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IV : Le régime colonial nippon (1895-1945)

Introduction

Au cours des dernières années de la dynastie Qing, le territoire chinois était envahi par des forces étrangères. Les Qing perdirent la première guerre sino-japonaise contre le Japon en 1894, à la suite de quoi la Chine dû céder Taiwan et ses îles périphériques (dont Penghu) au Japon en vertu du Traité de Shimonoseki. Pour la première fois, la totalité du territoire taiwanais entra sous contrôle d’une puissance étrangère. Et pour la première fois dans l’histoire, cette puissance coloniale n’était pas blanche. Ce fait a des implications majeures dans le mode d’administration de l’île ainsi que dans son organisation territoriale.

Le Japon fut contraint comme d’autres pays d’Asie à signer des traités inégaux ouvrant de force ses ports aux puissances occidentales20. Le nouveau gouvernement issu

de la rénovation de Meiji, après 1868, voulut faire de Taiwan une colonie exemplaire. L’enjeu était d’importance : il s’agissait de prouver aux puissances coloniales occidentales que le Japon était leur égal, afin d’éviter qu’il fut colonisé à son tour. L’autorité d’occupation nipponne s’appuya sur une approche scientifique pour mettre en œuvre son mode d’exploitation colonial. Grâce à la petite taille de son territoire, Taiwan devint un véritable laboratoire d’expérimentation coloniale, permettant à l’autorité nipponne de

20 La convention de Kanagawa (1854) autorisa les États-Unis à accéder aux ports japonais de Shimoda et Hakodate. Le traité de Shimoda (1855) définit la frontière entre le Japon et l'Empire russe. Une autre partie du traité ordonna l'ouverture des trois ports japonais de Nagasaki, Shimoda et Hakodate à la flotte russe. Les Traités de l'Ansei (1858), signés entre le Japon, d'une part, et les Etats-Unis, l'Empire britannique, l'Empire russe, les Pays-Bas et l'Empire français, d'autre part, demandaient que le Japon soit tenu d'appliquer les conditions accordées aux Etats-Unis en vertu de la clause de la « clause de la nation la plus favorisée » également aux autres pays. Les points les plus importants de ces "traités inégaux" pour le Japon étaient : l'échange d'agents diplomatiques, l'ouverture des ports d'Edo, Kōbe, Nagasaki, Niigata et Yokohama au commerce international, la possibilité pour les citoyens étrangers de vivre et de commercer librement dans ces ports (seul le commerce de l'opium est interdit), des droits de douane fixes faibles sur les importations et exportations, soumis au contrôle international, privant ainsi le gouvernement japonais

mettre en place un dispositif territorial de type continental, qui sera répliqué ensuite dans les autres colonies et territoires occupés par le Japon (Corée, Mandchourie).

1- Un contrôle territorial « scientifique »

Pour définir sa stratégie coloniale, l’autorité japonaise hésite initialement entre deux modèles coloniaux suivis par l'Angleterre et la France en Asie du Sud-Est, respectivement en Malaisie (sous occupation britannique de 1826 à 1946) et en Indochine (sous occupation française de 1887 à 1954).

Dans le cas de la Malaisie, le système administratif britannique fut progressivement mis en place de manière décentralisée sous la forme d'une fédération . Les colonies britanniques comprenaient les « établissements des détroits (1826-1946)», autrement dit de Malacca et de Singapour ; « les États malais fédérés (1896-1946)», constitués des États de Selangor, Perak, Negeri Sembilan et Pahang ; et « les États malais non fédérés (1904/1909-1946) », qui comprenaient les cinq états de Johor, Terengganu, Kelantan, Kedah et Perlis. Pour les Anglais, la stratégie coloniale consistait à maintenir la culture locale, sans chercher à imposer la langue et les traditions britanniques. En d'autres termes, ce mode d'occupation coloniale consiste en une « politique d'association » (Yazid, 2014). En revanche, la France présentait un système centralisé de gestion coloniale. Les Français mirent en place une politique d'assimilation des peuples indigènes à la langue et la culture françaises (Wen, 2015).

