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L’analyse classique de la cause de la restitution

b. La réalisation d’un paiement

B. L’unité dans la cause de l’obligation de restitution

1. L’analyse classique de la cause de la restitution

89 - La remise de la chose, cause de la restitution dans la catégorie des contrats réels. La cause de l’obligation de restitution est classiquement étudiée dans le cadre des développements consacrés aux contrats réels455. La doctrine

455 V. par ex. E. GAUDEMET, Théorie générale des obligations, op. cit., p. 113 ; Ph. MALAURIE, L. AYNÈS et P.-Y. GAUTIER, Les contrats spéciaux, op. cit., n°861 ; J. GHESTIN, Traité de droit civil. La Formation du contrat, op. cit., n°451 ; F. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, op. cit., n°345 ; Ph. MALINVAUD, Droit des obligations, Litec, 10e éd., 2007, n°308 ; J. ROCHFELD, Rep. Civ. V. Cause, n°24 ; Adde, G. ROUHETTE, Contribution à l'étude critique de la notion de contrat, thèse, Paris, 1965, n° 147, p. 467, il « est de simple bon sens qu’on ne saurait restituer une chose qui n’a pas été remise » ; Avant-projet de réforme du droit

s’accorde alors pour affirmer que c’est la remise de chose qui constitue la cause de l’obligation de l’accipiens. Il est donc classiquement admis que « la notion de contrat

réel a pour corollaire que la cause de l’obligation de restituer est la chose prêtée »456.

Dans ces contrats, la cause de l’obligation de l’emprunteur est donc confondue avec l’élément permettant leur création457. De fait, la non remise de la chose prive l’obligation de restitution de cause mais empêche également la formation du contrat. Les conséquences du principe selon lequel la cause de l’obligation de restitution dans les contrats réels est la remise de la chose sont nombreuses, notamment en matière de prêt, et plus spécifiquement dans les opérations de crédit. Dans ces hypothèses, le crédit est conclu afin de financer une autre opération458. Or, si cette seconde opération est annulée ou résolue, cet événement est sans conséquence sur le contrat de crédit conclu précédemment, puisque la seconde opération n’est pas considérée comme étant la cause de la première459. Le législateur a « néanmoins brisé ce cloisonnement

pour certains prêts »460. L’article 9 aliéna 2 de la loi du 10 janvier 1978461, en matière

de crédit mobilier, et l’article 9 de la loi du 13 juillet 1979462, en matière de crédit immobilier, prévoient, en effet, que le contrat de prêt « est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement

des obligations et de la prescription, Art. 1125-1 : « L’engagement de restituer une chose ou une somme d’argent a pour cause la remise de la chose ou des fonds à celui qui s’oblige ».

456 J. SAINTE-ROSE, Le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel,

JCP 2000, II, 10296, p. 753 ; Adde, Cass. civ. 1ère, 16 février 1999, « Attendu que la cause de l'obligation de l'emprunteur réside dans la remise des fonds prêtés », Bull. civ. I, n°55 ; D. 1999, IR., p. 76 ; Cass. com. 9 avril 2002, Inédit, n° de pourvoi 97-13093

457 Cette considération a permis à PLANIOL de corroborer sa critique de la notion de cause, l’auteur affirme en effet que « l’obligation de l’emprunteur, du dépositaire, du gagiste, a pour cause la prestation qu’il a reçue. On ne s’aperçoit pas que ce qu’on appelle "cause de l’obligation" n’est autre que le fait générateur de l’obligation. Si on peut l’appeler "causa obligationis", c’est en prenant le "causa" dans le sens de source productrice d’obligations, qui est un sens tout à fait différent de celui que lui donnent les modernes dans la théorie de la cause. Dire que la prestation reçue est la cause de l’obligation, c’est jouer sur le double sens du mot "causa" », M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil,op. cit., n°1038.

