrat.

57 - La spécificité de la propriété fiduciaire. La propriété issue du contrat de fiducie est d’une nature particulière. Nécessairement temporaire et limitée quant à

son étendue, elle contraste avec la conception de la plena in re potestas

traditionnellement admise en droit français. La propriété fiduciaire est « modelée en

fonction de l’opération projetée

»

274par les parties lors de la conclusion du contrat. La

propriété est instrumentalisée afin de lui affecter une mission275. Le droit réel créé n’est pas la fin, mais l’outil permettant d’y parvenir. Les termes "propriété fiduciaire" sont donc employés afin de signifier que si le constituant perd la propriété de la chose, le fiduciaire n’en récupère

«

que des utilités plus limitées

»

276

.

Les pouvoirs sur la chose du propriétaire fiduciaire ne sont pas, contrairement à ceux du propriétaire "classique", absolus, ils sont conditionnés et affectés au but contractuel. La propriété

271 J. GAUDEMET, Droit privé romain, Domat, 2e éd., 2000, p. 260.

272 Art. 2011 C. civ. Une définition doctrinale paraît toutefois plus éclairante en ce qu’elle rend mieux compte de la double mutation du droit inhérente à ce contrat, ainsi, C. WITZ, la définit comme « l’acte juridique par lequel une personne, le fiduciaire, rendue titulaire d’un droit patrimonial, voit l’exercice de son droit limité par une série d’obligations, parmi lesquelles figure généralement celle de transférer le droit au bout d’une certaine période soit au fiduciant, soit à un tiers bénéficiaire », C. WITZ, La fiducie en droit privé français, préface D. SCHMIDT, Economica, 1981, n°16, p. 15.

273 Pour une présentation de l’institution V., C. WITZ, La fiducie en droit privé français, op. cit. ; F.-X. LUCAS, Les transferts temporaires de valeurs mobilières. Pour une fiducie de valeurs mobilières, préface. L. LORVELLEC, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, T. 283, 1997 ; F. BARRIÈRE, La réception du trust au travers de la fiducie, préface. M. GRIMALDI, 2004, Litec. Pour une présentation globale de la loi du 19 février 2007 ; V. not., F. BARRIÈRE, La fiducie. Commentaire de la loi no 2007-211 du 19 février 2007, Bull. Joly 2007. 440 (1re partie) et Bull. Joly 2007. 556 (2e partie) et Rep. civ. Dalloz, Fiducie, Janvier 2008 ainsi que les nombreuses références citées ; R. LIBCHABER, Les aspects civils de la fiducie dans la loi du 19 février2007, Defrénois 2007, art. 38631 et 38639 ; J. ROCHFELD, Fiducie, RTD civ. 2007, p. 412 ; V. FORRAY, Un nouveau contrat spécial: la fiducie - Exégèse de l'article 2011 du Code civil, LPA 13 novembre 2007, n°227, 8 ; P. PUIG, La fiducie et les contrats nommés, Dr.et patr. 2008, n°171, p. 68.

274 C. ALBIGES, La constitution de la fiducie, Dr. et patr. 2008, n°171, p. 46.

275 C., KUHN, Une fiducie française, Dr. et patr. 2007, n°158, p. 32, « la fiducie instrumentalise la propriété en l’affectant à un but », p. 38.

est ainsi considérée comme conventionnelle et «relative»277

.

L’introduction d’une propriété utilitariste à durée déterminée suscite toutefois des interrogations quant à sa nature. Il serait possible d’y voir une consécration d’un type de « propriété

économique

»

278, supposant « de la part du propriétaire économique (le fiduciaire),

l’exercice d’un droit effectif de jouissance en vue de la production et de l’appropriation de richesses, que ces richesses soient constituées de produits ou de fruits naturels,

industriels ou civils »279. Mais la question semble ici plus large : est-ce véritablement

une propriété ou un nouveau droit réel sur la chose d’autrui, affublé à tort des apparats de la propriété ? Le fiduciaire étant tenu de n’utiliser la chose qu’en fonction de ce que lui permet le contrat, il n’est pas libre dans l’exécution de sa mission ; or

«

l’essentiel est là : le fiduciaire n’est pas libre à l’égard de la chose, alors que c’est

précisément par la liberté que la propriété se définit

»

280

.

58 - Analyse des transferts au sein de la fiducie. Il est possible de considérer que la fiducie n’emporte pas un transfert de propriété, mais la création d’un autre droit réel, innommé, répondant à la renonciation par le fiduciaire à son droit sur la chose. Il n’y aurait pas à proprement parler de transport du droit, mais une transmutation de celui-ci, puisque le droit abandonné par le constituant ne renaît pas à l’identique dans le patrimoine d’affectation créé281

.

Cette analyse semble implicitement consacrée par l’article 2023 du Code civil qui précise que « dans ses rapports avec les tiers, le fiduciaire est réputé disposer des pouvoirs les plus étendus

277 V. FORRAY, Un nouveau contrat spécial: la fiducie - Exégèse de l'article 2011 du Code civil, préc., qui propose, afin de cerner au mieux la notion de propriété fiduciaire de « revenir à une conception plus utilitariste – en un sens plus romaniste – de la propriété ».

