• Aucun résultat trouvé

1.2 Un régime de domination han déconnecté du continent

Un an après l'occupation de Taiwan, Zheng Chenggong meurt. Son fils, Zheng Jing ( 鄭經), issu de la troisième génération du clan Zheng, continue à diriger le pays. Zheng Chenggong a pour objectif de transformer Taiwan en base territoriale temporaire pour refonder l’empire chinois. Contrairement à l’idée de son père, Zheng Jing souhaite établir un régime permanent à Taiwan. Lors de la mort de Yonli en 1662, le dernier descendant de la dynastie Ming en Chine continentale, Zheng Jing renomme le territoire taiwanais « Royaume du Tungning» (Dongning wangguo 東寧王國) (paix dans l’Est) au lieu de « capitale orientale des Ming ». Il se démarque ainsi politiquement des mandchous au pouvoir en Chine. Cependant, pour maintenir la légitimité de ce gouvernement exogène à Taiwan, Zheng Jing conserve le calendrier de l’ère Ming comme référence (Hang, 2015).

En raison de l'opposition du clan Zheng aux Qing et de l'expulsion des Hollandais de Taiwan vers leur siège à Batavia, les Qing s’unissent avec les Néerlandais contre Zheng Jing et bloquent ses activités commerciales maritimes. Les Qing interdisent les activités économiques dans le détroit de Taiwan par une politique d’isolement. De ce fait, pour continuer le commerce maritime, Zheng Jing doit soudoyer des fonctionnaires du Fujian pour exporter des produits chinois par des réseaux de contrebande. Les Néerlandais poursuivent une politique stricte de blocus naval, combinée à des pressions diplomatiques pour éliminer la présence des Zheng dans les marchés et des sources de produits à travers les océans. Les Qing et les Néerlandais conviennent d'un arrangement prévoyant que les Néerlandais aideraient les Qing au niveau militaire. Les Néerlandais aident dans un premier temps les Qing à expulser les forces militaires du clan Zheng restées sur le continent chinois (de Xiamen, Jinmen et d'autres petites basesdu continent). Puis les Qing assistent les Néerlandais dans leur volonté de rétablir leur pouvoir à Taiwan. Par l’alliance militaire entre les Qing et les Néerlandais, Zheng Jing perd tous ses contrôles en Chine continentale et sa base à Xiamen. Il décide de s’installer complètement à Taiwan en avril 1664 (Hang, 2015). Cependant, malgré l’aide des Qing, les Néerlandais ne parviennent pas à réintégrer Taiwan.

Malgré les obstacles érigés par la dynastie Qing et des Pays-Bas, le clan Zheng parvient à développer des échanges commerciaux de vers les pays de la mer d'Asie orientale. Le plus gros de ces échanges s’effectue avec les Espagnols basés à Manille ainsi qu’avec le Japon (Figure 3). Le clan Zheng a des stratégies et des besoins très différents pour ces deux régions. Entre la route commerciale de « Tayouan (Taiwan) et Manille (Philippines) » (Huang & Huang, 2018), le clan Zheng joue le rôle de relais intermédiaire, fournissant à Manille des marchandises non produites à Taiwan comme la soie de Chine (obtenue par la contrebande) et le fer du Japon en échange d'épices et d'argent espagnol (Fang, 2003). L'Espagne ne peut pas commercer avec la Chine ou le Japon à cause des politiques isolationnistes pratiquées par les deux pays. Entre la route commerciale de « Tayuan (Taiwan) et Nagasaki (Japon) », le clan Zheng s’attache à développer les échanges des marchandises produites à Taiwan comme le sucre et la peau de daim contre du matériel d'armement comme le cuivre, dont les Zheng ont besoin pour l’effort de guerre (Hang, 2015). La production moyenne de sucre de Taiwan exportée vers le Japon est trois fois supérieure à celle des Pays-Bas. Les peaux de daim sont également vendues à des prix élevés au Japon, avec un bénéfice pouvant atteindre 300%, ce qui contribue grandement aux revenus financiers de Zheng (Tsai, 2005).

Figure 3 : Schéma du commerce maritime des Zheng

SOURCE : L’AUTEURE Taiwan-Tayouan (Tainan) sucre, peaux de daim Japon-Nagasaki

argent, cuivre, métaux et armures

Philippines Espanol - Manille

épices, argent espagnol

Chine des Qing

- tissus de soie

politique isolationniste

politique isolationniste contrebande

Le commerce maritime de Zhang Jing avec l’Espagne et le Japon est très fructueux. Cela stabilise le régime politique de Taiwan. Un système administratif sophistiqué destiné à gouverner un empire de la taille d’un continent est appliqué sur une petite île. A l’échelle nationale, en s’inspirant du système de gouvernance chinois, l’autorité de Zheng crée six bureaux : travaux publics, rites, punitions, revenus, défense et organes administratifs fonctionnels (Hang, 2015). A l’échelle locale, le système de baojia (保甲), mis en place sous la dynastie Ming, est introduit à Taiwan comme instrument de contrôle des populations locales. Ce système permet aux élites locales de maintenir l'ordre. Les ménages sont organisés en unités de responsabilité mutuelle. Ils se surveillent et se chargent de la bienfaisance, de la lutte contre les incendies et de la prévention du crime. Les lois sont mises en œuvre de manière stricte et les sanctions sont sévères (Hang, 2015). Au-delà des quartiers et des districts se trouvent les colonies militaires, où les commandants et leur base vivent de l’agriculture. Le clan Zheng maintient l'autonomie des villages autochtones qui existent depuis l'époque néerlandaise, dans lesquels, les chefs disposent d'une marge de manœuvre importante dans la gestion de leurs tribus.