458 V. par ex. R. ROUTIER, Les prêts liés : dans le dédale des solutions, RLDA 2008, n°31.

459 Cass. civ. 1ère, 20 novembre 1974, « la cause de l’acquisition [réside] dans la mise à disposition des fonds nécessaires à l’acquisition qu’il avait effectuée », Bull. civ. I, n°311 ; JCP 1975, II, 18109, note J. CALAIS-AULOY ; Cass. civ. 1ère, 20 décembre 1994, Inédit, n° de pourvoi 92-21317 ; Defrénois 1995, p. 1040, obs. D. MAZEAUD. Pour une application au contrat de dépôt, V. Cass. com. 30 janvier 2001, Bull. civ. IV, n°26, D. 2001, AJ. 1238, obs. X. DELPECH ; Adde, Ph. MALINVAUD, Droit des obligations, op. cit., n°308 ; F. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, op. cit., n°345. Pour une critique de cette situation et militant pour la reconnaissance de l’opération projetée comme cause du prêt, V. B. TEYSSIÉ, Les groupes de contrats, op. cit., n°347 et s ; Rappr. S. AMRANI-MEKKI, Indivisibilité et ensembles contractuels: L'anéantissement en cascade des contrats, Defrénois 2002, p. 355 ; C. AUBERT de VINCELLES, Réflexions sur les ensembles contractuels : un droit en devenir, RDC 2007, p. 983.

460 F. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, op. cit., n°345

461 Art. L. 311-21 al. 1er C. consom.

résolu ou annulé », et que l’offre de prêt est « toujours acceptée sous la condition

résolutoire de la non conclusion […] du contrat pour lequel le prêt est demandé ».

Toutefois, la jurisprudence n’a pas étendu l’effet de ces dispositions à tous les contrats de prêt463. Le seul infléchissement notable en la matière se situe dans la "déréalisation" du prêt consenti par un professionnel du crédit464.

90 - L’obligation de remise, cause de l’obligation ? Les errements de la jurisprudence. Dans les contrats consensuels un raisonnement similaire à celui développé pour les contrats réels peut être mené. La cause de l’obligation de restitution semble également être la remise de la chose. Comme le notent certains auteurs, « le contrat de louage n’est pas considéré comme un contrat réel, il est consensuel. Or, il est évident que si le bailleur ne remet pas au locataire la chose,

objet du bail, ce dernier n’a pas à la restituer »465. Néanmoins, la solution ne prévaut

pas nécessairement. Par un arrêt rendu le 5 juillet 2006, la première Chambre civile de la Cour de cassation avait semblé consacrer une nouvelle conception de la cause dans le prêt d’argent consenti par un professionnel du crédit et donc de nature consensuelle466. Le principe retenu paraissait accorder une place importante à la cause du contrat, cause subjective, permettant de tenir compte des mobiles ayant conduit l’emprunteur à s’engager. À la suite de cette jurisprudence, il était possible de considérer que l’obligation de restitution n’était pas la contrepartie de la remise de la chose mais, celle de l’utilité attendue de l’opération. Or, selon certains commentateurs, cette subjectivisation de la cause dans le prêt consensuel était à déplorer en ce qu’elle aurait permis à « tout emprunteur [de] soutenir que le prêt n’a pas correspondu à son attente, par exemple parce qu’il n’a pas reçu l’affectation

envisagée ou parce qu’il n’a pas bénéficié à l’emprunteur »467.

Aussi, répondant aux critiques de la doctrine, la Cour de cassation a-t-elle semblé revenir à plus de classicisme par deux arrêts rendus par la première Chambre civile le 19 juin 2008468. Dans la première affaire, la Cour affirme que « le prêt

463 V. par ex. Cass. civ. 1ère, 16 février 1999, préc.

464 Civ. 1ère 28 mars 2000, préc. Cette jurisprudence est aujourd’hui bien établie, et confirmée par la Cour de cassation, V. par ex. Cass. com. 7 avril 2009, Bull. civ. IV, n° 54 ; sur ce point V.

Supra n° 74.

465 B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Obligations – Contrat, op. cit., n°219.

466 Cass. civ. 1ère, 5 juillet 2006, Bull. civ. I, n°358 ; D. 2007, p. 50, note J. GHESTIN ; D. 2007, p. 759, obs. D.-R. MARTIN ; RTD com. 2006, p. 887, obs. D. LEGEAIS.

