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La mise en lumière d’une distinction entre obligation et opération de délivrance

B. L’application de la notion de mise à disposition à la délivrance

2. La mise en lumière d’une distinction entre obligation et opération de délivrance

est en son pouvoir pour mettre la chose à la disposition de l’acquéreur »618.

L’obligation de délivrance peut donc être envisagée uniquement comme une étape de la mise en possession. Elle apparaît non plus comme une « coquille vide »619, mais comme une notion d’une richesse telle qu’elle renferme différentes réalités. Si la diversité des modes d’exécution est avérée, il est également possible de discerner une véritable polysémie dans l’emploi du terme même de délivrance.

2. La mise en lumière d’une distinction entre obligation et opération de

délivrance

118 - La mise à disposition, acte matériel incomplet ? La notion d’obligation de délivrance semble devoir être détachée de la définition posée par l’article 1604 du Code civil. Bien qu’originellement conçue comme un acte opérant la mutation de la possession, l’idée qu’elle puisse engendrer le moindre transfert de pouvoir est à relativiser. Il est, en effet, suggéré d’analyser la délivrance à l’aune du concept de mise à disposition. Dès lors, celle-ci peut être pleinement réalisée par le

616 M. PLANIOL, G. RIPERT, par J. HAMEL, Traité pratique de droit civil français, T. X, Contrats civils, première partie, op. cit., n°71.

617 V. Cass. civ. 2e, 9 mai 1951, (4 arrêts), Bull. civ. II, n°165, retenant que la délivrance peut être considérée comme effectuée « du fait [que les biens] ont fait l’objet d’une confirmation régulière d’achat avec désignation, expressément acceptée par l’acheteur, des récipients les contenant et qu’ils peuvent être retirés par celui-ci » (1er arrêt), ou « du fait que le marché portait agréage, individualisation de la marchandise et sa mise à la disposition de l’acheteur pour la retirer à son gré » (3e arrêt). V. également, Cass. civ. 2e, 11 décembre 1951, Bull. civ. II, n°381, « (…) du moment que le marché litigieux constituait une vente en bloc, la stipulation que les retraits seraient effectués aux besoins de l’acheteur représentant une mise à disposition de celui-ci, libre dès cette date de retirer la marchandise ».

618 R. DECCOTIGNIES, L'exécution de l'obligation de délivrance, préc.¸ n°3.

619 Selon l’expression de S. VICENTE, L'activité en tant que bien, réflexions sur les fondements de la distinction des obligations de faire et de donner, thèse Grenoble, 1999, n°402.

seul dessaisissement du tradens envers l’accipiens ; le premier met tout en œuvre pour permettre au second d’obtenir une emprise sur le bien. Or si la délivrance peut ne consister qu’en une renonciation au pouvoir sur le bien, il est douteux qu’elle emporte mécaniquement la reconstitution de ce pouvoir chez le bénéficiaire. La conclusion à tirer est alors implacable : l’exécution de l’obligation de délivrance, en tant que mise à disposition d’un bien, n’opère pas, du seul fait de sa réalisation, le transfert d’un pouvoir sur ce bien. La situation semble certes paradoxale, l’obligation de délivrance est « nécessaire, indispensable même pour que le droit que la volonté a

créé, pour que la propriété que le consentement a transmise puisse s’exercer »620 ;

néanmoins, elle est impuissante à emporter la mutation du pouvoir. L’exécution de cette obligation doit, en principe, permettre d’aligner le fait sur le droit621 : tant qu’elle n’a pas été réalisée, bien que l’acheteur soit propriétaire de la chose vendue, il n’est pas matériellement en mesure de l’utiliser. Toutefois, puisque la délivrance ne consiste qu’en une mise à disposition, c’est de son propre fait que l’acheteur obtient le pouvoir sur la chose. Du seul fait de son exécution, la délivrance ne permet pas nécessairement à l’acheteur d’exercer matériellement son pouvoir juridique. Le rôle de l’obligation de délivrance doit donc être redéfini : elle n’emporte pas le transfert de la possession, ni même de la détention de la chose, elle ne fait que permettre l’acquisition de ce pouvoir. Ainsi, l’obligation de délivrance est avant tout une question de potentialité, une fois celle-ci exécutée, l’acheteur peut venir retirer le bien et acquérir le pouvoir. Elle tend vers l’octroi d’un pouvoir mais n’en consomme pas le transfert : une fois celle-ci exécutée, le bénéficiaire ne peut encore se prétendre titulaire du pouvoir matériel sur le bien. Elle apparaît, en ce sens, comme un acte juridiquement incomplet. Elle n’est pas autosuffisante à emporter la mise en possession.

