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1.3.1 Les pratiques

Chapitre 6. L’identité: dimension culturelle

A part sa composante représentationnelle, l’identité sociale a aussi une composante culturelle, cette dernière est le chef de fil de toutes les identités. Dans la composante culturelle de l’identité, la religion constitue le trait le plus saillant et le plus stable, aussi le plus organisateur puisqu’elle régit les relations sociales et détermine la façon dont les individus perçoivent le monde qui les entoure. En effet, partager une religion, c’est partager un système de normes, de valeurs et de règles immuables, bref des représentations qui facilitent, grâce au processus de socialisation, la cohésion, l’intégrité et la particularité du groupe. Imbriquée dans les processus de socialisation et d’identification, la religion va par conséquent organiser la vie sociale, assurer la continuité identitaire pendant les périodes de changement, gouverner les relations intergroupes en permettant aux membres du même groupe de défendre leur identité, survaloriser leur groupe par rapport aux autres groupes avec des traits jugés caractéristiques de leur religion et croyance, ce qui leur donne une spécificité culturelle.

1. Culture et identité sociale

Dans son premier sens, « culture » désigne « civilisation », cette signification était maintenue par les idéologies dominantes de la plupart des pays européens qui refusaient d’attribuer un Moi valorisé aux individus des cultures primitives. Plus tard, avec le courant de l’anthropologie américaine (Benedict, 1987-1948 ; Mead, 1900-1978 ; Linton, 1893, 1953 ; Kardiner, 1891, 1981), qui met l’accent sur la relativité et la diversité culturelle, le concept de culture a changé de sens.

Pour l’anthropologie américaine, dite aussi structuraliste, la culture est la somme des attitudes, des idées et des « comportements appris en même temps que des résultats matériels de ces comportements, dont les éléments composants sont partagés et soumis par les membres d’une société donnée » (Linton, 1945, 1968, p.33, cité par Deschamps et Moliner, 2008, p.15). On comprend par cette définition l’influence prépondérante de la culture sur le psychisme, en tant qu’acquisition humaine relativement stable déterminant la personnalité de base de manière que tout individu devient révélateur de sa propre culture, alors la personne est le reflet de la culture qui lui crée une personnalité modèle, un type de caractère culturel représentatif de son groupe. L’identité culturelle se comprend dans cette optique tout ce que l’individu partage avec son groupe et sa communauté, comme les valeurs, les règles

Page 139 communes et les normes, d’où la grande question comment la culture façonne-t-elle les individus et les adapte-t-elle à leur environnement social.

Pour répondre à cette question, Camilleri (1989) conteste d’abord cette idée du collectif indifférencié et propose deux notions clés, l’enculturation et l’acculturation. Pour cet auteur, l’enculturation est « l’ensemble des processus conduisant à l’appropriation par l’individu de la culture de son groupe (…) ce n’est qu’un aspect du processus de socialisation par lequel l’individu est mis en relation avec l’ensemble des significations collectives de son groupe, y compris celles extérieures au patrimoine culturel, dans la mesure, du moins, où elles lui ont été présentées (par l’intermédiaire de la famille, l’école, et d’autres voies et moyens formels et informels existants dans le groupe). Il est entendu que le sujet humain ne saurait être « marqué », « modelé » comme un objet par la socialisation ou l’enculturation, sinon il ne pourrait jamais prendre de la distance par rapport à l’une et à l’autre, ce qui est la caractéristique de base du sujet » (1989, p.28). En effet, la socialisation s’effectue dès le début à travers des échanges relationnels actifs, « au cours desquels des propositions passent de l’agent socialisateur au sujet socialisé. L’illusion du modelage vient de ce que l’enfant se comporte comme un stimuli-objet, dans la mesure où il a peu de moyens de résister à ces propositions : dans ce cas celles-ci deviennent « influence » et le processus propositionnel démarre comme processus d’influence. Mais, dans la mesure où ces moyens sont acquis par la suite, sa nature propositionnelle ne fait que s’accuser, au point que l’individu pourra prendre un rôle actif par rapport à sa socialisation et son enculturation. C’est assez dire que l’une et l’autre se poursuivent tout au long de l’existence, leur évolution dépendant de facteurs divers, tout particulièrement de la confirmation ou infirmation ultérieures des propositions socialisatrices initiales par l’environnement du sujet » (Ibid., p.26). L’acculturation, quant à elle, désigne « l’ensemble des phénomènes résultant du contact direct en continu entre des groupes d’individus de cultures différentes qui entraîne un changement dans la culture originale de l’un ou des deux groupes. C’est dans le cas d’une relation asymétrique entre deux groupes qu’une culture influence l’autre et évolue même vers la domination. L’acculturation peut alors influencer négativement l’identité culturelle des groupes minoritaires. Il est important de signaler que Camilleri distingue deux niveaux dans la culture, ce qui est inné et par conséquent constant et partagé par tous les humains notamment la raison ou ce qu’il appelle « la structure rationnelle », et ce qui est construit donc lié à l’appartenance sociale. Il résulte de cette nouvelle conception que « la culture autorise le changement et peut faire même preuve de dynamisme sans se détruire, mais dans

Page 140 des limites : tant que, à travers les variations, demeure son armature structurelle » (Ibid.). Les significations culturelles peuvent donc distinguer d’une part les groupes entre eux et d’autre part, à l’intérieur de chacun d’eux» (Ibid., p.25).