278 G. BLANLUET, Essai sur la notion de propriété économique en droit privé français - Recherches au confluent du droit fiscal et du droit civil, préface de P. CATALA et M. COZIAN, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, T. 313, 1999. L’auteur définit la propriété économique comme « la relation d’une personne juridique, relativement à un bien dont elle n’est pas juridiquement propriétaire, laquelle relation, d’une part résulte d’un acte juridique, le plus souvent un contrat conclu entre cette personne et la propriétaire juridique et, d’autre part, confère à cette même personne un droit dont l’exercice lui donne vocation à bénéficier, pour elle-même et à titre exclusif, de la totalité de la substance économique du bien », n°305 ; Rappr. S. GINOSSAR,

Droit réel, propriété et créance - Elaboration d'un système rationnel des droits patrimoniaux, Paris, LGDJ, 1960, n°11, p. 31, qui adopte également une vision utilitaire de la propriété, « il est peut-être surprenant qu’ont ait pu à tel point se méprendre sur la nature même de la propriété et la définir comme un pouvoir ou une maîtrise sur une chose : (…) il faut bien reconnaître que ni le pouvoir total, permanent et exclusif, ni aucun des éléments qui le composent, ni même la faculté de disposition, ne peuvent être considérés comme attributs essentiels de la propriété ».

279 G. BLANLUET, op. cit., n°315.

280 R. LIBCHABER, préc.,n°22.

281 Cette analyse peut également être retenue en estimant que la propriété fiduciaire est une propriété économique, celle-ci ne pouvant naître que par un acte constitutif et jamais translatif, G. BLANLUET, op. cit., n°317.

sur le patrimoine fiduciaire, à moins qu'il ne soit démontré que les tiers avaient

connaissance de la limitation de ses pouvoirs ». L’article pose une présomption de

pouvoir sur la chose qui serait inutile si le fiduciaire était véritablement propriétaire. Pleinement investi de la propriété, ce dernier aurait toute capacité à l’opposer aux tiers, et « c’est parce qu’il ne peut s’en prévaloir que la présomption de pouvoir est

expressément posée »282

.

S’il est tout à fait envisageable que le constituant, en renonçant à sa propriété, ne transmette que des pouvoirs limités sur la chose, les modalités du "retransfert" peuvent susciter certaines interrogations. À la fin de sa mission, le fiduciaire doit, en effet, retransférer la pleine propriété des biens confiés, au bénéficiaire283. Or se pose ici un problème technique : comment le fiduciaire, ne bénéficiant que d’utilités réduites, peut-il transférer une pleine propriété qu’il n’a jamais eue ? Le fiduciaire semble dès lors devoir céder plus de droit qu’il n’en a284.Certains auteurs ont tenté de justifier ce phénomène en invoquant que les prérogatives non transférées

«

doivent être considérées comme gardées par le constituant (ou le cas échéant transférées à

un tiers)

»

285

.

Le constituant conserverait donc ses pouvoirs et demeurerait ainsi le

seul véritable propriétaire des biens mis en fiducie. Si l’hypothèse peut se justifier quand le constituant est le bénéficiaire, elle ne rend qu’imparfaitement compte de la situation dans laquelle le bénéficiaire est un tiers au contrat de fiducie. Dans cette dernière situation le tiers a vocation à devenir pleinement propriétaire à l’issue de la mission, mais il ne le devient que s’il accepte le bénéfice du contrat arrivé à son terme. De plus, le transfert de la propriété ne semble pas, dans ce cas, pouvoir s’effectuer de plein droit, la mission ayant pour objet une transmission,

«

celle-ci dépend nécessairement de l’initiative du fiduciaire, et ne peut se produire sans une

manifestation de sa volonté

»

286

.

Cela exclut également l’idée suivant laquelle le

constituant peut transférer au tiers bénéficiaire les pouvoirs sur la chose concomitamment à la conclusion du contrat. Toutefois, il est possible de concevoir que le constituant renonceà ses prérogatives lors de la conclusion de la fiducie, mais que celles-ci ne soient effectivement transférées au bénéficiaire que lors de son

282 R. LIBCHABER, préc., n°25 ; Contra, C. KUHN, La mission du fiduciaire, Dr. et patr. 2008, n°171, p. 52 et spéc. p. 54, qui considère que « la propriété fiduciaire n’est pas une imitation mais une véritable propriété ».

283 D’après l’article 2016 C. civ. Le bénéficiaire peut être le constituant lui même ou un tiers au contrat.

284 En ce sens, P. PUIG, La fiducie et les contrats nommés, préc., p. 71.

285 P. PUIG, préc., p. 77 ; R. LIBCHABER, semble également rejoindre cette conception, de façon plus indirecte, en affirmant que « la loi semble bâtie entièrement sur l’idée d’une propriété maintenue entre les mains du constituant », préc., n°19.

acceptation du "retransfert", manifestant l’acquisition de la propriété pleine et entière des biens. Ainsi, le constituant renonce à ses prérogatives dès la conclusion du contrat, mais le bénéficiaire ne peut exercer l’acte d’acquisition qu’à la fin de la mission du fiduciaire.

La conception présentée atteste de toute la potentialité de la res qui garderait en germe, pendant la durée du contrat de fiducie, l’ensemble des pouvoirs qui lui sont attachés. Seule l’acquisition par le bénéficiaire permettrait, dès lors, de les révéler. La volonté individuelle d’acquérir le bien conditionne ainsi la force de la chose. Le fiduciaire ne transfèrerait pas plus de droits qu’il n’en a, mais seuls ceux qui lui ont été confiés. L’opération fiduciaire apparaît comme un exemple marquant de la prégnance du mécanisme d’abdication du droit et d’acquisition corrélative dans le transfert de propriété, le passage par la "propriété fiduciaire" sur le bien n’étant qu’un état

« intermédiaire entre deux propriétés absolues

»

287. En conclusion, ici encore il doit

être constaté que la remise n’a guère d’utilité dans la transmission des droits. Opération essentiellement intellectuelle ce transfert ne semble guère laisser de place à la tradition réelle. En ce sens, les transferts temporaires rejoignent les transferts à titre accessoire.

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