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1.3.1 Les pratiques

Chapitre 7. L’identité: stratégies de restauration identitaire

1. Les stratégies identitaires selon l'approche de l'identité sociale les stratégies identitaires selon Tajfel

1.4. Les stratégies identitaires selon l’approche culturelle (Camilleri, 1973)

Pour mieux comprendre comment fonctionnent les stratégies identitaires dans le contexte Tunisien, nous proposons les stratégies de changement de Camilleri (1973) vu qu’elles sont fondées en majorité sur les résultats de sa recherche de thèse Jeunesse, famille

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et développement : essai sur le changement socio-culturel dans un pays du Tiers Monde (Tunisie) (1973). Pour Camilleri, la culture offre à l’individu des ressources symboliques

nécessaires pour construire un sens et une valeur à son identité. Ainsi, l’intériorisation de la culture d’appartenance satisfait deux fonctions identitaires, ontologiques et pragmatiques, qui procurent à l’individu une unité entre l’identité de sens et l’identité de valeur, « sauvegarder l’unité de ces deux identités est la finalité de chaque production identitaire » (Hijazi, 2006).

Cependant, dans un contexte culturel hétérogène et conflictuel qui met en cause l’unité de ces deux identités, des stratégies identitaires « défensives » ou « réactionnelles » émergent pour réduire le conflit. Camilleri définit ces stratégies comme «le résultat de l’élaboration individuelle et collective et elles apparaissent dans les ajustements opérés en fonction de la variation des situations et des finalités exprimées par les acteurs. Trois éléments sont nécessaires : les acteurs, la situation dans laquelle ils sont impliqués et les finalités poursuivies par les acteurs » (Camilleri, 1990, p. 49). Ces stratégies ont pour finalité d’établir une certaine conciliation ou cohérence entre les fonctions ontologiques et pragmatique de l’identité, mais elles diffèrent selon les choix identificatoires opérés par les sujets (Guerraoui, 2008, p.26). Nous remarquons finalement qu'il y a trois types de stratégies, à cohérence simple, complexe et modéré où les fonctions ontologiques et pragmatiques vont se trouver adaptée l’une à l’autre ou disloquées.

1.4.1. Les stratégies à cohérence simple

Dans une situation de décolonisation, l’individu se trouve confronté à deux cultures contradictoires qui menacent son unité identitaire, pour échapper à la fracture du moi, il va tenter de supprimer une de ces cultures, en mobilisant une stratégie de survalorisation de la dimension ontologique ou de la dimension pragmatique adaptative, ce qui peut engendrer une acceptation ou un rejet total de l’une ou de l’autre culture. Dans le premier cas, Camilleri cite l’exemple des fondamentalistes religieux dans les pays musulmans qui rejettent les attitudes pragmatiques et dénient les cultures modernistes coexistant dans leur milieu social pour éliminer le conflit intérieur. Dans le second cas, l’individu, sous la pression des exigences d’adaptation, va changer son comportement pour tirer profit de toutes les situations pragmatiques. Cette stratégie est sollicitée par des représentations et des systèmes de valeurs modernistes. Poussée à l’extrême, elle peut valoriser l’identité nationale moderniste jusqu’à provoquer une rupture avec l’identité culturelle d’origine.

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1.4.2. Les stratégies à cohérence complexe ou de différenciation

Pour résoudre les conflits identitaires, les individus tentent d’établir un compromis entre les préoccupations ontologiques et les préoccupations pragmatiques. C’est là où l’identité défensive apparaît. Dans ce cas, les individus vont procéder de plusieurs façons :