119 - L’éventualité d’une distinction entre obligation de délivrance et opération de délivrance. Comme le note un auteur, la mise en possession pleine et entière de l’acheteur, c'est-à-dire l’acquisition du pouvoir matériel sur la chose, ne se réduit pas à l’exécution de l’obligation de délivrance. Elle « ne comprend pas, comme on le croit, un seul acte, mais une série de petits actes, tels qu’ils se produiront dans

l’exercice journalier du droit »622. L’ensemble de ces actes n’est d’ailleurs pas de la

seule compétence du vendeur. L’activité de l’acheteur est déterminante dans la prise de possession. Seule la combinaison de l’action du tradens et de l’accipiens emporte l’acquisition de ce pouvoir : « le notaire donne la clé ; l’acquéreur ouvre la porte ; il

620 C.-B.-M. TOULLIER, Le droit civil français, T. XVI, par DUVERGIER, op. cit., n°246.

621 M. ALTER, L'obligation de délivrance dans la vente de meubles corporels, op. cit., n°1.

fait feu, flamme et fumée dans la pièce principale de la maison ; il prend une motte de

terre ou une branche d’arbre prise dans le jardin »623. L’affirmation peut cependant

surprendre ; en effet, il est topique d’affirmer que la délivrance « est la vente exécutée, (…), l’acte sans lequel le but que se sont proposé les parties ne serait pas

atteint »624. Semble alors se dessiner une distinction entre le but que les parties

souhaitent atteindre en concluant le contrat et l’obligation qu’est tenu de réaliser le débiteur qui participe à la réalisation de ce but. L’objectif poursuivi par les parties est, sans avoir nécessairement égard au droit transféré, de conférer l’utilité économique du bien à l’acheteur625 et donc de lui en accorder la possession. En ce sens, il semble que la délivrance, entendue non comme une obligation du vendeur mais plutôt comme une opération économique entraîne effectivement la prise de possession. Cette opération de délivrance ne se limite pas à la seule mise à disposition du bien, car elle doit être complétée par le retirement ou l’enlèvement. Suivant cette proposition, le vendeur est bien tenu d’une obligation de délivrance qui matériellement s’exécute par la mise à disposition. Néanmoins, la perfection de la délivrance, prise dans le sens plus large d’opération économique, est subordonnée à l’activité de l’acheteur. Si l’obligation de délivrance ne concerne que le vendeur, l’opération de délivrance est plurale car elle ne peut se réaliser qu’autant que les deux parties exercent une activité. L’obligation de délivrance n’est alors qu’une facette d’une opération économique plus large. Une telle analyse distinguant l’obligation de délivrance et l’opération de délivrance permet d’atténuer les critiques portées à l’encontre de l’article 1604 du Code civil. Considérant que cet article porte non sur l’obligation mais sur l’opération, il redevient envisageable d’affirmer que la délivrance est le transport de la chose en la possession de l’acheteur626.

120 - Synthèse. La mise en possession volontaire issue d’un rapport contractuel se décompose donc nécessairement en trois temps. Tout d’abord une mutation du droit réel puisque la possession n’est susceptible de s’exercer qu’en contemplation d’un tel droit627. Ensuite, une mise à disposition du bien par laquelle

623 E. BONVALOT, Histoire du droit et des institutions de la Lorraine et des trois Evêchés, T. I, Paris, F. Pichon, 1895, p. 42 et 44.

624 C.-B.-M. TOULLIER, Le droit civil français, T. XVI, par DUVERGIER, op. cit., n°245.

625 F. JACQUOT, Du contrat de vente au droit de la vente, thèse Nancy, 1988, n°83, « grâce à la délivrance, l’acheteur est mis en situation de tirer du contrat et du bien qui en est l’objet, toute l’utilité qu’il en attend. L’obligation de délivrance rejoint donc directement ce fondement moderne et concret du contrat, qu’est l’utilité ».

