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La théorie de la segmentation du marché du travail

2. La théorie radicale de la segmentation du marché du travail

2.3. Les travaux de R Edwards : anatomie du contrôle

2.3.5. Taxinomie du contrôle

Edwards distingue deux types généraux de contrôle : le contrôle simple et le contrôle structurel. Chacun d'eux renvoie à son tour à deux sous-catégories. Le passage historique d’un type de contrôle à un autre aurait été motivé à chaque fois par le besoin de contourner les insuffisances du système précédent du fait des résistances que celui-ci produisait.

2.3.5.1. Le contrôle simple

211Remarquons que cette approche est de ce point de vue l’inverse de celle de Crozier qui tend à écraser

sur un même plan tous les différents types d’actions entre les individus, ce qui ne permet plus de saisir la spécificité de la relation d’emploi.

Le contrôle simple, qui fut tout d'abord employé dans la petite entreprise capitaliste du XIXème siècle, comprend le contrôle entrepreneurial et le contrôle hiérarchique.

2.3.5.1.1. Le contrôle entrepreneurial

La forme entrepreneuriale se caractérise par des moyens peu sophistiqués. Informel et peu structuré, ce type de contrôle repose sur les mécanismes primaires que sont le pouvoir, l'autorité et le charisme personnels du capitaliste, dont l'intervention demeurait erratique, arbitraire et marquée par le favoritisme. L'instrument ultime, qu'est le pouvoir de licenciement, sur lequel repose le pouvoir de l'entrepreneur est très fréquemment utilisé. "Cette utilisation du pouvoir tendait à miner l'exercice d'un pouvoir routinier et

formellement organisé" (Edwards [1979], p. 26).

2.3.5.1.2. Le contrôle hiérarchique

Le contrôle hiérarchique correspond à l'extension du contrôle entrepreneurial. Lorsque la taille de l'entreprise est trop importante pour que son propriétaire puisse être capable de tout contrôler à lui seul, sont mises en place des lignes hiérarchiques où des contremaîtres, chefs d'atelier, agents de maîtrise (etc.) se voient délégués par le capitaliste ses pouvoirs de contrôle. Le contrôle hiérarchique est donc un contrôle de type entrepreneurial, c'est-à-dire informel et non structuré, exercé par les agents de l'entrepreneur, c’est “l’âge d’or” du “petit chef”. Edwards précise que “la soumission

était obtenue parce que le contremaître exerçait le pouvoir du capitaliste, particulièrement le pouvoir de punir et de licencier les travailleurs” (p. 34).

2.3.5.2. Le contrôle structurel

Le contrôle structurel renvoie quant à lui aux sous-catégories de contrôle technique et de contrôle bureaucratique. Tous deux correspondent à la fois à une désincarnation et une institutionnalisation du pouvoir et de son exercice.

2.3.5.2.1. Le contrôle technique

Le contrôle technique, qu'il ne faut pas confondre avec la mécanisation même si celle-ci en fait clairement partie, est immergé dans la structure technologique ou l'organisation de la production. Il s'incarne par exemple dans l'allure qu'imprime la ligne

de montage au rythme du travail de l'ouvrier.212 La grande différence avec le contrôle

hiérarchique est que dans le cas du contrôle technique, c’est la ligne qui imprime l’allure et non plus le surveillant, dont la nouvelle tâche consiste dès lors à s’assurer que les travailleurs suivent bien le rythme. L’ordre, qui provenait jusque là clairement et directement des hommes, prenait la forme d’une nécessité technologique, il semblait désormais revêtir un caractère objectif. La lutte entre les travailleurs et leurs employeurs autour de la transformation de la force de travail en travail n’était plus une confrontation simple et directe, elle avait désormais lieu par l’intermédiaire de la technologie de production elle-même.213 Enfin, ce type de contrôle permet d’éroder les savoir-faire et

d’homogénéiser la main d’œuvre, laquelle tend à être uniformément composée d’opérateurs non qualifiés, ce qui permet d’asseoir totalement la discipline. Celle-ci reposait toujours sur la menace de licenciement. Pour que cette menace soit crédible, il fallait qu’il y ait beaucoup de travailleurs substituables et disponibles pour occuper la place. Car c’est précisément le manque de remplaçants qui conférait leur pouvoir aux anciens travailleurs qualifiés, lesquels ont été détruits par réaction.

212 Les “nouvelles technologies” semblent redonner vigueur à ce type de contrôle, notamment grâce à

tous les systèmes de mesure qu’elles permettent de mettre en place. Le data mining en est, de ce point de vue, la forme la plus poussée au niveau non pas d’un segment de production mais de l’entreprise dans son ensemble.

213L’auteur précise que (p. 120) “le contremaître est donc transformé en un agent qui assure la mise en

application des exigences et des ordres de la structure technique. (...) Le pouvoir concret de contrôler le travail est donc investi dans la ligne elle-même”.

2.3.5.2.2. Le contrôle bureaucratique

Enfin, le contrôle bureaucratique, né de la grande entreprise moderne, provient de la structure formelle de la firme et repose notamment sur la routine. Edwards considère que le système bureaucratique, qui a rendu possible une très vaste stratification de la force de travail dans la firme, n’élimine pas les contrôles hiérarchique et technique mais vient plutôt les compléter et est renforcé par eux. Il est construit sur les catégories de postes, de règles de travail, sur les procédures de promotion, les échelles de salaires etc.214. Les trois aspects du contrôle, que sont la direction,

l’évaluation et la discipline215, dépendent de l’établissement de règles et de procédures

conçues en détail et systématiquement. Il établit la force impersonnelle de la règle et de la loi et, par là même, institutionnalise l'exercice du pouvoir hiérarchique dans la structure formelle de la firme. Pour l’auteur, “le contrôle bureaucratique

institutionnalisait l’exercice du pouvoir capitaliste, faisant en sorte que le pouvoir semble émaner de l’organisation formelle elle-même. (...) Bien que les règles ne fussent pas toujours suivies [cf. résistance ouvrière], la faculté d’établir des règles a donné aux capitalistes le pouvoir de déterminer le terrain, de poser les conditions de base autour desquelles la lutte devait avoir lieu. Ce pouvoir était décisif. Comme les travailleurs étaient isolés les uns des autres [par la stratification], tout comme le système était distinct des chefs qui le supervisaient, la relation de base capitaliste / travailleur tendait à ne plus être visible. Le pouvoir capitaliste était effectivement enchâssé dans l’organisation de la firme” (pp. 145-146).

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