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b. Le transfert de propriété à titre accessoire

59 - La notion de transfert de propriété à titre accessoire : l’exemple type du contrat d’entreprise. Dans certains contrats, un effet translatif se réalise, sans toutefois pouvoir être qualifié d’effet principal du contrat. L’exemple du contrat d’entreprise est ici marquant ; en effet, l’essence du contrat porte sur l’accomplissement d’une prestation, mais lorsque celle-ci porte sur une chose, un transfert de propriété de l’entrepreneur vers le maître de l’ouvrage se produit, c’est en ce sens, qu’il est souvent qualifié d’accessoire288. Bien que seuls certains auteurs admettent l’effet translatif de propriété d’une telle opération, du moins en matière mobilière289, l’étude de l’acquisition de la propriété, lorsque l’entrepreneur exécute sa prestation à partir de matériaux lui appartenant en tout ou partie, est éclairante.

287 P. PUIG, préc., p. 71.

288 Contra, P. PUIG, Le contrat d’entreprise translatif de propriété, in Études offertes à Jacques Dupichot, Liber amicorum, Bruylant, 2004, p. 394, qui considère que le transfert de propriété intervient à titre principal et non accessoire.

289 V. not. F. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 6e éd, 2002, n°726, p. 630 ; J. HUET, sous la direction de J. GHESTIN, Traité de droit civil, Les principaux contrats spéciaux, LGDJ, 1ère éd., 1996, n°32219, 32221 et 32331 ; D. MAINGUY,

60 - Le contrat d’entreprise, un contrat naturellement translatif de propriété ? Considérer le contrat d’entreprise comme un contrat translatif de propriété n’est pas une évidence. Ce contrat est d’ailleurs qualifié de "louage d’ouvrage", ce qui semble « l’éloigner, au premier abord de tout transfert de

propriété »290. La doctrine antérieure au Code civil expliquait, en effet, le mécanisme

acquisitif issu d’un contrat d’entreprise par la théorie de l’accession291. Postérieurement à la codification, le recours à cette théorie, pourtant issue du droit des biens et conçue pour régir le sort des constructions sur le terrain d’autrui, fut maintenu292 mais dénoncé par une partie de la doctrine comme consacrant un transfert de propriété extracontractuel ayant toutefois pour origine le contrat293. Cette contradiction avec la philosophie originelle de l’article 555 du Code civil est patente quand on sait qu’il n’avait été consacré que dans le cas d’une « hypothèse

accidentelle, comme un mode équitable d’acquisition de la propriété »294. De plus, en

matière purement mobilière, l’accession ne saurait fonder le transfert de la propriété si l’entrepreneur fournit la totalité de la matière, faute de possibilité d’incorporation. Démontrant le changement de perspective opéré par le Code civil quant à la nature du contrat d’entreprise – l’article 1710 faisant du travail de l’entrepreneur le « point

capital, la base de la convention »295 – et s’appuyant sur les différentes critiques

Contrats spéciaux, Dalloz, coll. Cours de Droit privé, 1998, n°359 ; F. PEROCHON, La réserve de propriété dans la vente de meubles corporels, avant propos J.-M. Mousseron, préface F. DERRIDA, Litec coll. Bibl. dr. entreprise T. 21, 1988, n°299, note 41 ; P. JACHMIG-JOLY, La garantie des vices cachés. Essai de théorie générale, Thèse Paris II, 1997, n°590, p. 537 ; P. PUIG, La qualification du contrat d’entreprise, Ed. Panthéon Assas, Droit privé, 2002, n°407 et s. ; du même auteur, Le contrat d’entreprise translatif de propriété, préc.; Contrat d’entreprise, contrat de vente : quelle frontière ?, RDC 2005, n° 4, p. 1111.

290 L. MARINO, Le transfert de propriété dans le contrat d’entreprise, Defrénois, 2001, p. 907, n°1.

291 C. ACCARIAS, Précis de droit romain, T. II, Paris, A. Cotillon et Cie, Librairie du Conseil d'Etat, 3e éd., 1879, n°620; A.-E. GIFFARD, Droit romain et ancien droit français, Les obligations, Dalloz, précis Dalloz, 3e éd., par R. Villers, 1970, n°131-132 ; P. PUIG, La qualification du contrat d’entreprise, op. cit., n°408 et les développements historiques consacrés par l’auteur à la question.

