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changement identitaire Consigne

Chapitre 2. Recherche préliminaire du terrain

III- Vérification de l’état de la représentation

Les éléments de la représentation sont généralement des mots ou groupes de mots que l’on recueille avec des techniques différentes. Pour notre étude, nous avons choisi la technique associative. Mais bien que « la passation des épreuves associatives (soit) forcément individuelle (…), les ressources de l’interprétation de (ces représentations) (…) visent seulement à raisonner sur leur organisation collective » (Flament, 2003, p.58).

Pour comprendre l'organisation collective des représentations de l'Islam et celles du Musulman, nous devons nous interroger sur la façon dont ces représentations sont structurées dans la pensée collective des jeunes étudiants tunisiens, si elles sont organisées autour des connaissances partagées, si elles sont en phase de stabilité ou de transformation, si elles sont encore résistantes, malgré les transformations sociales. En bref, ces représentations sont-elles structurées autour d’un noyau central unique, stable et résistant ou autour de plusieurs noyaux centraux différents non autonomes ?

Rappelons qu’une représentation autonome est structurée sur la base d’un seul consensus et organisée autour d’un noyau central unique avec une maîtrise notionnelle et pratique satisfaisante de l’objet représentationnel. Pour mesurer cette autonomie, et avant même d’entamer l’interprétation des données recueillies, les chercheurs en représentations sociales conseillent de faire deux types d’analyses sur l’état de la représentation, il s’agit d’une analyse qualitative (Moliner, 2002) et d’une analyse quantitative (Flament et Rouquette, 2003).

1. Analyse qualitative

1.1. Islam et Musulman, objets représentationnels ?

Avant toute étude dans le champ des représentations sociales, Moliner (1996) conseille de poser cinq questions; L’objet de représentation est-il polymorphe ? Le groupe étudié a-t-il les caractéristiques d’un groupe ? La maîtrise de l’objet de représentation constitue-t-elle un enjeu en termes d’identité ou de cohésion ? Sa maîtrise constitue-telle aussi un enjeu pour d’autres acteurs sociaux interagissant autour de cet objet et avec le groupe envisagé ? Le groupe est-il régi par un système orthodoxe ? Nous allons vérifier, dans ce qui suit, si ces critères correspondent aux objets de notre étude « Islam » et « Musulman ».

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1.1.1. L’objet

Les deux objets de cette étude sont bien polymorphes et constituent des enjeux pour les groupes concernés. En effet, avant et après l’indépendance de la Tunisie, l’Islam et le Musulman sont toujours au centre des débats passionnés entre différents acteurs sociaux et évoquent des conceptions et des idéologies multiples et contradictoires en rapport avec l’identité du Tunisien. Après le 11 septembre, le Musulman et l’Islam deviennent sur le plan mondial la cible des médias et des programmes télévisuels, ce qui a influencé négativement l’image du Musulman conservateur en Tunisie. Il s’agit bien de deux objets importants qui touchent de très près l’identité culturelle du groupe que nous allons impliquer dans l’étude.

1.1.2. Le groupe

Il s’agit d’un groupe de jeunes étudiants tunisiens. Les jeunes représentent une tranche d’âge située entre deux générations, les enfants et les adultes. cette catégorie incarne alors les valeurs du passé et les attentes et aspirations de l’avenir, d'autant plus, elle est l'héritière de la culture moderne (celles des enseignants) et de la culture traditionnelle, notamment celle des parents. Donc, l’Islam et le Musulman doivent constituer, pour cette catégorie sociale, des objets de représentation fort importants et fort intéressant à étudier.

1.1.3. L’enjeu

Le débat entre les Laïcs et les Islamistes cité dans l’introduction montre combien la question de l’Islam et du Musulman est saillante dans le champ social tunisien. On a constaté cet enjeu même pendant la passation des questionnaires d’évocation, dans la majorité des rencontres avec les jeunes tunisiens et même sur Internet entre les bloggeurs. Sans aucun doute, l’Islam mobilise deux types d’enjeux, identitaires et de cohésion, puisque les groupes interagissant autour, tantôt, ils se ressemblent, tantôt ils se distinguent les uns des autres en fonction de leurs représentations et de leur position par rapport à cet objet.

1.1.4. La dynamique

« Si les sujets mettent en place un modèle représentationnel, c’est parce que autrui les pousse à le faire » (Vidal, 2004, p.147). C’est d’abord, la politique répressive de Ben Ali sur les jeunes pratiquants persécutés continuellement dans les lieux de culte, et les jugements négatifs des Musulmans d’Orient diffusés quotidiennement dans les chaînes télévisuels contre les Musulmans Tunisiens. Cette double pression interne et externe contribue à l’élaboration de différents types de représentations sociales de l’Islam et du Musulman.

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1.1.5. L’absence d’orthodoxie

L’orthodoxie est un système normatif rigide dominant le groupe et l’empêchant de produire une représentation sociale. En effet, en Tunisie, contrairement aux autres pays musulmans, la pression politique sur le religieux a donné aux jeunes une certaine liberté intellectuelle pour penser leur religion, qui est pour la majorité l’Islam, sans trop de tabou ni de censure religieuse.

L’Islam et le Musulman forment bien deux objets de représentations sociales.