467 D. LEGEAIS, obs. préc.

468 Première espèce, Cass. civ. 1ère, 19 juin 2008, Bull. civ. I, n°174 ; D. 2008, AJ. 1825, obs. X. DELPECH ; JCP. éd. E. 2008, 1964, note D. LEGEAIS ; JCP 2008, II, 10150, note A. CONSTANTIN ; Y.-M. LAITHIER, RDC 2008, p. 1129 ; RDC 2009, p. 188, note P. PUIG ; seconde espèce, Cass. civ. 1ère, 19 juin 2008, Bull. civ. I, n°175, D. 2008, AJ. 1827, obs. X. DELPECH ;

consenti par un professionnel du crédit n'étant pas un contrat réel, c'est dans

l'obligation souscrite par le prêteur que l'obligation de l'emprunteur trouve sa cause ».

L’obligation de restitution serait dès lors causée par l’obligation du prêteur, c'est-à-dire l’obligation de remise des fonds. Qu’elle soit considérée comme un élément de formation du contrat ou comme une obligation, la remise de la chose serait toujours la cause de l’obligation de restitution. La formulation de l’attendu laisse toutefois penser que la solution n’est pas si simple. La Cour lie, en effet, l’absence de "réalisme" du prêt au fait que la cause de l’obligation de restitution se trouve dans l’obligation du prêteur. Il peut être déduit de cette précision, que « l’obligation souscrite par le

prêteur » ne se réduit pas à la seule remise de la chose. De même, comme le note un

commentateur de l’arrêt, la précision apportée par la première Chambre civile, « selon laquelle "l’existence, comme l’exactitude" de la cause ainsi définie "doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat" n’a plus de sens en l’espèce si cette cause se

confond totalement avec la remise des fonds par le prêteur »469. Si la Cour avait eu

pour intention de confirmer la solution traditionnelle, « il aurait été simple pour [elle]

de répondre en affirmant que la cause du prêt est la remise des fonds »470. Malgré les

critiques suscitées par ces deux arrêts, il semble que selon la Cour de cassation, la cause de l’obligation de restitution soit toujours la remise de la chose. Dans la première affaire, après avoir rappelé que la cause de l’obligation de l’emprunteur est l’obligation du prêteur, elle prend, en effet, le soin de préciser que la Cour d’appel avait constaté que « les sommes prêtées avaient été remises entre les mains » des emprunteurs. Si la formulation aurait pu être plus claire, elle ne semble toutefois pas viser autre chose que la remise. Celle-ci ayant été constatée par les juges du fond, l’obligation des emprunteurs avait bien une cause. Seule la façon dont cette remise est saisie par le droit change en fonction de la nature du contrat. Dans un contrat réel, ce n’est qu’un fait purement matériel qui permet la formation du contrat ; dans un contrat consensuel, elle est l’objet d’une obligation471. Juridiquement, les effets diffèrent, mais matériellement la finalité est la même.

RDC 2009, p. 183, note P. PUIG ; pour un commentaire groupé des deux arrêts, F. CHÉNEDÉ, D. 2008, p. 2555 ; É. SAVAUX, Defrénois 15 octobre 2008, n°17, p. 1967.

469 A. CONSTANTIN, note préc. L’auteur explique la solution par référence à la conception de la cause comme « la contrepartie convenue » proposée par J. GHESTIN, Cause de l’engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006, n°125 et s. et spéc. n°586 et 590 pour une application au prêt. Cette analyse tend à faire pénétrer dans la cause du contrat de prêt, un part de subjectivisme « que sont les motifs déterminants des parties, dès lors que ceux-ci ont bien été intégrés dans le champ contractuel par un accord exprès ou tacite des contractants ».

470 D. LEGEAIS, La cause du contrat de prêt est le profit attendu par l'emprunteur, note sous Cass. civ. 1ère, 5 juillet 2006, préc.

471 En ce sens, D. CHEMIN-BOMBEN, RLDA 2008, n°30, p. 42 ; Comp.F. CHÉNEDÉ, préc., qui voit dans ces arrêts la consécration de l’obligation de mise à disposition pour le prêteur. Sur ce point, V. Infra, n° 186 et s.

Analysée comme une obligation ou comme un élément de formation du contrat, la remise de la chose semble devoir être considérée comme étant toujours la cause de l’obligation de restitution. Les différentes critiques adressées à cette solution permettent de proposer une analyse alternative et unitaire sans référence à la nature consensuelle ou réelle du contrat, basée uniquement sur la puissance de la chose.

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