292 Ainsi par exemple, Cass. civ., 18 octobre 1911, DP 1912, I, 113, note M. PLANIOL.

293 V. en ce sens, F. LAURENT, Principes de droit civil français, T. XXVI, Bruxelles, Bruylant – Maresq, 3e éd., 1878, n°7, p. 11 ; R. BEUDANT et P. LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, Cours de droit civil français,T. XII, par R. Rodière, Contrats civils divers, 2e éd., Paris, Rousseau, 1947, n°180 et 199 ; L. GUILLOUARD, Traité du contrat de louage, T. II, Paris, Durand et Pédone-Lauriel, 1885, n°782, p. 310 ; X. HENRY, La technique des qualifications contractuelles, thèse Nancy II, 1992, n°825 ; P. PUIG, La qualification du contrat d’entreprise, op. cit., n° 408.

294 L. MARINO, préc., n°13, l’auteur se réfère à J.-M.-E. PORTALIS, Exposé des motifs, Livre I, Titre II, « De la propriété », séance du 28 nivôse an XII, in Procès verbaux du Conseil d'Etat contenant la discussion du Code Napoléon, Imprimerie impériale, 2e éd., 1808, t. IV, p. 69.

295 R.-T. TROPLONG, Le droit civil expliqué suivant l’ordre des articles du Code, De l’échange et du louage, T. I, Paris, 1840, n°64, p. 237. Cette conception s’oppose à celle jusqu’alors retenue qui faisait de l’activité du maître de l’ouvrage le cœur du contrat, en ce sens V. not. R.-J.

adressées à l’application de la théorie de l’accession, un auteur a pu mettre en lumière l’effet translatif de l’opération296. Selon lui, le contrat d’entreprise devrait être qualifié de « contrat naturellement translatif (…) soit parce que telle est sa finalité (…) soit parce que la fourniture du service qui constitue sa finalité exige, pour être rendue, le

transfert d’un bien » 297. L’analyse tendant à accorder au contrat d’entreprise une

nature translative de propriété semble également consacrée indirectement par la Cour de cassation. En affirmant que « le maître de l’ouvrage, comme le sous-acquéreur,

jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur »298,

l’Assemblée plénière rompt avec le mécanisme de l’accession. Retenir ce fondement n’aurait pu permettre d’admettre la transmission des droits et actions attachés à la chose, l’accession entraînant nécessairement la création du droit nouveau dépourvu de toute prérogative accessoire au droit éteint299.

Naturellement considéré comme translatif, le contrat d’entreprise semble mieux défini. L’affirmation rend ainsi compte plus exactement de la réalité économique de l’opération qui vise à transmettre au maître de l’ouvrage le bien créé par l’activité de l’entrepreneur, ou à fournir le service promis300.

61 - La réception, opération déterminante du transfert. En matière mobilière, si l’entrepreneur fournit la totalité de la matière, la jurisprudence enseigne de longue date que la propriété de la chose est transférée au maître de l’ouvrage dès qu’elle est en état d’être livrée301. L’achèvement de l’ouvrage est ainsi érigé en

POTHIER, in Œuvres, T. IV, Traité du contrat de louage, 2e éd., par M. BUGNET, Paris, Cosse et Marchal, Plon, 1861, qui définit le louage d’ouvrage comme « un contrat par lequel l’une des parties contractantes donne un certain ouvrage à faire à l’autre, qui s’oblige envers elle de le faire pour le prix convenu entre elles, que celle qui lui a donné l’ouvrage à faire, s’oblige de son côté de lui payer », n°392, p. 133.

296 P. PUIG, op. cit., n°409 et s.

297Ibid. ;Adde. L. MARINO, Le transfert de propriété dans le contrat d’entreprise, préc., n°18 et s. Considérer que le contrat d’entreprise est naturellement translatif de propriété n’entraine pas une requalification de l’opération en contrat de vente, « d’abord parce que le transfert de propriété, accessoire dans le contrat d’entreprise, ne le dénature pas. Ensuite parce qu’au-delà de l’effet translatif, les obligations sont différentes de l’un à l’autre contrat », n°25.

298 Ass. Plén. 7 février 1986, D. 1986, jur. p. 293, note A. BÉNABENT ; JCP G. 1986, II, 20616, obs. Ph. MALINVAUD ; RTD civ. 1986, p. 364, note J. HUET, p. 595, obs. J. MESTRE, p. 605, obs. Ph. RÉMY.

