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L’exclusion d’un sens générique

A. Essai de définition de la notion de mise à disposition

1. L’exclusion d’un sens générique

111 - Une apparente ambiguïté terminologique. L’expression "mise à disposition" n’est pas par essence juridique ; ces termes innervent néanmoins le droit des contrats, sans qu’une définition précise puisse en être dégagée577. Elle peut donc, au premier abord, sembler en marge des termes juridiques traditionnellement utilisés et dont la définition est clairement établie pour caractériser le mouvement d’un bien. Toutefois, la présence du terme "disposition" peut renvoyer le juriste à la notion d’acte de disposition définie classiquement comme une « opération grave qui entame ou

engage un patrimoine, pour le présent ou l’avenir, dans ses capitaux »578 et opposée

aux actes d’administration et aux actes conservatoires. Pour autant, le rapprochement de la mise à disposition avec l’acte de disposition doit être écarté. Si l’idée de mouvement d’un bien est présente dans les deux notions, la seconde semble trop liée à l’aliénation de la chose, au transfert de droit réel579. Les actes de disposition sont ceux qui « engagent l’avenir, qui tendent à compromettre, dans un patrimoine,

576 Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit., V°, mise à disposition. Rappr. N. DECOOPMAN, La notion de mise à disposition, RTD civ., 1981, p. 300 et s., qui définit la notion comme « la délivrance d’un bien ou [un] mode constitution de garantie », n°77.

577 Pour de nombreux exemples de mise à disposition V. N. DECCOPMAN, préc. 578Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit., V°disposition.

579 Bien que certains actes de disposition, tel le bail de plus de neuf ans, n’emportent pas d’aliénation ni de transfert de droit réel.

l’existence, l’individualité de la valeur d’un capital »580. L’idée maîtresse de ce type d’actes semble être sa gravité ; juridiquement, l’acte de disposition entraîne la disparition du bien ou du droit sur lequel il porte581. Aussi l’emploi des termes "mise à disposition", ne semble-t-il pas se limiter aux seuls actes emportant de telles aliénations. La Cour de cassation a recours à cette expression afin de rendre compte de situations variées dans lesquelles aucune aliénation n’intervient. Il est, par exemple, possible de relever une telle utilisation dans le cadre d’arrêts portant sur l’octroi d’un coffre-fort582 ou encore d’un distributeur de boissons583. En ce sens, les mises à disposition se rapprocheraient plus des actes d’administration, dont le

« dénominateur commun élémentaire »584 est l’idée d’exploitation normale du

patrimoine. Indépendant de l’éventuelle aliénation d’un droit réel, le concept de mise à disposition d’une chose se révèle comme un mode de concéder un pouvoir sur celle-ci. La nature du pouvoir dont la mise à disposition permet l’acquisition est indifférente. Seul apparaît déterminant le fait de rendre possible l’obtention du pouvoir sur la chose. Dès lors, il est possible de cerner un minimum irréductible de la mise à disposition : elle doit « permettre au créancier d’exercer certaines prérogatives sur le

bien qui en est l’objet »585.

112 - La distinction entre mise à disposition et remise de la chose. La mise à disposition et la remise de la chose sont souvent assimilées par la doctrine.

580 J. CARBONNIER, Droit civil, T. I, Introduction, Les personnes, La famille, l’enfant, le couple, PUF, Quadrige, 2004, n°294. Certains auteurs proposent de se référer également à un critère économique dans la qualification de l’acte de disposition, qui « consiste à apprécier la portée de l'acte non plus seulement au regard de son objet particulier, mais en tenant compte de l'ensemble de ses répercussions patrimoniales directes ou indirectes. C'est alors le rôle de l'acte dans la gestion du patrimoine, son incidence économique globale, qui importent », C. BRENNER, Rep. civ. Dalloz, V° Acte, septembre 2006, n°340 ; Adde, R. VERDOT, De l'influence du facteur économique sur la qualification des actes « d'administration » et des actes de disposition, RTD civ. 1967, p. 449.

581 En ce sens, la jurisprudence ne restreint pas la notion aux seuls actes translatifs mais y intègre les actes extinctifs ou abdicatifs, V. par ex. Cass. ch. mixte 29 janvier 1971, Bull. civ. I, n° 1 ; D. 1971, p. 301, note J. HAUSER et E. ABITBOL ; Cass. civ. 1ère, 10 mars 1998, Bull. civ. I, n°102 ; RTD civ. 1998, p. 656, obs. J. HAUSER.

582 V. par ex. Cass. civ. 1ère, 11 juin 2002, (deux arrêts) inédits, pourvois n°13399 et 00-13400.

583 V. par ex. Cass. com., 24 avril 2007, inédit, pourvoi n°06-12443, RDC 2008, p. 276, note D. MAZEAUD ; Rappr. P.-H.ANTONMATTEI et J. RAYNARD, Droit civil - Contrats spéciaux, op. cit., qui regroupent sous le vocable « contrats de mise à disposition », les contrats de bail, de prêt et de crédit bail qui sont des contrats par lesquels le maître d’une chose, en attribue les avantages et les utilités sans toutefois en perdre la propriété.