1.4.2.1. La création de nouveaux critères culturels

Cette création tient compte des deux cultures existantes. Au cours de cette opération, les individus recourent à deux types de logiques : subjective et argumentative. La logique subjective, que les individus choisissent selon leurs intérêts, permet de maximiser les avantages. Pour Camilleri, cette stratégie est égocentrique puisqu’elle aboutit dans ces sociétés biculturelles à faire bénéficier un groupe social sur le compte d’un autre, comme dans les sociétés musulmanes qui donnent plus d’avantages aux garçons qu’aux filles. Quant à la logique argumentative, les individus l’utilisent pour intégrer dans leurs cultures traditionnelles des éléments modernes, et justifier leurs comportements contradictoires à certains membres de l’endogroupe. Ils élaborent, dans ce cas, des arguments qui visent parfois à s’investir davantage dans la culture traditionnelle, et parfois à se dissocier de cette culture en la critiquant. L’auteur cite dans ce cas des jeunes Tunisiens instruits qui critiquent les anciennes pratiques éducatives de leurs parents au nom de la science moderne. Cette conduite ne nuit en rien au respect traditionnel car la critique s’adresse à des comportements dont ils n’étaient pas responsables. C’est une stratégie qui permet de ménager la coexistence logique non contradictoire entre anciennes et nouvelles représentations.

1.4.2.2. Articulation organique des contraintes

L’acteur social tente ici de tirer, d’une façon logique, des conduites modernes du modèle originel. D’après cette stratégie les nouveaux comportements ne sont pas opposés à une ancienne représentation, le sujet est amené à tirer le nouveau du traditionnel et vice versa.

1.4.2.3. La suspension de l’application des valeurs

D’après cette stratégie, les anciennes représentations socio-culturelles ne sont plus appliquées dans la vie quotidienne, tandis qu’elles sont revendiquées au niveau des principes. L’exemple que présente l’auteur est celui des jeunes mères tunisiennes et leurs comportements à l’égard de l’allaitement, c’était le cas des femmes travailleuses et celles au foyer. Ainsi, bien que ce fait soit considéré comme désignant « la bonne maman », cela ne les empêche pas de choisir des comportements opposés sous l’influence de l’élévation du niveau

Page 149 socioculturel. Nous pouvons aussi citer l’exemple de certains musulmans tunisiens qui ne pratiquent pas la prière bien qu’ils affirment dans leurs discours son importance. Ici, l’individu échappe au conflit intérieur en se retirant du réel, afin de dire qu’il continue à s’identifier avec cette valeur. D’où l’auteur a constaté que dans la « situation de changement culturel, la fonction expressive et symbolique de la culture se renforce aux dépens de sa fonction normative et pratique ». Eviter les conflits identitaires intérieurs, c’est une mission que certains sujets ne réussissent pas à exécuter, c’est pourquoi, ils choisissent des stratégies de modération afin d’atténuer les tensions de ces conflits et d’échapper à leur situation pénible.

1.4.3. Les stratégies à cohérence mixte

Pour Camilleri, ce sont les plus problématiques car les individus n’ont pas réussi à résoudre la contradiction au niveau primaire. Dans ce cas les individus vont chercher la similitude sans renoncer à la différence d’où émerge une identité de principe mais polémique revendiquant son affiliation au groupe d’appartenance tout en adoptant la culture du groupe auquel ils refusent de s’affilier. Camilleri emprunte un exemple type, un cas a été observé par Toualbi (1982), c’est celui des cadres algériens de niveau supérieur, vivant une situation de saturation du code moderniste dans l’exercice de leur métier. Ils organisent régulièrement, chez eux, à titre privé, des « séances » d’orthodoxie musulmane. D’après Toualbi, ils cherchent l’immersion compensatrice dans des occupations sursaturées en représentations traditionnelles, ce qui leur permet non seulement d’absorber les sensations de malaise et les sentiments de culpabilité, mais de continuer à pratiquer leur travail » (Hijazi, 2006, p.36). Les stratégies de changement de Camilleri illustrent la capacité d’action du sujet pour faire face à l’environnement pluriculturel et de la plasticité de l’identité en tant que processus dynamiques en constant devenir et redéfinition (Guerraoui, 2008, p.26).