299 En ce sens V. P. PUIG, Le contrat d’entreprise translatif de propriété, préc., p. 396 et 397. La tendance semble se confirmer nettement, la Chambre commerciale ayant retenu que « le contrat d’entreprise (…) ayant eu pour objet de transmettre la propriété de la chose (…) », Cass. com. 22 mai 2002, Bull. Civ. IV, n°89, D. 2002, IR, p. 1885 ; somm. p. 2843, obs. Ph. DELEBECQUE ; RTD civ. 2003, p. 94, obs. P. JOURDAIN.

300 P. PUIG, La qualification du contrat d’entreprise, op. cit., n°410.

301 Cass. civ. 20 mars 1872, DP 1872, I, 140; Cass. civ. 17 mai 1876 (2 arrêts), D. 1877, I, 97, note A. BOISTEL ; Cass. civ. 29 mars 1886, DP 1886, 329 ; H., L., et J. MAZEAUD, Leçons de

événement déterminant du transfert de propriété, l’analogie avec le transfert de propriété dans la vente est ici frappante. Raisonnant par assimilation avec la notion d’achèvement dans la vente de choses futures, une partie de la doctrine l’assimile à la réception302. Cette conception ne semble cependant pas prendre en compte la divergence de nature entre les deux actes visés. L’achèvement relève de l’activité de l’entrepreneur alors que la réception participe de l’activité du maître de l’ouvrage, le premier n’étant pas même nécessaire à la réalisation de la seconde303. De plus, la cause de l’engagement du maître de l’ouvrage réside non pas dans l’exécution de la mission par l’entrepreneur, mais dans l’obtention du résultat de la mission qui doit être constaté par la réception. L’achèvement ne peut dès lors pas être considéré comme l’événement mettant fin au rapport, et ne peut à ce titre emporter le transfert de la propriété.

Classiquement, la réception est définie comme « un acte juridique qui traduit

l’approbation par le maître des travaux accomplis »304 ; en ce sens, elle se distingue

également de la prise de livraison, simple acte matériel. Si dans certaines opérations, notamment en matière de construction d’immeuble, les deux actes peuvent intervenir concomitamment, ils ne doivent pas être confondus ; la réception produit des effets quant au droit, la prise de livraison consiste en la libération matérielle de l’entrepreneur305.

S’il est envisageable de considérer qu’en matière mobilière la réception permet d’opérer le transfert de propriété, l’hypothèse est plus difficile à admettre en matière immobilière. Il est plus classiquement enseigné et retenu en jurisprudence306 que le transfert de la propriété des matériaux, fournis par l’entrepreneur, s’opère par

droit civil, t. III, vol. II, Principaux contrats, 2e partie, 3e éd. par M. de JUGLART, Montchrestien, 1980, n°1349.

302 L. MARINO, préc., n°15. L’auteur note toutefois une « altération » de la règle en matière d’œuvres de l’esprit, dans lesquelles il convient de distinguer la propriété corporelle et la propriété intellectuelle. Mme MARINO estime en effet qu’en cas de commande d’œuvre d’art la règle du transfert de propriété à l’achèvement, est « inadéquate », en raison de la difficulté de détermination du moment où l’œuvre peut être considérée comme achevée et car transférer le

corpus ne signifie pas nécessairement faire don de l’œuvre, puisque l’auteur « peut refuser la divulgation d’une création même achevée ».

303 Cass. civ. 3e, 9 octobre 1991, Bull. civ. III, n° 230, « l’achèvement de l’ouvrage n’étant pas une des conditions nécessaires de la réception... » ; Cass. civ. 3 11 février 1998, Bull. civ. III, n° 28.

304 P. PUIG, op. cit., n°401; Adde. Cass. civ. 3e, 8 oct. 1974, Bull. civ. III, n° 337 ; H. PERINET-MARQUET, La réception des travaux : état des lieux. L'article 1792-6, dix ans après, D. 1988, chron. p. 287 ; J.-P. KARILA, Garanties légales et responsabilité contractuelle de droit commun des locateurs d'ouvrages immobiliers après la réception de l'ouvrage, D. 1990, chron. p. 307 ; M. ZAVARO, Achèvement, inachèvement et réception : Gaz. Pal. 1999, 2, doctr. p. 1121. D. GIBIRILA, J.-Cl. Civil Code, art. 1787, fasc. 10, décembre 2001, n°94.

