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2.4.2 Ben Ali et l’Islam

Chapitre 3. L’identité: dimension catégorielle

VIII- Les explications des stéréotypes et de la discrimination

2. Explications intra individuelles

Les expériences portant sur la catégorisation ont permis de mettre en évidence les différentes stratégies cognitives que les individus et les groupes adoptent pour différencier entre endogroupe et exogroupe.

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2.1. L’explication ensembliste

Cette explication tend ses origines dans deux approches classiques, psychologiques et linguistiques qui supposent que la catégorie est un ensemble d’éléments d’exemplaires (Medin et Schaffer, 1978) partageant des attributs communs et dont la coexistence est essentielle pour la définition de la catégorie, aucun de ces exemplaires n’est alors meilleur que l’autre. En effet, la mémoire ne procède pas par un calcul d’abstraction, mais se contente d’enregistrer les informations relatives aux personnes. Notamment, c’est par le biais du langage et des représentations que les individus vont reconnaitre que tel exemplaire fait partie de telle catégorie. En revanche, décidé qu’un exemplaire appartient ou non à la catégorie va activer un grand nombre d’exemplaires, de concepts et de représentations dont la reconnaissance nécessite un travail cognitif coûteux. Cette classification rigide et trop mécaniste des personnes est à l’origine du phénomène de stéréotypisation et de discrimination.

2.2. L’explication prototypicaliste

Si les exemplaires étaient conçus par le modèle ensembliste comme étant identiques et aucun ne devrait en être le meilleur, Posner et Keele (1968) et Rosch et al. (1975 ; 1978) ont mis en évidence l’existence d’un phénomène dit de « typicalité » qui fait que certains exemplaires sont plus ou moins meilleurs que d’autres. Selon eux, les individus, membres d’une catégorie, grâce à leurs expériences personnelles, développent un modèle abstrait, un prototype, qui serait le résumé, la synthèse de tous les membres de la catégorie. De ce fait, certains exemplaires sont « plus ou moins indifférenciés (…) appartiennent plus ou moins à la catégorie et (…) sont ainsi plus ou moins centraux » (Deschamps et Moliner, 2008, p.67). L’élément le plus central est le prototype, il est le plus représentatif de la catégorie de façon que l’élément le plus typique de la catégorie soit celui le plus proche du prototype. Ce modèle explicatif met alors l’accent sur l’importance des relations de similitude entre les éléments de la catégorie et sur leur visibilité sociale, voire « la facilité d’accès des attributs définitoires d’une catégorie » (Berger, 1997).

Le principe d’organisation et le principe d’économie cognitive conduisent, selon Rosch, à déduire deux structures de la catégorie, verticale et horizontale.

· Avec la structure verticale, les catégories sont organisées selon trois niveaux d’inclusion, niveau inférieur (subordonné), niveau supérieur (supra ordonné) et niveau de base (intermédiaire) qui est le plus important, le plus utilisé par les

Page 98 individus et le plus accessible par la mémoire du fait qu’une seule image mentale suffit pour résumer toute la catégorie, comme lorsqu’on dit la Tunisie est un pays

maghrébin et l’Egypte est un pays Oriental. Maghreb et Orient sont deux concepts

qui évoquent autant de représentations, autant de comportements et autant d’attributs qui permettent de définir rapidement les membres de chacune de ces deux appartenances.

· Au niveau de la structure horizontale, les contours des catégories deviennent flous, un exemplaire peut appartenir à plusieurs catégories, le Musulman est à la fois africain, magrébin, tunisien, égyptien, palestinien, arabe, asiatique, oriental et même chinois, américain et français. Chacune de ces appartenances est ancrée dans une histoire spécifique, différente et meilleure que l’autre bien que la catégorie en soit une. En effet, le Musulman asiatique est plus typique, celui d’Orient l’est beaucoup plus que l’Africain. Rosch explique que les membres les plus typiques ont plus d’attributs en commun que les membres moins typiques et sont les plus représentatifs de leurs catégories que les moins typiques. « Ces catégories naturelles s’organisent autour d’une signification centrale formée par les meilleurs exemples de la catégorie ou si l’on veut par les exemples paradigmatiques. Et ces noyaux centraux seraient entourés, dans un ordre de ressemblances décroissantes, par les autres membres de la catégorie. Chaque catégorie possède alors une structure interne (Deschamps et Moliner, 2008, p.67).

La théorie par prototype a assimilé appartenance catégorielle et représentativité, ce qui a fait de l’appartenance une question de degré, cela répond exactement aux principes de la théorie du noyau d’Abric (1987) et de la théorie des principes organisateurs de Doise (1992) qui souligne l’effet de l’appartenance sur la variation du contenu et de la structuration de la représentation des groupes sociaux. Le modèle prototypique de catégorisation agit ainsi pour établir une différence entre les membres du groupe bien que les contours de cette différenciation ne sont pas absurdes parce que le sujet a des appartenances sociales multiples et variées.

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2.3. L’explication mixte

Les deux explications de la perception du groupe social, dont la première est rigide (catégorisation ensembliste) et la seconde fluide (catégorisation prototypique) étaient critiquées par Deschamps et Clémence (1972 ; 1977), pour ces auteurs, la perception de différenciation à l’intérieur du groupe d’appartenance pourrait s’expliquer par un fonctionnement catégoriel prototypicaliste et la perception des ressemblances accentuées à l’intérieur de l’exogroupe pourrait s’expliquer par un fonctionnement catégoriel ensembliste (par exemplaire). Pour eux, tout dépend de la façon dont les individus se représentent leur univers social, s’ils ont une perception dichotomique très nette de leur environnement social, c’est le fonctionnement catégoriel prototypique qui prédomine, dans lequel le processus d’égocentrisme est activé pour appliquer à la fois une valorisation du groupe d’appartenance et une valorisation du soi par rapport à autrui. Autrement dit, « lorsque les sujets établissent une distance, une divergence, voire une discrimination entre groupes, la discrimination entre soi et les autres membres du groupe d’appartenance augmente parallèlement. Réciproquement, lorsque la différenciation entre soi et les membres du groupe d’appartenance s’accroît, la discrimination entre groupes augmente » (Deschamps et Moliner, 2008, p.69), l’individu peut agir par une différenciation à la fois au niveau du pole personnel et du pole social, ce qui veut dire que la catégorisation en termes d’attributs personnels et en termes de prototypes peut fonctionner conjointement. Les tensions qu’on peut rencontrer à différents niveaux pourraient s’expliquer en termes de fusion et d’individualisation, Alors, l’individuel et le collectif sont deux processus qui agissent ensemble dans certaines situations sociales.