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1.3.1 Les pratiques

Chapitre 5. L’identité: dimension dynamique

I- Représentations sociales et processus identitaires

Le premier qui a parlé du lien entre représentation et identité fut Moscovici. Pour cet auteur, les représentations constituent des « attributs fondamentaux » (1961, p. 74) des groupes sociaux et émergent « là où il y a danger pour l’identité collective » (1961, p. 171). Il explique avec les propos de Durkheim « Ce que les représentations collectives traduisent, c’est la façon dont le groupe se pense dans ses rapports avec les objets qui l’affectent » (Durkheim, 1895 dans Moscovici, 1994, p. 29). Après Moscovici, trois approches s’intéressant au lien entre identité et représentations ont émergé. Ces approches montrent que les représentations interviennent dans les processus identitaires selon trois modalités, soit comme marqueurs de l’identité, soit comme régulateurs identitaires qui justifient et anticipent les rapports intergroupes, soit comme produit identitaire instrumentalisé pour affirmer l’identité du groupe. Dans cette dynamique, l’identité va prendre plusieurs configurations. Nous présentons ces trois modalités selon la façon dont elles ont été mentionnées par Deschamps et Moliner (2008).

1- Les représentations comme marqueurs identitaires

Les nombreux travaux récents en représentations sociales sur l’identité s’intéressent à la façon dont la représentation d’un objet important contribue à la constitution de l’identité sociale du groupe. Etant importante pour tous les membres d’un groupe, la représentation de cet objet va constituer un cadre de référence commun qui augmente les ressemblances entre les membres du même groupe et les différences entre l’endogroupe et l’exogroupe. Alors, la représentation peut être un moyen pour qu’un groupe affirme ses particularités et ses différences identitaires. Le besoin de différence peut parfois même amener les sujets à abandonner leurs croyances collectives. Nous citons dans ce cadre deux études, celle de Moscovici (1961) puis celle de Moliner et Courtot (2004).

Dans son étude sur l’image de la psychanalyse, Moscovici a constaté en interrogeant des catholiques et des communistes sur la psychanalyse, que chaque groupe a des représentations très consensuelles et très différentes des représentations de l’autre groupe, ces représentations sont différentes parce qu’elles sont filtrées par une vision du monde particulière et spécifique à chacun des groupes interrogés. Par exemple, les catholiques abordent la psychanalyse d’un point de vue moral tandis que les communistes la jugent

Page 130 politiquement et lui reprochent de distraire l’attention des travailleurs (Rouquette et Rateau, 1998). Moscovici a constaté aussi la présence des représentations de la psychanalyse qui décrivent une typologie de personnes, notamment les riches, les artistes, les femmes et les enfants.

La deuxième étude de Moliner et al. (2004), concernant les appartenances politiques, cherche ce que signifie « être de gauche » ou « être de droite ». L’hypothèse de départ de cette étude suppose un lien entre l’appartenance et la représentation de la doctrine de chacun de ces deux partis politiques. L’analyse structurale des représentations a montré que les sujets produisent des réponses extrêmement peu nuancées, c'est-à-dire ils répondent soit pour définir l’appartenance au parti politique Gauche soit pour définir l’appartenance au parti Droite, ce qui explique la présence d’un effet de contraste. Ainsi, pour les sympathisants de Gauche, le « conservatisme » et « la discrimination sociale » sont des éléments très forts pour définir l’appartenance à Droite alors que « l’égalité des chances », « l’harmonisation sociale », « la solidarité » et « l’équité sociale » définissent pour 100% des répondants l’appartenance à Gauche. Ce type de réponse prouve le rôle que jouent les représentations sociales dans la différenciation entre les groupes et dans la démarcation de l’identité de l’endogroupe.

2. Les représentations sociales comme produit identitaire

Un objet de représentation n’existe pas pour lui-même mais existe pour un individu ou un groupe et par rapport à eux (Abric, 1994). Alors, l’élaboration d’une représentation est régie par deux enjeux, enjeu identitaire et enjeu de cohésion (Moliner, 1993 ; 1996). Dans cette perspective, les représentations sociales deviennent à la fois « un code commun » (Deschamps et Moliner, 2008), « un système d’interprétation de la réalité » (Abric, 1994, p.13) qui préserve la cohésion du groupe et élude tout élément pouvant menacer cette cohésion, et un moyen pour se démarquer des autres groupes. Dans ce cas, les représentations deviennent des produits identitaires instrumentalisés pour affirmer la spécificité du groupe.

Les trois exemples que nous allons citer ci-après illustrent parfaitement l’enjeu identitaire et de cohésion des représentations sociales.

En effet, l’étude de Maudinet (1996) sur les représentations du travail chez des handicapés mentaux, des travailleurs sociaux et des chefs d’entreprise montre comment la signification du travail varie en fonction de l’identité du groupe. Pour les handicapés, le

Page 131 travail est un moyen pour être accepté et reconnu par la communauté, pour les chefs d’entreprise, le travail est une assistance, une aide et un soutien pour le travailleur handicapé, quant aux travailleurs sociaux, ils donnent une vision productiviste du travail, un handicapé doit se montrer à la hauteur du travail qu’on lui offre. Alors comme dit Jodelet (1996) « chacun des groupes joue quelque chose de sa place et de son identité » dans sa représentation du travail.