Tous les trois ans, Zheng Jing dépêche des géomètres pour ajuster les mesures et mettre à jour les taux d’imposition sur l’île. En outre, le clan Zheng finance des projets de développement d’infrastructures, la construction de routes et de ponts dans les villes principales pour faciliter la circulation et les échanges. Ces équipements urbains aident à la croissance des villes. La capitale Chengtian, sa ville portuaire d’Anping et les sièges des sous-préfectures de Tianxing et de Wannian sont très prospères. La construction devient une industrie importante. La demande de logements augmente avec celle de la population. Ces activités commerciales deviennent une nouvelle source majeure de recettes fiscales pour les Zheng (Hang, 2015).

Après des décennies d’exercice du pouvoir par son clan, Zheng Jing finit par considérer Taiwan comme une entité politique indépendante de la dynastie Qing. Selon lui : « Taiwan possède de vastes terres, une nourriture abondante, un commerce sans entrave avec les pays voisins et de bonnes relations diplomatiques. Les marchandises commerciales de l'île circulent sans problème et ses habitants sont suffisamment unis pour se débrouiller seuls. Dans ce cas, nous n'avons pas besoin de devenir une possession

de la dynastie Qing pour obtenir un soutien financier, et nous n'avons pas l'intention de retourner en Chine continentale (National Palace Museum (ROC), s.d.)». Les historiographies britanniques et japonaises définissent le « Royaume de Tungning » comme un pays indépendant ayant une vocation commerciale. Certains documents étrangers désignent même Zheng Jing comme « le roi de Taiwan » (Huang & Huang, 2018, p. 41).

Zheng Jing entreprend une série de réformes radicales. Elles complètent la transformation du régime, qui passe d'une unité militaire maritime à un empire plus vaste à une forme d’Etat (« Royaume de Tungning »). Ainsi, ces mesures maintiennent une base solide et prospère pour développer des activités dans l’Asie de l’Est maritime. Les vastes étendues de terres acquises passées sous contrôle à Taiwan exigent naturellement une organisation étatique plus complexe.

La situation privilégiée du clan Zheng à Taiwan se détériore cependant quelques années après. Malgré une domination harmonieuse, de 1674 à 1680, Zheng Jing tente d'attaquer la dynastie Qing et d'occuper la côte sud-est de la Chine. Cependant, son ambition ne se concrétise pas. En parallèle, il fait face à des mouvements de résistance liés à d'énormes pressions financières et alimentaires. Au cours de cette période, des officiers et soldats se mutinent. De plus, la difficulté de recrutement de militaires ainsi que la diminution des impôts provoquent une crise politique. Le gouvernement de Zheng Jing se heurte également à plusieurs reprises à des révoltes de peuples autochtones. Pour renforcer ses défenses, Zheng avait recruté des soldats chinois et des indigènes pour construire les villes fortifiées du nord de Taiwan : Keelung et Tamsui (dans la périphérie de Taipei). En raison des vents contraires, la partie Nord de l’île ne peut pas être approvisionnée en grain et Zheng Jing fait appel aux « coolies indigènes » pour le transport terrestre. En raison de la forte pression sur les populations autochtones et de la gravité de la pénurie alimentaire en 1683, de nombreuses tribus se rebellent (Shepherd, 2016).

Zheng Jing meurt en 1681 ; son jeune fils, Zheng Keshuang (鄭克塽), la quatrième génération du clan Zhang, lui succède comme roi de Tungning. Cependant, la pénurie alimentaire à Taiwan se prolonge et la dynastie Qing exige le retour des forces militaires de Zheng en Chine. Cela entraîne le départ de nombreux officiers et soldats. En 1682, un incendie se déclare dans la capitale, détruisant plus d'un millier de maisons et de magasins. Le problème de la pénurie alimentaire s’aggrave. En 1683, une importante bataille navale a lieu à Penghu et détruit les forces défensives de Zheng. L'armée terrestre de Zheng capitule après une résistance de deux mois et la dynastie Qing prend officiellement le contrôle de Taiwan (Shepherd, 2016).

En tant qu’ « Etat informel », selon Patrizia Carioti (1996), le clan Zheng tente, tout au long de son existence, de légitimer leur pouvoir selon un référent continental. Selon la situation géopolitique, son statut évolue entre un gouvernement féodal, un vassal des Qing ou un royaume maritime indépendant (Hang, 2015)13. Aucun de ces modèles n’est

cependant mis en œuvre de façon aboutie. En réalité, le clan Zheng ne pouvant pas constituer de régime permanent à Taiwan, son occupation ne dure que 26 ans. Le clan Zheng suit une trajectoire similaire à la conception de John L. Anderson sur le « cycle de piraterie » : si les pirates ne sont pas assez forts pour devenir un État indépendant ou pour rejoindre un État en tant que force militaire officielle, ils se scindent à nouveau en organisations illégales ou risquent d'être anéantis par d'autres forces (Anderson, 1995). Malgré cela, la souveraineté des Zheng a marqué une rupture dans l’histoire de Taiwan par l’indépendance qu’elle a institué, à la fois vis-à-vis des puissances occidentales et des dynasties chinoises.

Documents relatifs