1.2. Le Musulman, objet catégoriel ?

Il reste à vérifier maintenant si « Musulman » forme un objet de catégorisation pour les sujets interrogés. Ainsi, le choix d’une catégorie dépend de deux critères, l’accessibilité et la correspondance entre la catégorie et la réalité. L’accessibilité est fonction du but qu’un groupe donné veut réaliser, par exemple si les jeunes sont à la recherche d’une image sociale positive, ils ne peuvent ne pas développer chez soi l’image du bon musulman puisqu’elle correspond aux valeurs dominantes dans l’environnement social, l’accessibilité veut dire que cette catégorie vient rapidement à l’esprit lors d’une discussion et porte une valeur émotionnelle dans la définition de soi. Rappelons, qu’il y a deux catégories de musulman, le bon et le mauvais. Il semble que la proximité géographique et culturelle à l’Occident a un lien avec cette catégorisation. On parle très souvent différemment du musulman maghrébin, notamment tunisien, et du musulman d’Orient. Cette catégorisation s’implique dans des groupes psychologiques auquel correspond une résonnance personnelle et subjective. Aujourd’hui, le musulman constitue aussi un objet de classification à l’échelle mondiale pour différencier le fanatique du tolérant, le traditionnaliste du moderniste.

Le Musulman constitue alors à la fois un objet de représentation et de catégorisation sociale.

2. Analyse quantitative

Flament et Rouquette (2003) proposent de fonder le diagnostic de l’état de la représentation en tenant compte, dans l’ensemble des termes recueillis, deux propriétés : la

diversité et la rareté, qu’il faut calculer en fonction des caractéristiques spécifiques des mots

recueillis. Pour calculer l’indice de diversité (T/N) et l’indice de rareté (Hapax/N), nous définissons d’abord les données nécessaires :

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N : nombre total des mots, nombre des occurrences du fait que certains mots sont cités

plusieurs fois.

T : Nombre total des mots différents.

Hapax : le nombre de mots différents apparus une seule fois (fréquence = 1). Nous le

repérons du tableau « Distribution des fréquences » traité par le programme Evoc 2003.

2.1. L’indice de diversité (T/N)

Cet indice permet de mesurer la variabilité inter-individuelle dans chaque groupe, s’il

y a un consensus, une connaissance partagée dans les associations des sujets citées sous les mots inducteurs « Islam » et « Musulman » dans les deux consignes. Nous obtenons par le rapport T/N un premier indice sur la spécificité interne de la population des réponses. En effet, ce rapport varie entre (0, 1).

· Plus l’indice de diversité tend vers 1, plus les sujets ont répondu de façon différente, ce qui implique la présence de plusieurs noyaux organisateurs dans la représentation. Cela veut dire qu’il n’y a aucune répétition des mots associés « chaque occurrence s’identifie à un type donc aucun consensus n’apparait à travers les réponses recueillies au sein du groupe étudié (…) et on peut pratiquement exclure l’existence d’une représentation de l’objet auquel renvoie l’inducteur dans le groupe social considéré » (Flament, 2003, p.58).

· Plus l’indice de diversité tend vers 0, plus la majorité des sujets ont répété les mêmes mots, ce qui veut dire qu’il y a une connaissance partagée ou une stéréotypie de réponses à propos de l’objet auquel renvoient les mots inducteurs « Islam » et « Musulman ». Les représentations produites seraient ainsi consensuelles et autonomes, chacune est régie par un principe organisateur interne et unique.

2.2. L’indice de rareté (hapax/N)

Pour Flament et rouquette (2003), afin de renforcer le diagnostic de la variabilité interindividuelle des réponses au sein du groupe, il fallait considérer également l’indice de rareté. En effet ce ne sont pas seulement les répétitions, ou la redondance de certaines réponses qui devraient renseigner sur la force du consensus et la stabilité de la structure interne de la représentation mais aussi le nombre de hapax. Un hapax est un terme apparu une seule fois dans les réponses des sujets, il renseigne sur l’homogénéité des réponses des sujets.

Page 183 L’indice de rareté est alors une mesure de la proportion de hapax dans la population des réponses.

· plus l’indice de rareté tend vers 1 plus la population de réponses contient de hapax et plus la variabilité inter-individuelle est importante, et plus la stabilité et l’organisation de la représentation est faible.

· plus l’indice de rareté tend vers 0, plus le hapax est bas et plus la représentation est autonome, consensuelle et bien structurée.

Flament (2003) précise que ces deux indices ne sont pas concurrents mais renseignent avec deux regards différents sur la qualité de la population des réponses obtenues pour l’étude de la représentation, en effet une minimisation de la diversité et de la rareté pourrait affirmer l’existence d’une structure interne de la représentation à étudier.

2.3. Calcul sur la population des associations produites sous le mot

inducteur « Islam »

Les calculs sur les associations présentés dans le tableau ci-dessous sont réalisés par le programme Evoc. version 2003.

Tableau 2. Aperçu global des données recueillies cités sous le mot inducteur « Islam »

Variables Indépendantes

Consigne Normale Consigne de Substitution N T Hapax Moyenne N T Hapax Moyenne Garçons Pratiquants 243 126 88 3,00 230 166 120 2,98 Garçons Non pratiquants 284 130 95 2,99 274 168 126 2,89 Filles Pratiquantes 321 145 101 2,97 319 208 166 2,98 Filles Non pratiquantes 223 113 76 3,03 228 154 123 3,03

Nous constatons qu’en contexte normal les hapax sont faibles par rapport à ceux obtenus en contexte de substitution. Néanmoins, nous constatons que les réponses des garçons pratiquants et celles des filles non pratiquantes sont plus consensuelles puisque leurs hapax sont faibles.

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Tableau 3. Indices de diversité et de rareté liés au mot inducteur « Islam »