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V : Le régime autoritaire du KMT (1949-1987)

Introduction

Durant la période de domination japonaise à Taiwan, la Chine continentale subit le dépeçage de son territoire par les puissances occidentales. Par une série de traités inégaux signés à la suite du traité de Nankin37, les pays européens et le Japon imposent, à

partir de 1860, l’ouverture au commerce des ports chinois au sein desquels ils ont obtenu des concessions territoriales (« treaty ports »). A Taiwan, cela concerne les ports d’Anping (Tainan), de Tamsui (périphérie de Taipei), de Keelung et de Kaohsiung. Les Qing sont alors contraints d'abandonner la politique isolationniste qu’ils mènent depuis 1723.

En 1911, la Chine passe d’un régime impérial à un régime républicain : le parti Nationaliste KMT dirige la République de Chine (ROC). Cette période est caractérisée par une série de conflits à la fois internes et externes. Le KMT s’allie au Parti communiste chinois de Mao Zedong contre l’invasion japonaise mais ces alliances sont superficielles et le KMT s’engage par la suite dans une guerre civile contre les communistes, avec le soutien des Etats-Unis. En 1945, suite à la défaite du Japon dans la Seconde Guerre mondiale, Taiwan et les îles voisines (Penghu, Kinmen et Matsu) sont rétrocédées au gouvernement chinois légitime du moment : le KMT, dirigé par Chiang Kai-shek. Cependant, quatre ans seulement après le retour de Taiwan dans le giron chinois, le KMT est renversé par le Parti communiste, qui instaure la République Populaire de Chine le 1er

octobre 1949 sous l’égide de Mao Zedong. Le KMT se réfugie alors à Taiwan où il s’auto- proclame seul gouvernement légitime de la Chine.

Comme nous l’avons déjà mentionné dans l’introduction de cette, il est difficile de définir la période de domination du KMT à Taiwan car les dates sont controversées. Doit- on la faire remonter à 1945, l’année d’accession du KMT au pouvoir, lorsque le Japon est vaincu et rend Taiwan au gouvernement chinois ? Ou bien en 1949, lorsque le KMT perd sa souveraineté sur la Chine et se réfugie à Taiwan ? De même, en quelle année devrait- on définir la fin de cette période ? En 1999, lorsque le KMT perd le pouvoir, ou en 1987, alors que la loi martiale est levée ? Nous avons retenu cette seconde définition pour délimiter temporellement ce chapitre, en nous appuyant sur la littérature taiwanaise et sur nos entretiens avec des experts en études taiwanaises.

Après avoir fui le continent, Chiang Kai-shek cherche toute sa vie à reconquérir la Chine, utilisant Taiwan comme base anticommuniste d'accueil temporaire et militaire. Il tente donc d’enraciner l’idée d’une contre-attaque contre le continent dans l’inconscient collectif taiwanais. Cette situation fait étonnamment écho à la stratégie de contre-attaque contre le continent chinois menée par le clan Zheng trois cents ans auparavant. Ce n’est qu’à la mort de Chiang Kai-shek, en 1975, que l'impossibilité de reconquérir le continent chinois est enfin admise. Son fils, Chiang Ching-kuo (蔣經國), qui lui succède à la tête de la ROC se tourne progressivement vers la mise en valeur du territoire taiwanais.

Le régime républicain de la ROC que le KMT se met en place à Taiwan conserve un statut ambigu en raison de sa revendication historique à la souveraineté sur la Chine. L’ONU ne reconnait pas officiellement la ROC. Seuls 15 pays, dont le Vatican et des pays de divers continents (en Amérique centrale, Océanie, Caraïbes et Afrique) lui confèrent une représentation officielle. La ROC n'est ni membre ni observateur au sein des grandes organisations internationales et se trouve mentionnée comme "autres zones non spécifiées" (Other non-specified areas) dans les documents officiels, ce qui ne l’empêche pas d’entretenir des relations diplomatiques informelles avec presque tous les autres pays. L’American Institute in Taiwan (AIT) fonctionne de facto comme une ambassade, et Taiwan dispose de bureaux de représentation assimilables à des services diplomatiques et consulaires dans la plupart des pays sous les noms de Taipei Representative Office (TRO) ou Taipei Economic and Cultural Representative Office (TECRO). Pour certains

grands événements internationaux comme les Jeux olympiques, Taiwan se présente sous l’appellation Chinese Taipei.

En dépit de ces difficultés sur le plan des relations diplomatiques, le KMT se montre très efficace dans sa stratégie de valorisation économique du territoire taiwanais. L’aide américaine, qui s'élève en moyenne à 100 millions de dollars par an entre 1951 et 1965, contribue à éliminer l'inflation et à réduire les déficits commerciaux avec les pays étrangers. L’île principale s’industrialise de façon tout à fait remarquable sous la domination du KMT, surtout si l’on compare les performances de Taiwan à celles du continent chinois à la même époque : en 1950, le PIB par tête taiwanais est deux fois supérieur à celui du continent et en 1990, il devient cinq fois plus important (Maddison, 2010).

A mesure que l’économie décolle, Taiwan commence à être qualifiée d’« île au trésor » (baodao 寶島). Le KMT, en dépit de sa nature exogène, s’attache progressivement à une mise en valeur durable du territoire taiwanais. Pour cette raison, on considère généralement que le régime autoritaire de Chiang Kai-shek relève de celui des « Etats développeurs d’Asie orientale », qui se caractérisent par une orientation productiviste, dont a résulté le « miracle économique ». Toutefois, la question est posée de savoir si un gouvernement exogène peut assumer un rôle d’Etat développeur : dans le cas de Taiwan, comment la notion d’Etat développeur est-elle mise à l’épreuve d’un modèle de développement qui s’endogénéise ?

Ce chapitre tente d’apporter des éléments de réponse à cette question. Il aborde dans un premier temps les conditions de la mise en place du régime autoritaire du KMT à Taiwan, dans un contexte d'instabilité politique et démographique. Puis il analyse la politique de croissance économique du KMT, en pointant sa continuité avec la stratégie de développement du territoire à distance des côtes, amorcée à l’époque japonaise. Ces éléments sont alors confrontés aux approches théoriques de l’Etat développeur pour mettre en lumière le positionnement très particulier de Taiwan dans son ensemble régional.

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