305 Pour la distinction entre réception et prise de livraison V. Infra n°126.

incorporation au fur et à mesure de la construction. Les risques de la chose et le transfert de la propriété sont alors dissociés, la justification invoquée étant le fait que l’entrepreneur doit connaître la chose qu’il fournit et à ce titre en assumer les risques307. Certains auteurs ont tenté de démontrer ce principe, affirmant notamment qu’ « il n’est pas exact de dire que ces matériaux deviennent la propriété du maître à titre d’accession, car le maître a le droit de vérifier les travaux ; et si après vérification, il ne les reçoit pas, il ne devient certainement pas propriétaire des

travaux »308. Cette thèse se justifie en considérant que, puisque l’entrepreneur s’est

engagé à fournir un « opus perfectum et non un opus inceptum », il doit être considéré comme ayant « la libre disposition des matériaux employés » 309, afin de pouvoir les remplacer en cas défectuosité. Plus récemment, il a pu être soutenu que lors de la réception, les parties « conviennent de reconnaître une existence juridique à l’édifice construit, non en tant qu’assemblage de matières premières, mais en tant qu’ouvrage formant un tout, unique et homogène, distinct des matériaux constitutifs. (…) L’ouvrage, en tant qu’objet de propriété, ne peut être transmis au maître qu’à

compter du moment de son existence »310. L’abondance des arguments militant en

faveur de la consécration de la réception comme moment du transfert de propriété conduit à rejeter le principe de l’acquisition par incorporation au fur et à mesure de la construction311.

Qualifiée de « second souffle »312 de l’opération, la réception apparaît comme étant l’élément déterminant du transfert de propriété au sein du contrat d’entreprise. Au-delà de l’approbation de la qualité des travaux, elle permet au maître de l’ouvrage

307 V. par exemple, F. COLLART-DUTILLEUL, Les contrats préparatoires à la vente d’immeuble,

Sirey, coll. Immobilier, droit et gestion, 1988, n°133 ; J. MAZEAUD, note ss. Cass. civ. 3e, 23 avril 1974, D. 1975, p. 287 ; Ph. RÉMY, obs. sur Cass. civ. 3e, 19 février 1986, RTD civ. 1986, p. 607.

308 F. LAURENT, Principes de droit civil français, T. XXVI, Bruxelles, Bruylant – Maresq 3e éd., 1878, n°6 et 7 ; V. MARCADE, Explication théorique et pratique du Code Napoléon, T. VI, Paris, Cotillon, 1859, 5e éd. p. 536 ; R.-T. TROPLONG, Le droit civil expliqué suivant l’ordre des articles du Code : de l’échange et du louage, T. III, Paris, 1840, n°996, p. 201.

309 Th. HUC, Commentaire théorique et pratique du Code civil, T. X, Paris, Cotillon, 1897, n°414.

310 P. PUIG, op. cit., n°417. Par un subtil raisonnement, l’auteur combine le principe du transfert à la réception avec celui de l’accession. Par la réception le maître de l’ouvrage devient propriétaire du bâtiment, « mais cette propriété se confond immédiatement avec celle du terrain par le jeu de l’accession immobilière ».

311 On peut d’ailleurs noter que certains textes spéciaux tels, l’article 1601-2 C. civ. et R. 261-2 CCH. (en matière de vente à terme) prévoient expressément un report du transfert de propriété à la constatation par acte authentique de l’achèvement, notamment en matière de vente d’immeuble à construire. P. PUIG note à ce sujet qu’il ne s’agit pas de déroger au principe de l’accession mais à celui du transfert solo consensu. L’acte constatant l’achèvement semble, dans ces cas, très proche de la réception en matière de contrat d’entreprise

312 P. PUIG, op. cit., n°402, l’auteur démontre que la réception n’est pas la fin du contrat d’entreprise. Au contraire, elle permet à l’objet du contrat d’être parfaitement défini, en conférant à « l’ouvrage accompli une existence juridique dont il était jusqu’alors privé ».

de matérialiser la volonté d’acquérir la chose, répondant ainsi à l’achèvement, qui, quant à lui, peut être théorisé comme marquant l’acte d’abdication de l’entrepreneur. Toute l’attention se concentre donc, non pas sur la remise de la chose, mais sur la chose elle-même. La vérification de sa substance et de ses qualités, par le mécanisme de la réception, permet d’opérer le transfert de propriété. Le droit suit donc le sort de la chose, mais le fait de la remise, matérialisé par la livraison, y est indifférent.