626 L’affirmation peut toutefois être nuancée, l’article 1604 étant insérée dans un chapitre du Code consacré exclusivement aux obligations du vendeur.

627 V. en ce sens la définition posée par l’Avant-projet de réforme du droit des biens, Art. 543 : « la possession est l’exercice paisible, public et non équivoque d’un droit par celui qui, alors

l’ancien possesseur renonce à son pouvoir, s’en dessaisit. Enfin l’enlèvement de la chose par le bénéficiaire qui atteste de sa volonté de se comporter comme le maître de la chose628. Ainsi, alors que la présentation classique fait jouer un rôle primordial au vendeur, en réalité, c’est bien le fait de l’acheteur qui est principal dans la prise de possession. Le rôle de l’activité du vendeur est diminué puisqu’il « y a toujours un acte

extérieur qui réalise le transfert de la possession. Or cet acte extérieur est le fait de

l’accipiens. C’est lui qui s’approprie la chose ; cet acte visible est nécessaire pour

opérer le changement dans la possession de la chose. Quoi de plus naturel ! »629. Dès

lors, la délivrance n’apparaît pas comme une obligation pleinement autonome, mais plus comme le « fait générateur de l’obligation de retirement »630.

121 - Conclusion de section : la nécessaire distinction entre mise à disposition, délivrance et remise de la chose. L’émergence de la notion de mise à disposition permet de rendre compte parfaitement de l’aspect matériel de la délivrance. Cette dernière doit tout d’abord être détachée de la remise de la chose au sens traditionnel, c’est-à-dire envisagée comme un fait ponctuel, afin ensuite, de pouvoir être rattachée à la mise à disposition. Puisque l’obligation de délivrance consiste, pour le vendeur, à se dessaisir de la chose, ou plus précisément, à permettre à l’acheteur de venir prendre livraison, elle ne se réduit pas à la tradition réelle. Dès lors, le principal effet de la délivrance ne peut plus être le transfert de la possession du bien à l’acquéreur, mais plutôt la rupture du lien unissant le tradens à la chose, à laquelle ne correspond pas nécessairement la recréation mécanique du pouvoir chez

l’accipiens. Celui-ci ne peut prétendre à un pouvoir matériel tant qu’il n’a pas enlevé la

chose. Analysée, à la suite de PUFENDORF, comme un défaillement du vendeur quant au bien transmis, la délivrance peut alors être rapprochée de la mise à disposition. Cette notion peut être juridicisée et se rapporte alors à l’idée de laisser volontairement un bien libre de toute emprise afin qu’un bénéficiaire puisse acquérir dessus un certain pouvoir. L’obligation spécifique de délivrance rentre parfaitement dans cette définition puisque le vendeur doit renoncer à toute maîtrise sur la chose, dans le but de permettre à l’acheteur de la retirer. Enfin, une telle acception de l’obligation de délivrance permet de la distinguer d’une opération de délivrance, plus large quant à

même qu’il n’en serait pas titulaire, se comporte, en fait et en intention, comme s’il l’était » (nous soulignons).

628 Rappr. R.-T. TROPLONG, Le droit civil expliqué, De la vente, T. I, Paris, Charles Hingray, librairie éditeur, 5e éd., 1856, n°267, qui affirme que le mécanisme de la tradition se décompose en « trois éléments : 1° l’abandonnement volontaire de la chose par le propriétaire ; 2° l’appréhension de cette chose par l’acquéreur ; 3° l’intention de la part de ce dernier de se l’approprier ».

629 A. PHILIPPIN, Traditio - Obligation de livrer, préc.

son contenu contenant à la fois l’obligation du vendeur comme l’activité de l’acheteur. Seule l’analyse de la délivrance au sens d’opération incombant aux deux parties et non au sens d’obligation à la charge du vendeur emporte effectivement un transport du pouvoir sur la chose. Envisagée comme une obligation, la délivrance apparaît donc comme un acte, impuissant à lui seul à transférer le bien et devant être nécessairement combiné à une prise de livraison de la part de l’acheteur.

Section II

L’enlèvement de la chose, critère déterminant de la

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