Ces deux modèles contrastés suscitèrent un vif débat au Japon sur l’approche coloniale à retenir. Un point de vue défendu par Gotō Shinpei (Houteng Xinping 後藤新平 ) chef des affaires civiles de Taiwan , s'appuie sur une perspective "biologique" qui converge vers la doctrine anglaise de colonisation à travers la politique d'association. Selon Gotō, les indigènes ne peuvent pas être complètement assimilés : « il n'est pas possible de remplacer les yeux de turbot par ceux de la dorade (...). Le fait que le turbot ait deux yeux d'un côté ne doit qu'à des raisons biologiques. Il est important de l'appliquer

à la politique (coloniale) » (Ito, 1993, p. 85). Gotō défend donc l’idée d’une politique préservant les pratiques et cultures traditionnelles des populations locales (Suemitsu 2007). L'autre point de vue est soutenu par le futur premier ministre du Japon, Hara Takashi (Yuan Jing 原敬), qui prône une politique d'assimilation des Taiwanais. Selon lui, ces derniers peuvent être soumis aux mêmes lois qu’en métropole, car leurs caractéristiques ethniques et culturelles sont similaires à celles du Japon. Cette approche est conforme à la doctrine coloniale française qui suit une politique d'assimilation systématique.

Au cours des 50 ans d'occupation japonaise à Taiwan, le système colonial japonais passe donc d'une politique d'association à une politique d'assimilation, s’achevant par une politique d'assimilation extrême ou de « japonisation » (huangminhua 皇民化) lors de la seconde guerre mondiale (Tableau 14). Selon Chou (1991, p. 41), la japonisation peut être considérée de deux points de vue : comme une intensification d'un processus d'assimilation en cours et comme une partie intégrante de la mobilisation en temps de guerre. Cette politique signifie littéralement "transformer [les peuples coloniaux] en sujets impériaux". La japonisation est donc un processus visant à façonner les peuples colonisés à l'image du colonisateur. Les autorités japonaises s'attendent à ce que tous les Taiwanais deviennent loyaux envers l'Empire japonais (Chou, 1991).

Années Politique coloniale/ Exécutif Contextes

1895-1918 avant WWI

Politique d’association/ Goto Shinpei (Chef des Affaires

civiles de Taiwan) Connaissance de l’î le par la me thode scientifique. 1919-1935

de mocratie en Japon

Politique d'assimilation/ Hara Takashi

(Premier ministre du Japon)

Contro le des sauvages crus ainsi que des insulaires par une approche douce a partir de l’e ducation et une restriction de droits politiques

1936-1945 avant et vers

WWII

Politique de japonisation/ Kobayashi Seizo

(Gouverneur ge ne ral de Taiwan)

Respect du Mikado (Empereur du Japon) et de la religion shinto (religion d'E tat), imposition de la langue japonaise et japonisation des noms taiwanais Tableau 14 : Evolution des politiques coloniales du Japon à Taiwan

Durant la phase initiale de la période coloniale, le gouvernement métropolitain nomme Gotō Shinpei pour mener à bien ses projets basés sur une approche scientifique. Celui-ci met en place l'arpentage de l’île avec la mise en place d’un système cadastral, ainsi qu’un recensement de la population et de ses coutumes. L'objectif est d'avoir une connaissance générale de cette île inconnue afin d'optimiser l'exploitation de ses ressources. Cependant, avec l'évolution vers une stratégie d'assimilation, les décisions de la métropole sont imposées sans prendre en compte la situation locale (Cheng, 2009). C’est la raison pour laquelle les résultats de recherche sur les populations locales menées sous la direction de Gotō Shinpei ne peuvent pas être mobilisés pour servir une stratégie coloniale d’association21.

Le changement de modèle colonial s’explique par l’évolution du contexte international. Certaines colonies obtiennent le droit à l'autodétermination après la Première Guerre mondiale, et Taiwan le revendique également à un moment où la métropole japonaise s’ouvre à de nouvelles formes de démocratie. Le premier ministre Hara Takashi s’empresse donc de lancer une politique d'assimilation de Taiwan, dans le cadre du « principe d'extension de l’Empire » (neidì yanchang zhuyi 內地延長主義). Puis la politique d’assimilation prend une tournure plus extrême en 1936, dite de « japonisation » lorsque le Japon se lance dans une politique impérialiste très agressive.

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