584 C. BRENNER, préc., n°299.

585 C. REGNAULT-MOUTIER, La notion d'apport en jouissance, préface J. PRIEUR, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, T. 242, 1994, n°11, l’auteur poursuit sa proposition de définition par « (…)et évoque un déplacement, un transport, un mouvement », cette seconde partie semble toutefois devoir être exclue en ce qu’elle rapproche trop la mise à disposition de la remise de la chose.

Raisonnant en contemplation des contrats de bail et de prêt à usage, certains auteurs proposent de lier les notions de tradition réelle et de mise à disposition. Ils définissent

alors cette dernière comme « la remise d’une chose à une personne appartenant à une

autre personne en vue d’un usage précis »586. Toutefois, puisqu’il apparaît que la mise

à disposition ne fait que rendre possible l’exercice d’un pouvoir sur la chose, elle doit être distinguée de la remise. C’est, semble-t-il, en ce sens que la jurisprudence opère une distinction entre la livraison des marchandises et leur mise à disposition587. La remise est, en effet, un véritable déplacement de la chose ; elle opère la mutation du pouvoir exercé. Les deux concepts se retrouvent sur un point : le dessaisissement. Mais si la remise de la chose comprend un dessaisissement et un mouvement de la chose, la mise à disposition se limite au dessaisissement. Les contrats emportant une mise à disposition de marchandises emportent toujours la nécessité d’un enlèvement pour le bénéficiaire qui doit venir chercher les biens en question588. Mettre une chose à disposition consiste dès lors, essentiellement, à ne pas s’opposer à la prise de pouvoir du bénéficiaire589. Cette opération implique en ce sens une « attitude plus passive que

dynamique »590.

Les rôles respectifs de l’accipiens et du tradens dans la remise de la chose envisagée classiquement et dans la mise à disposition paraissent inversés. Dans la première opération, l’activité principale transférant le pouvoir sur la chose est celle du

tradens qui doit remettre. L’accipiens n’a qu’un rôle passif, consistant à accepter la

remise ; il est alors saisi par la remise. Dans la seconde, l’activité permettant la prise de pouvoir sur la chose est celle de l’accipiens : le débiteur de la mise à disposition se dessaisit de la chose et c’est au créancier, acquérant ainsi les prérogatives prévues par le contrat, de l’enlever. Contrairement à la remise de la chose, la mise à disposition n’est pas suffisante pour opérer la saisine de l’accipiens. Seule l’exécution de l’enlèvement de la chose emporte la prise de pouvoir sur celle-ci. Si les deux opérations – remise et mise à disposition – s’opposent en apparence, il semble qu’en réalité, elles se rejoignent. Il est en effet possible de remarquer que ce qui est

586 M.-A. RAKOTOVAHINY, Le contrat de mise à disposition d'une chose : un contrat par défaut ?, LPA 20/10/2006, n°210, p.9.

587 Cass. com. 5 juillet 1994, Bull. civ. IV, n°259 ; JCP 1994, IV, 2218.

588 Pour la corrélation entre mise à disposition et enlèvement, V. par ex. Cass. civ. 1ère, 7 mars 2006, inédit, pourvoi n° 04-19178 ; sur ce point V. Infra n° 122 et s.

589 En ce sens, V. par ex. P. PUIG, La qualification du contrat d'entreprise, op. cit., n°11, « mettre à disposition consiste bien à faire quelque chose ou, si l’on préfère, à laisser ou à ne pas faire quoi que ce soit qui s’oppose à la prise de possession par le contractant… ce qui est toujours une façon de faire ».

590 A.-F. EYRAUD, Le contrat réel – Essai d’un renouveau par le droit des biens, thèse Paris, 2003, n°168. L’auteur adopte toutefois une autre conception de la mise à disposition et semble y voir un préliminaire à la remise, puisqu’elle ne ferait « qu’annoncer l’éventuelle remise », n°166.

classiquement appelé remise comprend le dessaisissement inhérent à la mise à disposition : comment remettre un bien sans s’en dessaisir ? Partant, toute remise comprendrait nécessairement une mise à disposition. Toutefois, la seule réalisation de la mise à disposition ne consommerait pas la remise puisqu’elle n’est pas en mesure de faire directement acquérir un pouvoir sur le bien au bénéficiaire qui doit alors s’en saisir. La remise serait donc la combinaison de la mise à disposition et de l’appréhension de la chose, consécutive à ce dessaisissement. Première étape de la remise de la chose, la mise à disposition peut ainsi être définie comme l’abandon d’un pouvoir qu’exerce une personne sur une chose au profit d’un bénéficiaire.

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