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1.3 Un contrôle administratif et policier

Le système cadastral moderne contribue non seulement au développement du capitalisme dans l'île, mais facilite également son administration. A l’époque des Qing, la formation des villages han se construisait selon les liens lignagers familiaux (les habitants d'un même village partagent le même nom de famille). Puis, les Qing adoptèrent le système baojia, une organisation locale d'autodéfense des han chinois traditionnels créée à l'ère Ming, pour maintenir l'ordre public et aider à identifier la population et le nombre de ménages. Cependant, en raison de l'absence d'une portée spatiale claire et d'une cartographie limitée, le contrôle des Qing eut peu de mainmise sur la société locale (Shih, 2000). Le système de police ne put lutter efficacement contre les initiatives de rébellion. Généralement les villages taiwanais se formaient en tenant compte des liens de filiation familiaux. Cependant, en raison de la faiblesse du contrôle des Qing, ces villages étaient difficilement repérables sur une carte (Shih, 2000).

Suite à l'établissement du système cadastral en 1904 et du premier recensement en 1905, le contrôle du Gouverneur colonial peut en revanche s’étendre à l’échelle individuelle avec l’aide du système baojia, formant ainsi un dispositif complet d'enregistrement des ménages. Le système de huji (戶籍), ou hukou (戶口)26, qui combine

les informations généalogiques de chaque ménage avec le terrain, est établit au moment de l'occupation japonaise. Au travers de ce système d'état civil et d'enregistrement des familles, le Gouverneur colonial intègre parfaitement le système de police à la vie quotidienne du peuple taiwanais (Suemitsu, 2007; Tsai X.-m., 2015).

26 Un système d'enregistrement similaire existe au sein des structures de l'administration publique de tous les pays d'Asie de l'Est influencés par l'ancien système de gouvernement chinois. Les prononciations locales du nom du registre des ménages varient, mais toutes dérivent des mêmes caractères chinois. Le système

hukou, connait également sous le nom de système huji, en Chine et à Taiwan. Le système koseki (戸籍)

Gotō Shinpei réforme le système policier selon deux niveaux. Au premier niveau, il combine les rangs de la police japonaise avec les divisions administratives. La réforme de la division administrative en 1901 instaure quatre grands échelons hiérarchiques, liés au système policier : les 20 préfectures sont divisées en sous-préfectures, districts et villages,

le tout sous la direction du Gouverneur Général de Taiwan. Chaque préfet a un inspecteur

de police sous son autorité. Au niveau sous-préfectoral, ce sont directement des policiers qui sont en charge du poste de vice-préfet. Ainsi, à partir de 1901, la police n'est pas seulement responsable des questions de sécurité, mais aussi des affaires administratives (Tsai, 2006).

Au deuxième niveau, Gotō Shinpei crée de petits postes de police à l’échelon local (hashutsujo 派出所)27 avec le système de baojia et du groupe de zhuangding tuan (壯丁團

) composé des élites han pour maintenir la sécurité et l'ordre public. Ces petits postes de police, associés au système de sécurité baojia deviennent le principal pouvoir au niveau local. Ces premiers sont implantés dans des zones densément peuplées ou à l'intersection de routes principales. Le réseau du système policier est surtout concentré dans l'ouest de Taiwan (Tsai X.-m., 2015), comme l’indique la carte 10. Le gouvernement japonais fait de ce système un auxiliaire de son dispositif policier pour renforcer son contrôle sur les han. Selon les règles de baojia, dix ménages forment comme un jia, et dix jia un bao. Chaque jia et bao possèdent un chef. Parmi les habitants de plusieurs bao, un « groupe de zhuangding », composé d’individus âgés de 17 à 47 ans, est formé pour aider la police japonaise à maintenir l'ordre. Sur le plan opérationnel, un petit commissariat dirige quelque bao et un groupe de zhuangding.

