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Introduction et problématique

II- Psychosociologie historique de l’identité tuniso-musulmane

2. La composante moderne de l’identité tunisienne

2.4. Sécularisation après l’indépendance (1956 2009)

Convaincu que la modernisation de la société tunisienne doit passer impérativement par une modernisation de l’Islam aussi bien dans sa conception théorique que dans son expression pratique, Bourguiba prend la décision, dès l’indépendance, de mettre en œuvre une politique séculière qui vise la modernité, le rationalisme, l’ouverture et le constitutionnalisme tout en continuant de se réclamer de l’Islam. Il fallait alors adapter l’Islam au monde nouveau, et « lutter contre l’orthodoxie qui se voulait le seul et unique fournisseur de toutes les explications des phénomènes naturels et sociaux » (Boulbaba, 1974, p.10). Bourguiba l’a bien souligné dans ses propos « l’une des caractéristiques de l’Islam est

1 Jacques Berque Le Maghreb entre deux guerres.

2 Le terme Destour est d’origine perse et remonte au moyen âge, actuellement, il est d’usage purement Tunisien, on n’a trouvé aucune trace de ce mot dans la langue arabe. Pendant la période Ottoman, ce mot commence à être utilisé en Egypte.

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qu’il est fondé sur la raison et sur l’action. Il m’a déjà été donné, au cours de mes précédents discours d’insister sur le rôle de la raison vis-à-vis de la religion et de démontrer la nécessité d’un effort continu de recherche et de réflexion à la fois dans les deux domaines du temporel et du spirituel afin de donner à notre vie une impulsion constante vers le progrès et la prospérité et de préserver notre religion de la stagnation qui la rendrait impuissante et répondre aux besoins de la société contemporaine et aux exigences de notre époque. N’a-t-on pas dit à juste titre, de l’Islam qu’il est fait pour tout temps et pour tous les lieux »1. Pour ce

faire, Bourguiba a mobilisé l’interprétation (l’Ijtihad) pour adapter la religion au nouvel Etat. « Nous n’allons pas faire fi des principes de l’Islam dit-il, nous ne pouvons pas prétendre

que cette religion ne répond pas aux besoins de notre époque, bien au contraire nous la comprenons comme il faut »2. Pour ces prises de positions, Bourguiba était nommé le grand

réformateur de l’Islam.

Ben Ali, son successeur, qui se dit l’apôtre d’un Islam modéré et éclairé, prend une série de mesures pour réhabiliter la place de l’Islam dans la société mais cet Islam bourguibiste prôné par Ben Ali n’a pas réussi à intégrer à terme les valeurs de la modernité. L’échec de la modernité revient, d’après l’intellectuel tunisien Jaït (2004), à la désintellectualisation due au régime autoritaire qui réprimande la libre pensée.

2.4.1. Bourguiba et l’Islam

La pensée de Bourguiba sur l’Islam est ambivalente, cette ambivalence se manifeste dans les étapes suivantes :

· Au début de son action politique et avant même l’indépendance, Bourguiba défend l’Islam et se prononce pour le voile, qu’« il fallait préserver, dit-il, parce qu’il porte

le signe de l’identité Tunisienne et de la femme Musulmane ».

· Après l’indépendance, notamment aux années soixante, Bourguiba liquide les tribunaux juridiques charaïques et se prononce contre le voile en disant « le voile

n’interdisait pas la débauche et servait parfois à la couvrir, c’est dire que la débauche a de tout temps existé »3. Convaincu qu’il ne peut y avoir une évolution

harmonieuse de la société tunisienne sans l’instauration de nouveaux rapports d’égalité entre les deux sexes, il fait promulguer un nouveau code du statut personnel

1 Discours 2 novembre 1970 Carthage

2 Discours 2 novembre 1970 Carthage

Page 53 (1956) qui interdit la polygamie et donne aux femmes le droit de vote et d'éligibilité, le consentement requis pour le mariage fixé à un âge minimum de 17 ans, l’émancipation de la femme faisait partie prenante de la libération nationale.

· Certaines pratiques religieuses constituent pour Bourguiba un frein à l’évolution de la société. Il se lança à critiquer publiquement le jeûne de ramadan et le sacrifice du mouton allant jusqu’à rompre le jeûne en direct à la télévision « rompez donc le jeûne

afin que vous soyez en mesure de remporter la victoire »1. Toutes ces pratiques sont,

pour lui, un obstacle au développement du jeune Etat. C’est ainsi que furent dispensés du jeûne les collégiens et les militaires. « A quoi serviraient les prières et le jeûne », dit-il « si l’Etat était condamné à l’impuissance et à l’effritement ? (…). L’Etat

d’abord ! Car sans l’Etat, la religion serait en péril » (Bourguiba, 1964). « La période du jeûne prend chaque année hélas pour l’Etat l’allure d’une véritable catastrophe (…) le ramadan est devenu l’occasion d’une orgie de mangeaille »2.

· L’enseignement est une autre cible de sécularisation, elle se concrétise par la création d’une seule école nationale moderne mixte et généralisée (1958), la création d’une nouvelle faculté de théologie (1960) après avoir fermé l’école zeitounienne traditionnelle (1962). Bourguiba ne tarde pas de justifier ses réformes par une interprétation libérale de la loi religieuse, « Croyez-moi, mon interprétation de la loi

musulmane est l’interprétation la plus valable. Si le Prophète était encore parmi nous, il y souscrirait. Il n’aurait pas manqué de convier les musulmans à assurer la puissance de la Nation musulmane dont nous faisons partie »3.

· Au milieu des années 1970, Bourguiba change d’attitude vis-à-vis du système religieux traditionnel, ce qui témoigne d’une profonde modification des rapports de force en faveur des islamistes, notamment après la rupture définitive de Bourguiba avec la gauche socialisante (Frégosi, 2004). Ainsi, ce changement d’attitude contribue à la revalorisation de l’enseignement religieux et de la culture arabo-musulmane. L’exemple le plus frappant de ce changement d’attitude fut l’encouragement de la pratique du jeûne de ramadan et de la prière par l’organisation des horaires des

1 Discours du 25 janvier 1973 Carthage

2 Discours 2 novembre 1970 Carthage

Page 54 administrations avec la création de locaux pour la prière dans les établissements scolaires et universitaires.

· Aux années 1980 et sous l’influence de la révolution iranienne (1979), le voile connaît un retour massif. A cet effet, Bourguiba exerce un contrôle étroit sur les lieux du culte et les personnels, et interdit par le décret de 1981 le port du voile dans l’administration publique. Certains islamistes se sont rassemblés autour du mouvement de la Tendance Islamique reconnu aujourd’hui sous le nom Ennahdha pour défendre la cause de l’Islam.