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2.4.2 Ben Ali et l’Islam

2.5. Réaction à la situation de l’Islam en Tunisie

2.5.1. Réaction des Musulmans d’Orient à la situation de l’Islam en Tunisie

Face à la politique de Bourguiba et celle de Ben Ali envers l’Islam, surtout après l’interdiction du voile en 1985, de vives réactions ont été produites par les Musulmans d'Orient considérant cette interdiction comme une pure discrimination sur la foi et l’opinion personnelle et une transgression des lois de l'Islam. Ainsi, l’affaire tunisienne fut relayée sur Internet et les grandes chaînes de télévision satellitaires dont nous citons Al-Jazeera qui a diffusé un débat sur le hijab en faisant intervenir Al Qaradawi, le président de l’association des Erudits Musulmans et le représentant le plus exemplaire de l’école traditionnelle Salafiste. Ce dernier a accusé les autorités tunisiennes d'hostilité envers l'Islam et les Musulmans et a aussi accusé certains poètes tunisiens de débauche et d’infidélité. Ses critiques portaient également sur l’interdiction du voile, la fermeture des mosquées, la mixité, l’émancipation de la femme et l’interdiction de la polygamie, il avait déjà dénoncées ces pratiques dans son livre publié en 2001 intitulé "Extrémisme laïc dans l'Islam : les exemples tunisien et turc".

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2.5.2. Réaction de certains intellectuels tunisiens aux jugements négatifs émis par

les Musulmans d’Orient

Début mars 2009, l’année et la période où nous avons passé le questionnaire d’évocation libre, Al Qaradawi était en Tunisie pour assister aux célébrations de Kairouan retenue comme capitale de la culture islamique par l' ISESCO, l’Organisation Islamique pour l'Education, la Science et la Culture. Au cours de cette visite officielle, il a relancé ses critiques contre le régime politique tunisien et la liberté de la femme. Les laïcs ont réagi avec une colère et une désapprobation, voyant dans la visite d' Al Qaradawi un tournant, voire un échec du projet laïc en Tunisie, alors que les Islamistes l’ont, par contre, défendu et exprimé leur joie de cette visite, appelant les autorités tunisiennes à abolir la loi de l’interdiction du voile.

Nous citons, ci-après, les propos de certains de ces intellectuels, tels qu’ils sont rapportés par le journaliste Jamel Arfaoui dans le magazine numérique Maghrebia1 :

L'Association des Femmes Démocrates affirme : « Nous faisons part de notre totale insatisfaction envers une politique qui honore et célèbre un symbole de l'idéologie salafiste intolérante, connu pour attaquer notre pays, en particulier les progrès en matière de droits des femmes tunisiennes ».

Mondher Thabet, le secrétaire général du parti Social-Libéral explique : « Nous ne pouvons oublier qu'il a déjà attaqué la Tunisie (…) un comportement honteux dans lequel il a fait preuve d'une violence extrême (…) je n’ai pas serré la main d'al-Qaradawi pour bien lui signifier mon point de vue ».

Adel Chaouch, un député du mouvement d'opposition Attajdid, s'est déclaré surpris par la visite d'Al-Qaradawi du fait de ses positions antérieures sur la Tunisie. Mais il a également déclaré qu'Al-Qaradawi pouvait corriger certaines erreurs du passé. Il précise : « Je l'accueillerai personnellement s'il revoit son opinion. Je ne le considère pas comme un révolutionnaire ou comme un ennemi du régime ».

Le président du mouvement islamiste Ennahdha, désormais interdit, Rashed Ghanouchi, a publié depuis Londres un communiqué dans lequel il fait part de la joie du mouvement à propos de la visite du scientifique distingué sheikh Al-Qaradawi et affirme :

1 Ces propos sont publiés le 13-03-2009 dans un article intitulé « les Tunisiens mécontents de la visite d’un intellectuel musulman » in magasine numérique « Maghrebia.com », lu le 20 février 2011.

Page 57 « Le comité d'organisation des célébrations devrait permettre au public tunisien impatient de rencontrer Sheikh Al-Qaradawi et de l'écouter d'avoir suffisamment d'occasions de le faire et ne pas limiter cette occasion à ces seules festivités ».

Le débat se poursuit dans la blogosphère tunisienne entre ceux qui sont pour la visite d’Al-Qaradawi et ceux qui sont contre, nous en citons ces quelques répliques :

« En Tunisie, nous n'imitons personne et nous ne considérons personne comme une idole, à part Dieu. Prenez vos cheikhs. Nous n'avons pas besoin d'eux. Nous avons nos cheikhs et nos hommes. Notre pays est un minaret dans la religion, la tolérance et le

dialogue. Nous ne voulons pas de religieux, ou de personnes dont les fatwas fatiguent le peuple. Un cheikh qui n'est pas réticent à couper des têtes et à faire couler le sang. Il y a beaucoup de différences entre nous. Nous n'avons pas appris dans notre culture Tunisienne à suivre qui que ce soit ou à recourir à des ordres du jour étrangers. Votre cheikh, qui a

attaqué la Tunisie par des insultes, faussement et à tort, comme si la Tunisie était le pays de l'impureté, est un homme qui n'a aucun esprit ou qui est en train de devenir fou. Nous ne voulons aucun médiateur entre nous et Dieu. Notre relation à Dieu Tout-Puissant n'est pas sujette à la médiation. C'est ce que Dieu veut. Nous continuons à progresser et à nous en tenir à la parole de Dieu et à la tradition de Son messager.» (Sami en ligne le 27- 03-2009).