La mission des baojia consiste à aider au règlement des affaires administratives. Leurs tâches sont diverses : collecter l’impôt, transmettre les petits postes de la police japonaise, réparer les routes, enquêter sur les ménages, surveiller les personnes suspectes et encourager les élèves à fréquenter les écoles publiques. Concernant les

27 Le « petits postes » a d'abord été appelé kōban (交番). En 1881, il a été rebaptisé hashutsujo (派出所,

groupes de zhuangding, tout en aidant les policiers à maintenir la sécurité dans les baojia, ils s'occupent des secours en cas de catastrophe (Tsai X.-m., 2015). Malgré qu’ils ne soient pas rémunérés, ces postes honorifiques attirent les élites locales parce qu’ils représentent un symbole du pouvoir politique. Par ce moyen politique, le Gouverneur colonial peut contrôler les élites locales avec une approche coopérative et acquérir l'obéissance des autres catégories de population (Wakabayashi, 2006).

Au niveau du contrôle économique, la création des organisations agricoles est un autre moyen de domination de Taiwan. Le Gouverneur Général de Taiwan crée deux échelles hiérarchiques d'organismes agricoles officiels pour mettre en œuvre les politiques de l'Empire japonais de « l’agriculture à Taiwan, l’industrie au Japon » (nongye

Taiwan, gongye Riben 農業台灣,工業日本). A partir de ces agences, le Gouverneur

colonial peut avoir une connaissance très approfondie de la situation financière et de la productivité de chaque paysan et intervenir en fonction de ses besoins. Au niveau des préfectures, l'association agricole (nonghui 農會) est créée en 1909. Elle s’attache à exercer des politiques agraires, à percevoir des taxes, à préserver des vallées rizicoles, à fournir des engrais et d’autres matériaux de production (Ding & Hu, 2012). En 1913, l’Etat colonial introduit l'organisation agricole des « coopératives industrielles (chanye zuhe 產 業 組 合) » au niveau local selon le même système qu'au Japon. Ces coopératives industrielles s'établissent dans le but d'améliorer la technologie de production agricole (par exemple l'utilisation des engrais), de moderniser les produits agricoles et d'aider les agriculteurs à les vendre sur le marché local ou à les exporter au Japon. Ils ont la même fonction qu’une banque et fournissent par exemple des services de prêts financiers et d'épargne (Lee, 2008). Le Gouverneur colonial diffuse ce type d'organisation sur le territoire de Taiwan, afin qu’au sein de « chaque ville et village, il existe une coopérative industrielle » (Suemitsu, 2007, p. 195).

L’Etat colonial exige que chaque paysan taiwanais adhère à ces organisations à l’échelle locale. De plus, le président de ces organisations est le baojia (l'élite locale) ou le maire des arrondissements, ce qui renforce l'efficacité de leur fonctionnement (Lee, 2008). En conséquence, le nombre d'organisations « coopératives industrielles » augmente

rapidement. En 1917, 127 de ces organisations sont établies et leur localisation s’étend sur 44% des régions peuplées ; en 1927, le nombre atteint 377, et 501 en 1940. Leur diffusion à l’ensemble de la colonie est bien achevée (Ding & Hu, 2012).

Ces organisations agricoles officielles donnent des avantages supplémentaires à la colonie. Premièrement, elles contribuent au développement de l'économie taiwanaise en lui permettant d'intégrer le système de marché métropolitain du Japon et d'établir un modèle capitaliste d'économie de marché. Le gouvernement japonais unifie les poids et les mesures (métriques, monétaires, temporelles en particulier) pour les aligner sur les normes internationales. Deuxièmement, ces organisations fonctionnent comme des chaînes de commercialisation par lesquelles les entreprises de la métropole peuvent introduire des engrais chimiques et divers matériaux de production agricole sur le marché colonial étranger. Troisièmement, les services offerts par ces organisations permettent aux immigrants japonais de jouir d'une qualité de vie à Taiwan comparable à celle du Japon, en particulier pour répondre aux besoins des fonctionnaires, des membres de l'armée et de la police, ainsi qu’à ceux des autres catégories de travailleurs salariés. Pour ces colons japonais, ces organisations fournissent une aide financière et importent des produits quotidiens du Japon, les aidant à s'installer dans les colonies (Ding & Hu, 2012).

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