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La notion et le rôle du contrat réel

Le dépassement de la tradition dans les autres contrats

A. Les liens entre remise de la chose et contrat réel

1. La notion et le rôle du contrat réel

67 - La genèse de l’idée de contrat réel. Traditionnellement les contrats réels sont définis comme les contrats se formant « par la remise effective d’une chose

(re), la personne qui reçoit n’en devenant débiteur que par cette tradition réelle »318 ;

le consentement se « matérialise par la remise de la chose »319. À l’origine, la remise d’une chose suivie d’une convention de restitution n’était pas véritablement obligatoire, les romains n’y voyaient qu’un simple fait, suivi d’un pacte dépourvu d’efficacité juridique320. L’accipiens n’était alors tenu que d’une obligation morale, non sanctionnée par l’octroi d’une action à son créancier321. Les jurisconsultes romains finirent par admettre que le refus de restituer une chose était une sorte de délit, la violation de la fides donnantalors lieu à une actionex delicto, dans les hypothèses où la fraude de l’accipiens paraissait particulièrement grave. Puis le mutuum322, qui n’était pas considéré comme un contrat, fut sanctionné par une action en restitution323 fondée sur l’idée d’enrichissement sans cause. L’accipiens détenait donc une chose qui ne lui appartenait pas, « car elle lui [était] transférée pour qu’elle soit restituée. Il

tenait la chose sans cause »324. PLANIOL tenta de retranscrire l’observation et de

l’appliquer au droit positif, affirmant que l’obligation de restituer n’est en réalité qu’une obligation légale et non conventionnelle325, mais l’affirmation ne trouva guère écho en doctrine. Plus tard, ces contrats furent, semble-t-il, considérés comme

318Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, op. cit., V° « Contrat réel ».

319 M. BRUSCHI, Au-delà du réel: le crédit immobilier?, D. 1999, p. 194.

320 G. MAY, Eléments de droit romain, Paris, Librairie de la société du recueil général des lois et arrêts, 5e éd., 1898, p. 256.

321 R. von IHERING, L'esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, T. III, op. cit., p. 214, « dans le droit romain primitif, les relations juridiques fondées sur la fides

sont en effet dépourvues de sanction légale ». 322 Aujourd’hui le prêt de consommation.

323 P.-F. GIRARD, Manuel élémentaire de droit romain, op. cit., p. 539, « l’action en restitution des deniers prêtés fut, croyons-nous, admise assez facilement, plus facilement que celle de tous les autres contrats non formels, non pas en vertu de l’idée du contrat, mais en vertu d’une idée indépendante, en vertu d’une idée d’enrichissement injuste, en vertu de l’idée que celui qui a acquis sans cause la chose d’autrui est obligé re à la restituer » ; sur l’idée d’une restitution naissant par la chose, V. Infra, n° 92.

324 C.-C. PLESNILA, Analyse critique de la théorie des contrats réels, Paris, Librairie de la société du recueil Sirey, 1910, p. 18.

325 M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, T. 2, n°996, p. 332. Sur ce point, V. Infra, n° 92 ; Contra C.-C. PLESNILA, Analyse critique de la théorie des contrats réels, op. cit., p. 81, « cette obligation n’est pas légale ; plus même, du moment qu’elle naît d’un contrat, elle ne peut pas et ne doit pas être légale ».

translatifs de propriété326 ; ils ne consistaient alors qu’en de simples applications de la fiducie, la propriété n’étant transférée que dans le but d’un futur re-transfert. La consécration des contrats réels non translatifs de propriété est l’effet d’un véritable progrès du droit : la séparation de la possession, en tant qu’emprise d’une personne sur une chose, et de la propriété, le droit exclusif d’une personne sur une chose ; la tradition, créatrice du rapport d’obligations, n’emportant alors plus qu’une remise de la possession de la chose.

Le concept même de contrat réel peut paraître flou. L’attribution de la qualification même de contrat à cette catégorie juridique a été débattue. Cette notion aux contours encore mal définis porterait toujours en son sein les marques de ses origines romaines, ce qui a conduit le législateur et la jurisprudence, à restreindre le champ d’application de la "qualification réelle".

68 - L’illusion d’une analogie entre contrats re et contrats réels : le problème suscité par le rôle de la remise de la chose. Les contrats réels sont souvent présentés comme un vestige du droit romain327. Ils seraient la transposition en droit positif des contrats se formant re. Cependant, l’analogie entre les deux concepts n’est pas si évidente ; l’essence même de ces qualifications est différente. Le trait commun, siège de l’assimilation entre les deux notions, est la nécessité d’une prestation – la remise de la chose – afin de former le contrat. Or si l’exigence est la même, le rôle de cette prestation n’est pas identique en droit romain et en droit contemporain. À Rome, la volonté était impuissante à produire des effets juridiques à elle seule, si elle n’était accompagnée d’une formalité. La remise était donc nécessaire pour la validité même du pacte. En droit positif, l’idée du contrat réel est autre. Comme l’a démontré un auteur, dans la théorie moderne des contrats réels, la remise de la chose, « n’est pas une solennité, elle ne joue pas le rôle d’une formalité

