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2.3 Keelung, bastion géostatistique des Espagnols

Comparée à l'occupation néerlandaise du sud-ouest de Taiwan et à l'occupation portugaise de Macao, la partie nord-est de Taiwan occupée par les Espagnols n'est pas un bon emplacement pour développer le commerce maritime du fait de sa distance à la Chine et aux trajets commerciaux principaux des Occidentaux en Asie du Sud-Est. Cependant, l’occupation de Taiwan est nécessaire pour les Espagnols pour des raisons géostratégiques. D’abord, ils souhaitent se libérer du blocus néerlandais dans le détroit de Taiwan et contester leur contrôle de la mer d'Asie orientale12. Ensuite, ils ont

l'ambition de répandre le catholicisme au Japon en utilisant Taiwan comme tremplin. Finalement, et c’est le plus important, du fait du blocage du commerce direct avec la Chine par les Néerlandais, le bastion espagnol dans le nord de Taiwan sert également de point de transit pour le développement du commerce avec le Japon (Tsao, 1977; Yang Y.-j., 2000). Dans la vision des Espagnols, la proximité du nord de Taiwan avec le Japon et l'archipel de Ryukyu (Okinawa) en fait un excellent emplacement géographique pour une triangulation des échanges commerciaux avec le Japon.

Après l'occupation de Keelung en 1626, les Espagnols construisent la fortification de San Salvador au sud-ouest de l'île de Hoping pour protéger le port de Keelung. Cette fortification sert de centre administratif et a pour fonction de stabiliser le régime et de protéger l'armée contre les attaques des peuples autochtones et des néerlandais. Keelung se développe très rapidement et devient la deuxième plus grande ville après Tayouan. Deux ans plus tard, en 1629, les Espagnols construisent la fortification de Fort Santo Domingo à Tamsui. En plus de ces deux grands ouvrages, les Espagnols construisent des forts et des marchés dans tous les lieux de leur implantation, stimulant ainsi le développement urbain du nord de Taiwan.

12 La puissance maritime du Portugal est en déclin depuis la fin du XVIème siècle. Ses comptoirs et réseaux commerciaux sont progressivement remplacés par ceux des puissances britanniques, néerlandaises et

Cependant, le commerce maritime dans le nord de l’île n'est pas aussi harmonieux que les Espagnols le souhaiteraient. Leur forteresse est trop éloignée de la Chine et bloquée par les forces néerlandaises, aussi l'Espagne ne peut commercer directement avec la Chine. Ils coopèrent donc avec le clan Zheng qui importe des produits chinois à Manille. Par ailleurs, l’Espagne n’entretient pas de bonnes relations avec le Japon. Les relations diplomatiques entre les deux pays ont été rompues en 1624, en raison des activités missionnaires des jésuites espagnols A partir de 1633, le gouvernement japonais met en œuvre une politique isolationniste. Il ferme le port de Nagasaki et interdit le commerce extérieur. Toutes les puissances européennes sont expulsées : Espagnols, Portugais et Anglais. Seule la VOC et le clan Zheng sont autorisés à poursuivre des échanges avec le Japon, avec comme unique point de contact l’île de Dejima, dans la baie de Nagasaki au sud de l’archipel nippon (Gou, 2018).

Cette situation contrarie les visées du gouvernement Espagnol, consistant à promouvoir le catholicisme au Japon et de commercer avec ce pays. A cela s’associent des conditions climatiques défavorables dans le nord de Taiwan et la résistance des autochtones, qui rendent difficile le contrôle du territoire. De nombreux migrants espagnols décident alors d’aller vivre à Manille. A partir de 1635, l'Espagne commence à réduire ses troupes stationnées à Taiwan, puis renvoie les trois quarts de ses troupes aux Philippines. La fortification du Fort Santo Dormingo à Tamsui est abandonnée. La diminution des troupes espagnoles restées à Keelung engendre le déclin progressif de la domination espagnole dans le nord de Taiwan (Yang Y.-j., 2000, pp. 69-70). En 1642, les Hollandais envoient une flotte pour capturer Keelung, chasser les Espagnols et unifier la partie nord de Taiwan. Les Hollandais reprennent alors les forts laissés par les Espagnols et leurs autres constructions dans la région.

Conclusion

Du XVIème au XVIIème siècle, on assiste à la première vague d’expansion des pays

européens en l’Asie de Sud-Est dans un but commercial. Il s’agit dans un premier temps des Portugais, des Espagnols, et des Néerlandais avec la VOC. Ces puissances exercent leur influence en Asie du Sud-Est en établissant des comptoirs afin de faciliter leurs trajets commerciaux. Au fur et à mesure que les puissances occidentales développent des routes maritimes en Asie de l'Est, certaines villes portuaires gagnent en influence et deviennent des sièges régionaux, comme Manille et Batavia.

A cet égard, Tayouan apparaît comme un comptoir commercial secondaire dans la région, mais l’île de Taiwan ne présente pas moins une importance stratégique au plan géopolitique grâce à sa localisation centrale sur la façade pacifique de l’Asie orientale. Les Néerlandais, situés au sud-ouest de l’île à Tayouan, peuvent facilement accéder aux marchés chinois et japonais. L'Espagne a des intentions similaires mais son commerce en Asie du Nord-Est n'est pas aussi fluide que celui des Pays-Bas. Limitée à la politique isolationniste du Japon, l'Espagne ne peut pas commercer avec ce pays. Sur le plan géographique, la côte chinoise est contrôlée par les Néerlandais de sorte que les forteresses espagnoles du nord de Taiwan ne peuvent se développer en comptoir commerciaux et se maintiennent à une fonction de défense contre la poursuite de l'expansion des forces néerlandaises.

On peut s’étonner de ce que le cas taiwanais ne soit pas mentionné dans la littérature occidentale sur les comptoirs coloniaux et les villes portuaires. Deux raisons l’expliquent. D'une part, la plupart des comptoirs commerciaux ont été développés en Asie du Sud-Est alors que Taiwan est située en Asie du Nord-Est et n’est donc pas située sur la principale route commerciale des puissances occidentales de l'époque. D’autre part, l’île n’a pas connu comme les autres comptoirs une occupation coloniale occidentale continue, mais une prise en main par des gouvernements chinois à l’économie moins avancée pendant plus de deux cents ans (Hein, 2013). Taiwan occupe donc une position à part dans l’historiographie coloniale en raison de la singularité de son régime colonial.

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