62 - Synthèse. Deux conclusions s’évincent de la démonstration. Tout d’abord, quel que soit le contrat à l’occasion duquel le transfert de propriété intervient, la remise de la chose n’est jamais suffisante pour le réaliser. Ensuite, en se détachant quelque peu du propos, dans de nombreuses hypothèses, le transfert de propriété n’est pas une fin en soi. Qu’il soit subi ou utilitaire, il ne constitue pas nécessairement l’objectif économique principal poursuivi par les parties. Une telle observation est de nature à confirmer l’idée suivant laquelle la référence au seul aspect translatif ou non translatif de propriété en vue de classifier les contrats spéciaux ne serait pas opérante. Serait-il vraiment pertinent de regrouper sous un régime unique les contrats de vente, de prêt de consommation, d’entreprise ou de dépôt irrégulier ? La réponse est assurément négative, d’autant qu’il peut être remarqué qu’alors même que ces différents contrats contiennent un effet identique – le transfert de propriété – celui-ci est susceptible de se réaliser de différentes façons. Il semble dès lors plus judicieux de tenter de dégager des éléments se retrouvant dans différents contrats permettant ainsi une lecture transversale de la matière.

63 - Conclusion de section : une remise de la chose dénuée de toute efficience translative de propriété. L’évolution du concept de tradition, étudiée en contemplation de l’effet translatif du contrat, permet de considérer que la remise de la chose ne peut être analysée comme un moyen de transférer la propriété. Que le contrat soit soumis au droit commun des articles 711 et 1138 du Code civil, ou qu’un mécanisme spécifique inhérent à la nature de la chose transférée s’impose, la tradition réelle n’est jamais un mode de transfert de la propriété. En outre, l’opération translative, doit être envisagée comme un mécanisme axé sur deux temps, la renonciation au droit et l’acquisition. En ce sens, le schéma proposé rend mieux compte de la réalité factuelle d’un transport de propriété. Il n’est d’ailleurs pas éloigné du modèle romain de la vente, qui ne traite pas du contrat de vente mais de

l’emptio-vendito, l’achat-vente. Le terme emptio vient du verbe emere, qui signifie prendre,

recevoir ou acheter313. La présentation romaine de la vente, contrat translatif par

excellence314, traduit parfaitement la logique duale qui se retrouve en droit positif. Dans cette perspective, seule l’appréhension de la tradition dans une conception dématérialisée, permet de rendre à celle-ci une certaine vitalité et même d’expliquer plus en détail le mécanisme exposé, en ce qu’elle sert de fondement à l’acte d’abdication.

La tradition réelle se voit donc privée du pouvoir de transférer la propriété, cette faculté étant l’apanage du contrat, ou de la réalisation d’un acte ne s’analysant jamais comme une remise. Dans les contrats, dont le transfert constitue la fin il peut être constaté que d’une tradition réelle en droit romain, s’est opéré un glissement, vers un effet réel du contrat. Considérée dans un rapport non translatif de droit ou dans un rapport où le transfert n’est qu’un moyen des parties pour arriver à une fin qui est autre, la remise de la chose semble également devoir être écartée comme moyen d’opérer la mutation du droit.

Prolongeant l’étude des effets classiques de la remise, le constat paraît tout aussi sombre : si, dans les contrats translatifs, la remise est dépourvue de rôle, dans les contrats non translatifs, le mouvement de réduction à outrance de ses fonctions se poursuit de la même façon.

314 Sur un débat né de l’analyse d’un texte de CELSE semblant contredire le fait que la vente à Rome était un contrat translatif de propriété, V. C. APPLETON, L’obligation de transférer la propriété dans la vente romaine – Fr. 16 D. De cond. causa data XII, 4, Nouvelle revue historique de droit français et étranger, novembre – décembre 1906, p. 740 et s. En substance le texte analysé semble affirmer qu’un contrat dans lequel une partie transférerait la propriété d’une chose (en l’occurrence d’un esclave) contre de l’argent ne saurait être analysé comme un contrat de vente. Si cela peut paraître pour le moins surprenant et a, à ce titre, suscité l’attention de nombreux romanistes, C. APPLETON (spéc. p. 763 et s.), démontre néanmoins qu’il s’agit avant tout d’une erreur de plume de la part d’un copiste du Digeste.

Section II

Le dépassement de la tradition dans les autres

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