symbolique dans la conclusion du contrat. Cette remise est réelle et sérieuse ; la res

apparaît donc comme une condition de fond et non pas comme un élément

326 C.-M.-S. de VALICOURT, Droit romain : du développement historique des contrats réels, Douai, 1885, p. 53, les contrats réels, à Rome « supposent un progrès considérable, car, pour la première fois, le formalisme passe au second plan. L’obligation naît, dès la remise de la chose, par le fait même de cette remise. La res, c’est la tradition, à titre de propriété d’abord, et plus tard à titre de possession seulement, de la chose qui fait l’objet du contrat ». Dans les âges les plus reculés du droit romain, « la propriété de la chose donnée en dépôt, en gage, ou en commodat devait sûrement passer au dépositaire au gagiste, ou au commodataire. En effet, la possession séparée de la propriété, constitue une création qui implique progrès dans l’évolution du Droit » (p. 74).

327 V. not. H., L. et J. MAZEAUD, Leçons de droit civil, T. II, op. cit., n°79 et s. ; J. CARBONNIER, Droit civil, T. 2, Les biens, Les obligations, PUF, Quadrige, 2004, n°1004, p. 2072 ; F. TERRÉ, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 10e éd., 2009, n°147, p. 156 ; Ph. MALAURIE, L. AYNÈS et P.-Y. GAUTIER, Les contrats spéciaux, op. cit., n°848, p. 484.

formel »328. Tout contrat réel, aujourd’hui, a comme première condition de validité un accord de volontés. La remise de la chose est imposée en plus de ce consentement. Les contrats qualifiés de réels ne le seraient plus car la volonté est impuissante à former le contrat, mais seraient qualifiés de la sorte notamment par « la force des

choses »329 ou la « nécessité même »330. La place laissée en droit positif aux contrats

réels est sporadique. Le Code civil a maintenu cette catégorie en n’attribuant une telle qualification qu’à cinq contrats : le don manuel, le dépôt, les prêts à usage et de consommation, et le gage. Le champ d’application en a été, par la suite, réduit du fait de la jurisprudence pour le prêt de consommation331, puis du législateur pour le gage332. Ce mouvement de « déréalisation »333 semble être l’aboutissement des nombreuses critiques adressées à la catégorie des contrats réels.

328 C.-C. PLESNILA, Analyse critique de la théorie des contrats réels, op. cit., p. 68.

329 En ce sens V. en ce sens M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, T. 2, op. cit., n°2048, p. 651, note 1 ; E. GAUDEMET, Théorie générale des obligations, Sirey 1937, réed. Dalloz, 2004, p. 29 ; F. LAURENT, Principes de droit civil français, T. XV, Bruxelles, Bruylant – Maresq, 3e éd., 1878, n°445, parle de « la nature même des choses ».

330 C. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, T. XXIV, Traité des contrats, T. I, op. cit., n°32, p. 35.

331 V. Infra,n° 74.

332 La réforme du droit des sûretés du 23 mars 2006 par l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006 a opéré une modification dans la qualification du gage. La mise en possession du créancier n’est plus considérée comme la condition de formation du contrat. Celui-ci est aujourd’hui considéré comme un contrat solennel. V. not., D. LEGEAIS, Le gage de meuble corporel, JCP 2006, n°20 suppl. p. 12 ; J. STOUFFLET, Le nantissement de meubles incorporels, JCP 2006, n°20 supplément p.19 ; D. ROBINE, Aperçu de la réforme du droit des sûretés par l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006, Bulletin Joly des sociétés, Juillet 2006, n°7, p. 887. Il semble toutefois que le caractère réel du gage pouvait être nié avant même la réforme. On déduisait de son caractère réel que si une créance était dépourvue de titre, elle ne pouvait être l’objet du gage. Ce principe de solution n’était pas sans inconvénients pratiques pour le crédit puisqu’il interdisait la mobilisation de certaines créances. Ainsi, la Cour de cassation, sans l’abandonner totalement, a-t-elle limité son domaine dans un arrêt remarqué du 10 mai 1983 en jugeant que

« la mise en possession est suffisamment réalisée, au cas où le gage porte sur une créance et où la tradition est matériellement impossible, par la signification au débiteur de la créance donnée en gage » (Cass. Civ. 1ère, 10 mai 1983, Bull. civ. I, n°141 ; Defrénois 1983, n°33161, p. 1393, note A. PIEDELIÈVRE). La portée de cet arrêt pouvait paraître limitée puisque la dispense de tradition du titre suppose nécessairement une impossibilité matérielle. Toutefois, il consacre l’éclatement de la notion, la mise en possession n’étant plus de l’essence du gage. Le recours à une fiction n’était donc plus d’actualité. La définition qui fait de l’attribution de la possession au créancier la caractéristique principale du contrat de gage ne pouvait plus être retenue, sauf à considérer qu’il ne peut y avoir de véritable gage que sur un meuble corporel, ce qui malgré tout ne correspondait plus à l’état du droit positif.

333 Expression employée notamment par D. HOUTCIEFF, Les promesses à l'épreuve de la dure réalité du prêt, RDC 2004, p. 743.

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