Ainsi, le fait que l’identité sociale a une composante culturelle, veut dire qu’elle ne se résume pas seulement « à un ensemble de traits d’origine distinctif d’un groupe. Au contraire, les individus d’un groupe donné, à travers leur propre dynamique, leur créativité, leurs représentations et à partir des interactions (…) vont la manipuler, la réinterpréter, remodeler inlassablement ses contours » (Cuche, 1996 ; Vinsonneau, 2002 citée par Zohra Guerraoui, 2008). Cette dynamique a un effet psychosociologique sur l’identité, sur son devenir qui, face à une situation d’enculturation et/ou d’acculturation, va déterminer les stratégies identitaires adoptées par les acteurs sociaux pour s’adapter aux nouvelles situations rencontrées.

2. Religion, représentation et identité

Si la religion est un trait saillant dans l’identité culturelle et sociale, quel impact a-t- elle sur les représentations, les processus et la dynamique identitaires ? Afin de répondre à cette question, nous tentons de démontrer en quoi le concept de religion et celui de représentation sociale sont-ils semblables.

Pour l’anthropologue Geertz (1972), la religion est « un système de symboles qui agit de manière à susciter chez les hommes des motivations et des dispositions puissantes, profondes et durables en formulant des conceptions d’ordre général de l’existence et en donnant à ces conceptions une telle apparence de réalité que ces motivations et ces dispositions semblent ne s’appuyer que sur le réel » (1972, p.23, cité par Lefebvre, 2008). Et pour Jodelet, « la représentation est une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social (…) ces représentations en tant que systèmes d’interprétations régissant notre relation au monde et aux autres orientent et organisent les conduites et les communications sociales » (1989, p.36). Il s’agit au fait de deux systèmes symboliques chargés affectivement permettant d’articuler différents niveaux d’explications de l’existence humaine, la pensée, les conduites, les relations sociales et l’identité des individus et des groupes. Nous concevons ces points communs dans quatre fonctions; symbolique, d’adaptation, d’orientation et identitaires :

Page 141 1- La fonction symbolique : pour qu’il y ait représentation, il doit y avoir symbole, une image mentale qui restitue l’absent et le rend présent, les symboles religieux opèrent de la même manière et attribuent une signification à tous les phénomènes qui échappent à la raison humaine.

2- La fonction d’adaptation au réel : la représentation « a une visée pratique » permettant à l’individu et au groupe de comprendre la réalité à travers son propre système de référence donc de s’y adapter (Abric, 1994, p.13). La religion cherche aussi à contrôler la réalité, à lui donner un sens, elle fournit tout un système de normes et de valeurs qui imprègne la vision du monde et organise les relations sociales incitant l’individu à s’adapter en fonction de son propre système de référence.

3- La fonction d’orientation : en signifiant le réel, la représentation oriente les actions et les pratiques sociales et facilite la communication et l’échange social de manière à ce que chacun agit en fonction de la représentation qu’il a de la situation ou de la personne envisagée. La religion crée aussi chez les individus des dispositions particulières, des habitudes (les pratiques religieuses notamment), des aptitudes, des habiletés, des attentes et des craintes qui déterminent les communications, les conduites et les rapports sociaux.

4- La fonction identitaire : Abric, Doise et maints autres chercheurs ont pu montrer que la construction d’un univers mental « de sens commun », de pensée sociale cohérente et collective augmente la cohésion du groupe et la similitude de ses membres les uns aux autres, ce qui contribue au maintien d’une identité sociale et personnelle gratifiante « compatible avec des systèmes de normes et de valeurs socialement et historiquement déterminés » (Mugny et Carugati, 1985, p.183, cité par Abric, 1994, p.16). Pour Geertz, ces systèmes de normes et de valeurs sont fournis par la religion qui en garantissant tout le système conventionnel, les règles de pensée, de langage et de conduite, elle maintient le sens commun spécifique à chaque groupe et sa continuité dans le temps.

3. Conclusion

Le choix de l’approche des représentations sociales pour étudier l’identité sociale du jeune musulman tunisien s’avère dans ce cas pertinent puisque cette approche permet de comprendre le rôle que joue le système religieux dans le contrôle exercé par la

Page 142 collectivité sur chacun de ses membres et le rôle que joue le système culturel dans le raffermissement ou l’affaiblissement de ce contrôle, en particulier par les processus de socialisation (Abric, 1994, p.16) ou d’enculturation et les processus d’acculturation. Cette compréhension permet de cerner ce qui est resté stable et central dans l’identité sociale du jeune musulman tunisien et ce qui est réinterprété et remodelé et portant diversité et changement.

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