« Le savoir n'a pas de frontières géographiques ou temporelles. Nous avons tous

besoin de nos cheikhs, qu'ils soient de Tunisie ou d'ailleurs. Etat actuel de l’Islam et du fait

identitaire en Tunisie » (L’œil critique en ligne le 03-04-2009).

« La visite d'Al-Qaradawi est bénéfique parce que "toute réforme vers une théologie de la libération passera certainement par les réflexions des protagonistes de l'école traditionnelle, dont Al-Qaradawi fait partie.". "Les Tunisiens mécontents de la visite d'un intellectuel Musulman" mais ont-ils le droit de s'exprimer sur ce point ? Je pense qu'une grande partie de la population (Musulmane) voit d'un bon œil sa visite, pour un personnage qui est en quelque sorte le pape actuel du sunnisme... Il n'a jamais été violent mais a simplement constaté et critiqué le laïcisme réducteur dans un pays qui vivait bien sa

religiosité avec un Islam assez libéral depuis longtemps (et ne pas confondre avec l'Eglise

donc). C'est une leçon des Tunisiens à Al-Qaradawi. Peut-être que la plupart d'entre vous

connaissent l'attitude du cheikh vis-à-vis de l'ouest (le Maghreb) qu'il décrit comme étant la terre des infidèles. (…) tout le monde connaît l'attitude d'Al-Qaradawi concernant la nation

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et la civilisation Tunisienne, et comment il a offensé les femmes et les hommes sur les chaines les plus regardées dans le monde arabe. Cela a profondément nui à leur image auprès du peuple arabe, dont certains pensent que dès que vous arrivez à l'aéroport de Tunis, vous y trouvez des femmes Tunisiennes nues... Mais aujourd'hui, il regarde la civilisation et la morale de cette nation dans la capitale choisie par les Musulmans comme symbole de la culture et de civilisation. Sa participation à ces événements est une reconnaissance tacite de tout cela. Une fois de plus, nous assistons à une contradiction dans les principes du cheikh, le pays de la débauche et le pays de culture Islamique ! Le pays des femmes débauchées, le pays des femmes infirmières, médecins, voilées et non voilées » (Selim en ligne le 03-04-

2009).

« Je me sens vraiment blessé et dégoûté par les remarques dénigrantes et les insultes jetées à la tête de notre cheikh, le plus grand érudit sunnite et le mufti le plus honorable de notre époque. Assurément certains n'ont ni croyance ni scrupules. Certains de nos frères

qualifiés de laïcs modernes Tunisiens, en essayant d'imiter l'Occident et sa culture, ont dépassé toutes les limites de la dignité et de la décence. (…) Le cheikh est dans son droit

quand il critique ces gens, car j'ai visité la Tunisie et j'ai vu ce que j'ai vu dans ses grandes villes et ses stations touristiques dans le pays, je ne peux pas être plus d'accord que je ne le suis avec ce qu'il pense et ce qu'il dit sur cette nation supposée Musulmane, je suis totalement d'accord avec lui et je l'admire d'avoir l'audace de le dire » (Dziri en ligne le 25-

03-2009).

« Nous n'avons pas besoin de cheikhs hypocrites ni de qui que ce soit qui attaque la Tunisie, le pays constructeur de la gloire et de la civilisation. En Tunisie, nous n'avons pas besoin de ces malades. La société Tunisienne est mûre. Nos femmes sont plus honorables que les femmes de ceux qui cherchent l'adultère avec des manières nouvelles proches du charlatanisme, comme le mariage Messiar (pour un séjour de voyage), le mariage Motaa (pour le plaisir) et ainsi de suite. Par Dieu, que de mauvaises gens. Nous n'avons pas besoin

de ces extrémistes. Nous ne permettrons à aucun non-Musulman de préserver l'Islam dans ce pays. Nous en sommes satisfaits, Dieu soit loué. Vous devriez mieux nettoyer le devant de vos maisons, qui est plein de saleté » (03-04-2009) .

« Cette personne est démodée. Il ne nous fait pas honneur en Tunisie, le pays de l'ouverture et où l'Islam existe. Je suis Musulman. C'est quoi son problème de venir nous

Page 59 embêter en Tunisie ? Il se demande comment en Tunisie on respecte les Chrétiens et les

Juifs? (Safsaftunisie en ligne 06-03-2009).

3. Conclusion

La pensée sociale jaillit alors de l’histoire du pays, de sa culture, de ses institutions, de ses idéologies et de ses croyances traditionnelles et modernes. L’interaction entre ces différentes formes de pensée a produit en Tunisie une représentation d’un « Islam Libre » faisant de la modernité « une culture de vie » et de la tradition une « culture de mort subie ou infligée » (Jaït, 2004). Ces deux cultures contradictoires ont produit une identité Tunisienne dichotomisée et fortement polarisée. C’est cette base moderne de l’identité tuniso- musulmane que nous pensons aussi mobiliser dans l’inconscient collectifs des jeunes musulmans tunisiens lorsqu’ils seront conviés à se prononcer sur l’Islam et le Musulman en leur nom propre.

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