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Une préfiguration de la théorie du salaire d’efficience

L’organisation du travail : un refus du déterminisme technologique

3. Vers une théorie radicale du processus de travail

3.2. Les formes du pouvoir de l’employeur sur les salariés

3.2.1. Une préfiguration de la théorie du salaire d’efficience

Bien qu’il ne se pose pas la question de sa crédibilité, l’auteur estime que la menace de licenciement est l’instrument majeur qui permet d’obtenir un comportement désirable pour l’organisation.158 Pour justifier ce point de vue, il développe une

argumentation qui préfigure notamment les théories du salaire d’efficience et ses travaux ultérieurs, cosignés avec Bowles, sur “l’échange contesté”. Il écrit : “on

considère une firme pour laquelle le coût de remplacement des travailleurs est nul et des employés pour lesquels le coût de changement d’emploi au salaire du marché est aussi nul. La théorie néoclassique de la firme implique ici que le taux de salaire associé à chaque emploi correspondra au taux du marché pour le travail possédant les savoir-

156 Dans le premier cas, l’employeur pourra se contenter d’informer l’employé des besoins de

l’organisation pour susciter le comportement optimal. Dans le cas opposé, le capitaliste devra se contenter d’adapter le contenu du poste aux désirs de l’employé, ce qui impliquera probablement des coûts très importants.

157Gintis considère que tous les moyens mis en œuvre pour contrôler et évaluer la performance du salarié

entrent dans cette catégorie

158 On voit là se former une théorie du pouvoir, laquelle comprendrait notamment un versant relatif à la

faire appropriés. Le modèle que nous avons présenté indique, au contraire, que le taux de salaire du marché représente un minimum qui sera normalement dépassé. Car dans cette situation, au salaire du marché, un instrument majeur à la disposition de l’employeur pour susciter un comportement approprié de la part du travailleur -la menace de licenciement- est absent. Augmenter les salaires au-dessus du taux du marché restaure la menace de licenciement et donc fait partie de la stratégie de maximisation du profit. Donc, le “taux du marché” qui égalise l’offre et la demande ne sera pas réellement observé sur le marché! (...) [Les] capitalistes ont toujours agi de manière à créer des armées de réserve de travail à tous les niveaux et continuent encore à payer des salaires en excès par rapport à ceux qui permettraient l’apurement des marchés” (ibid., p. 43, souligné par l’auteur). On remarquera le paradoxe, pour un

marxiste, de considérer que le pouvoir du capitaliste s’exerce non à la baisse des salaires mais s’appuie sur des rémunérations plus élevées. Il faut sans doute voir dans un tel paradoxe le signe d’une orientation de cet auteur vers la micro-économie.

Les échelles de salaire jouent selon Gintis un rôle symétrique à la menace de licenciement, un rôle de promesse implicite : elles sanctionnent positivement les salariés et les incitent159 à adopter un comportement conforme aux objectifs de l’organisation.160

Cet instrument, dont le principe consiste à créer des “possibilités de promotion” pour les salariés, permet selon l’auteur de comprendre pourquoi la relation d’emploi est durable. En effet, si les employés étaient remplacés de période en période, ainsi que le suggère l’approche néoclassique, les perspectives de promotion ne pourraient pas être utilisées pour susciter un comportement adéquat. La difficulté de ce principe incitatif vient du fait qu’il est tributaire de l’arbitraire de l’employeur car celui-ci est à la fois juge et partie. La promesse de promotion serait donc un faux contrat et il conviendrait de faire appel à d’autres mécanismes pour persuader les salariés de son effectivité.

Pour Gintis, l’échange de travail est donc une relation durable dans le temps qui affecte l’état d’esprit de l’employé. La firme doit être alors considérée comme produisant non seulement une marchandise pour le marché mais aussi un produit-joint qui n’est autre que cet “état d’esprit des salariés”. L’auteur écrit (p. 44) “les inputs sont

les matières premières et les travailleurs avec un certain état d’esprit et les outputs comprennent à la fois le bien produit et les “nouveaux” travailleurs avec un état d’esprit transformé. Un grand nombre de ces “nouveaux” travailleurs seront les inputs à l’étape suivante de la production”. On retrouve ici l’idée marxienne d’une production

qui transforme non seulement la nature mais aussi les hommes. En outre, reconnaître l’existence des échelles de rémunération comme moyen incitatif conduit à admettre que

159Notons que Gintis n’emploie pas le terme d’incitation.

160 Il y aurait donc pour Gintis deux types de mécanismes incitatifs : le “bâton” du licenciement et la

les différences de salaires ne sont pas expliqués par les capacités techniques des travailleurs : des individus étant également capables d’exécuter les mêmes tâches pourront être rémunérés à des taux différents.

Gintis conclut cette discussion en inversant le lien de causalité entre niveau de productivité et niveau de rémunération. Pour lui, le second détermine le niveau de productivité toutes choses égales par ailleurs. C’est l’une des hypothèses fondatrices de la théorie du salaire d’efficience, dont les premiers travaux isolés de Leibenstein puis de Stiglitz étaient ignorés de Gintis. Il écrit : “la productivité du travailleur pour un emploi

donné sera en général une fonction du taux de salaire et de l’état d’esprit du travailleur, qui peut dépendre de l’organisation de la firme dans son ensemble et de toute la structure de salaire” (p. 43). Étant données les fortes interdépendances entre

l’ensemble des possibilités de production et les fonctions de préférence des individus, les formes organisationnelles qui ne permettent pas de reproduire un état d’esprit adéquat pour améliorer les profits ne seront pas introduites, et ce quelles que soient leur efficacité productive sur le plan matériel. Gintis en conclut, à l’instar de Marglin, que la Pareto-inefficience de la production capitaliste est ancrée dans la lutte des classes.

Il est remarquable que cet auteur, dont la réflexion s’appuie sur des catégories marxiennes, soit conduit à formuler des problématiques, telles que celles de l’incomplétude du contrat et de son exécutabilité ou celle du salaire d’efficience, qui seront parallèlement “découvertes” dans un autre paradigme à peu près à la même période. Toutefois, Gintis considère que si la menace de licenciement et la perspective de promotion sont des éléments essentiels dans l’échange du travail salarié, ils ne sont en aucun cas suffisants pour permettre au capitaliste d’obtenir la quantité de travail nécessaire pour maximiser son profit.

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