Dans l’étude de Moscovici (1961) sur l’image de la psychanalyse, l’auteur constate que la question de la sexualité constitue pour les catholiques un élément qui menace les normes et les valeurs de leur groupe d’appartenance, ils élaborent à cet effet une représentation de la psychanalyse qui élude la question de la sexualité afin de maintenir l’intégrité et la cohésion de leur groupe.

L’étude de Bellelli (1987) concernant les représentations de la maladie mentale montre après les analyses des similitudes et des différences entre les réponses des groupes d’étudiants (médecine, science, psychologie et soins infirmier) et des groupes de professionnels (psychiatres, psychologues et infirmiers psychiatriques) que les sujets interrogés sur la maladie mentale développent une représentation qui correspond à leur caractéristiques identitaires. Les étudiants en psychologie, par exemple, privilégient une conception relationnelle de la maladie mentale contrairement aux étudiants en médecine qui adhèrent à une conception médicale. Pour les premiers la thérapie la plus appropriée est la famille, pour les seconds, c’est l’hôpital et les médicaments. Chaque groupe construit en effet une représentation qui justifie ses pratiques professionnelles futures et disqualifie en contre partie les pratiques des autres groupes.

3. Les représentations sociales comme régulateurs identitaires

La construction des représentations sociales vise aussi à valoriser l’identité personnelle de l’individu, membre du groupe social. De ce fait, les individus et les groupes élaborent une vision du monde qui leur permet non seulement de préserver une identité sociale positive mais aussi une estime de soi élevée. Pour illustrer comment s’établit la compatibilité entre représentation de soi et représentations sociales, nous proposons les résultats de la recherche de Murphy et Carugati (1985). Ainsi, en interrogeant des groupes différents sur l’intelligence (des personnes ayant des enfants, des parents ayant un enfant, des parents ayant plus qu’un enfant, des enseignants parents et des enseignants qui n’ont pas d’enfants), les auteurs ont constaté la présence d’une explication naïve de l’intelligence,

Page 132 conçue comme « un don inégalement réparti dans la population » et « relève largement de la biologie, voire de la morpho biologie » ( Mugny et Carugati, 1985, p.71). Ils constatent aussi que, quel que soit leur niveau intellectuel (enseignant ou non) les sujets qui ont des enfants adhèrent beaucoup plus à cette croyance que ceux qui n’en ont pas. « Tout se passe comme si, lorsque l’on n’a pas d’enfants, on considérait l’intelligence comme une acquisition pour laquelle les parents joueraient un rôle déterminant (nos enfants sont intelligents comme nous) mais lorsque l’on est soi-même confronté au défi éducatif d’un ou de plusieurs enfants, on fait l’expérience de la diversité et de la disparité » (Deschamps et Moliner, 2008). Cette croyance naïve est un moyen pour maintenir une image positive de soi des parents.

Dans l’étude de Tafani et Bellon (2001) sur la représentation des études chez les lycéens1, les auteurs ont postulé un lien entre les représentations des études et l’estime de soi

scolaire. Dans un premier temps, les sujets répondaient à un questionnaire censé mesurer leur chance dans les études, en induisant chez eux soit une haute soit une basse estime de soi scolaire. Dans un second temps, ils sont confrontés à un questionnaire de mise en cause dont l’analyse en composantes principales a permis de repérer une représentation des études organisée autour de trois dimensions, une dimension liée à leur finalité intellectuelle, une dimension liée à leur finalité pragmatique et une dimension liée à l’investissement qu’elles requièrent pour les individus. Les auteurs expliquent que la coexistence de ces trois dimensions prouve l’actualisation de la représentation dans des croyances plus fonctionnelles permettant d’adapter les individus aux différentes facettes de leur réalité sociale. A la fin, les auteurs ont trouvé que la représentations des études justifie et conforte la valeur ou l’estime que les sujets s’octroient.

4. Conclusion

Ces trois approches prouvent l’utilité de la notion de représentation pour l’étude du phénomène identitaire, Deschamps et Moliner (2008, p.74) résument cette utilité dans trois aspects :

1- la notion de représentation permet de comprendre la distance entre le soi et le groupe, 2- la notion de représentation permet de comprendre un environnement humain à la fois

interne et externe,

1 Cette recherche utilise une liste de 12 croyances, issues de plusieurs recherches antérieures (Flament, 1995 ; 1999, Moliner, 1995a ; Moliner et Tafani, 1997) menées auprès de populations étudiantes.

Page 133 3- la notion de représentation envisage la question de l’identité autant d’un point de vue intra- et inter individuel que du point de vue positionnel (référé aux insertions sociales des individus) et idéologique (référé aux croyances qui traversent les groupes et la société).