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1.2 Autonomisation financière du territoire taiwanais

Durant les premières années d'occupation, les autorités japonaises ont de grandes difficultés à contrôler l'île. Un grand nombre de Japonais décèdent par suite de la forte résistance du peuple taiwanais et des mauvaises conditions sanitaires causées par le climat chaud et humide (Suemitsu, 2007)23. Pour maintenir des forces militaires à Taiwan,

10 millions de yens doivent être dépensés chaque année, dont 7 millions sont attribués par la métropole. En conséquence, l'opinion publique japonaise considère que l'occupation de Taiwan est trop coûteuse. En 1897, la Diète japonaise envisage la vente du territoire taiwanais à la France pour 100 millions de yens (Ding & Hu, 2012). Cependant, les Français colonisent l’Indochine et ne s'intéressent plus à Taiwan (Inō, 2017, p. 761)24. L’allocation de la métropole à Taiwan est alors réduite de 7 à 4 millions à

partir de 1898.

En dépit de cette situation défavorable pour le premier Gouverneur Général de Taiwan (GGT, Taiwan zongdu fu 臺灣總督府)25, Kodama Gentarō, la situation financière

de Taiwan s’améliore rapidement grâce aux initiatives de Gotō Shinpei (Tadao, 2014; Ng,

23 Pour être exact, le nombre total de troupes japonaises impliquées dans la prise de contrôle et la pacification de Taiwan s'élève à plus de 50.000, plus environ 26 000 civils conscrits. Plus de 12 000 personnes meurent de maladies tropicales telles que le paludisme, quelque 14 000 meurent et 30 000 est blessées dans les combats rebelles (Suemitsu, 2007, pp. 63-64).

24 La France s’oppose fermement à l'occupation de Taiwan par le Japon et offre même aux Qing de les laisser occuper temporairement Taiwan, mais cette proposition est rejetée par les Qing (Inō, 2017, p. 761). 25 Durant la colonisation japonaise, le Gouverneur Général a le pouvoir absolu et le plus élevé du souverain de Taiwan. Généralement, ces Gouverneurs Généraux sont membres de la Diète, fonctionnaires, nobles ou généraux. Au cours des 50 années de colonisation nipponne, 19 gouverneurs généraux de Taiwan et 18

2013). Gotō émet des emprunts d'Etat pour la construction d'un chemin de fer continental et supervise la modernisation des techniques de production agricole. Mais c'est surtout grâce à la réforme agraire qu'il réussit à accroître les ressources propres de la colonie. Dès 1905, Taiwan atteint une situation d’équilibre financier à l’égard de la métropole et y exporte même un surplus (Ding & Hu, 2012). En 1907, son revenu annuel atteint trois fois celui de la première année d'occupation, et 44 fois en 1942 (Foreign Trade Association, 2008).

La réforme agraire joue un rôle clé dans l'augmentation rapide des revenus financiers de la colonie. Elle est basée sur un cadastre qui lie la propriété foncière à son exploitation, ce qui rompt avec le système foncier précédent. A l’époque des Qing, en raison d’une règle manchoue, l’autorité cherchait à contrecarrer le pouvoir croissant des immigrants han en protégeant les droits des peuples autochtones sur les terres. Les Japonais poursuivent cette politique, après avoir divisé le peuple autochtone en deux groupes : les sauvages cuits qui vivent dans la plaine ouest, sous le contrôle de l'autorité et les sauvages crus, non contrôlés, qui habitent dans les montagnes. Les sauvages cuits sont titulaires d’un droit de propriété sur les terres agricoles dont les han sont métayers (voir Chapitre III, 2.2 - Conflits d’occupation des terres entre immigrants han et aborigènes). Cependant, au cours des deux siècles de domination des Qing, les han avaient connu une montée en puissance en nombre et en pouvoir économique. Le système fiscal de l'ère Qing, selon lequel les sauvages cuits recevaient un loyer des han et payaient l’impôt foncier avec ces revenus, ne peut donc plus fonctionner efficacement. Par conséquent, le gouvernement colonial nippon instaure un nouveau régime foncier en 1904. Il supprime les droits de propriété des sauvages cuits et les compense par des obligations d'État (bons du Trésor). Les droits de propriété foncière sont donc transférés aux agriculteurs han, avec un enregistrement officiel sur le cadastre.

Après avoir terminé le travail cadastral dans les plaines de l'ouest, le Gouverneur colonial se tourne vers les montagnes inexplorées de l'est de l’île. A partir de 1909, il met en œuvre une politique d'immigration visant à encourager des colons japonais à s’installer dans l’Est de l’île. Des villages d'immigrants agricoles japonais sont établis à Hualien et à Taitung dans l'espoir d'assimiler progressivement les sauvages crus. Cette

politique est abandonnée moins de dix ans plus tard pour cause d'inefficacité. Le Gouverneur colonial espérait attirer 60 000 colons, mais seulement 3 000 se sont installés dans cette région (Chang S.-f., 2017, p. 399).

En 1910, le Gouvernement général de Taiwan met en œuvre un « plan quinquennal pour soumettre les sauvages » (wunian lifan jìhua 五年理蕃計畫) de 1910 à 1915 par la force. En raison de la forte résistance des sauvages crus, il ne les assujettit complètement qu’en 1920, et est donc capable de contrôler la moitié orientale des terres. Le Japon est donc le premier régime à prendre le contrôle de la totalité du territoire de Taiwan (cf. Carte 11). Avec la pacification des sauvages crus, les Japonais suppriment le terme de « sauvage », imposant leur vue civilisationnelle de colonisateurs. Le nom des sauvages cuits est remplacé par celui de tribus des plaines (pingpu zu 平埔族) et le nom des sauvages crus par les tribus des montagnes (gaosha zu 高砂族) (Chan, 2008, p. 7) (cf. Figure 5 et 6). La moitié orientale des terres est définie comme propriété du Gouverneur colonial et ses ressources naturelles, dont le camphre et les ressources forestières, sont aussi monopolisées par ce dernier. Ici, la violence employée par la puissance coloniale est justifiée par un discours civilisationnel pour optimiser l’exploitation économique de l’île (Heé, 2014).

Une fois la question de la propriété clarifiée par la loi, les transactions de vente et d'achat de terrains sont légalement garanties. Le système cadastral encourage les investissements massifs des capitaux japonais pour établir un monopole sur Taiwan, principalement dans les sucreries (Yao, 2006). C'est aussi une condition nécessaire pour le développement du capitalisme taiwanais (Tadao, 2014). Taiwan, jusque-là perçue comme un lourd fardeau, devient une île précieuse pour la métropole (Chang & Myers, 1963). En conséquence, le PIB annuel moyen de Taiwan passe d’environ 2% entre 1913 et 1922 à de 6% à partir de 1923 (Mizoguchi, 1979; Ho S. P., 1978).

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