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Le modèle d’aléa moral en équipe d’Holmström

La réponse du courant dominant au défi radical

4. Vers une récupération du courant radical

1.3. Le modèle d’aléa moral en équipe d’Holmström

Pour les raisons qui viennent d’être évoquées, Alchian et Demsetz ont eu en fait très peu de continuateurs directs. De ce point de vue, publiée en 1982, la contribution d’Holmström260, qui modélise la problématique de ces deux auteurs261, fait figure

d’exception. Il entend toutefois montrer que “le rôle du principal ne consiste pas

essentiellement à contrôler” (Holmström [1982], p. 325). En effet, le problème du

passager clandestin peut être résolu en ayant recours à des incitations collectives. Le principal serait dès lors nécessaire (ibid.) “pour infliger des pénalités et financer les

bonus.” Il ajoute (ibid.) : “Le fait que les firmes capitalistes se caractérisent par la séparation de la propriété et du travail implique que le problème du free rider est moins prononcé dans de telles firmes que dans des organisations fermées telles que les coopératives (partnerships).” L’ambition d’Holmström est donc la même que celle

d’Alchian et Demsetz : il s’agit de déduire la nécessité de la hiérarchie capitaliste d’un échec de la firme autogérée.

259Ainsi, pour Dockès [1999], c’est la hiérarchie elle-même qui peut conduire les membres dominés à

cacher leurs apports personnels par des pratiques collectives reposant sur l’adage “notre ennemi, c’est notre maître”.

260Cet auteur était déjà connu pour ses travaux sur la théorie de l’agence et notamment pour son article

publié en 1979 dans le Bell Journal of Economics.

261 Le modèle de la production en équipe ne doit être confondu avec la théorie des équipes de Marschak

Toutefois, alors que ses prédécesseurs entendaient expliquer, à travers l’idée de non séparabilité, les raisons pour lesquelles plusieurs individus auraient intérêt à produire collectivement, Holmström quant à lui n’aborde pas cette question. Il ne se demande donc pas pourquoi plusieurs individus se réunissent ensemble pour produire ni pourquoi la firme existe. Il n'essaie pas non plus de trouver une explication à l'aspect caché de l'action individuelle. L’hypothèse de non séparabilité n'est pas discutée, l'auteur précise seulement que la fonction de production x -qui est le produit joint exprimé en monnaie- est strictement croissante, concave et dérivable avec x(0)=0.

Le modèle262, en univers certain, met en scène n individus. Chaque agent i

effectue une action non observable ai Ai [0,) avec un coût privé non monétaire vi: Ai  R, vi est strictement convexe, dérivable et croissant avec vi(0) 0. Soit

a (a1,..., an)A  X i1 n

Ai, on peut écrire : ai  (a1,...,ai1, ai1,...,an),a (ai,ai).

Le produit joint x: A R doit être réparti entre les agents. On pose que si( x) est la part de revenu x revenant à l'agent i. On suppose que la fonction de préférence de l'agent i est additive ment séparable entre monnaie et action et linéaire par rapport à la monnaie : ui(mi,ai) mi  vi(ai). Les dotations initiales en monnaie sont finies et normalisées de façon à être nulles.

Il s'agit de savoir s'il y a un moyen de répartir totalement le produit joint x tel que ce jeu non coopératif entre les agents ait un équilibre de Nash Pareto optimal. On se demande s'il existe des règles de partage si(x) 0,i  1,...,n, telles que l'on ait une équilibration du budget (budget-balancing) :

si(x) x i1

n

,x . (1) Les paiements du jeu non coopératif sont :

si(x(a)) vi(ai), i=1,...,n. (2)

Ce jeu a un équilibre de Nash a* qui satisfait la condition de Pareto optimalité :

a* arg max

aA [x(a) vi(ai)] i1

n

. (3)

Si les règles de partage sont dérivables, comme a* est un équilibre de Nash, on a :

s'ix'iv'i 0,i  1,...,n, (4) avec x'ixai. L'optimalité paretienne implique que

x'iv'i 0,i 1,...,n. (5)

Pour que les équations (4) et (5) soient compatibles il faut que s'i1,i 1,...,n mais ceci est en contradiction avec (1) car le fait de dériver les règles de partage implique que : s'i 1 i1 n

. (6)

Holmström en déduit le théorème n°1 suivant : Il n'existe pas de règle de partage

 

si(x) qui satisfasse (1) et qui donne a* comme équilibre de Nash dans le jeu non coopératif ayant les paiements (2). Ce résultat peut être compris de façon intuitive : alors que les individus reçoivent tout le bénéfice de la diminution de leur effort, ils partagent le coût d'une telle action avec tous les autres membres, les individus sont par conséquent incités à resquiller.263

L'inefficience de l'organisation autogérée, qui serait minée par le phénomène de passager clandestin, serait non seulement due à la présence de la non observabilité des actions mais elle serait aussi la conséquence de "l'équilibration du budget" (cf. (1)). Holmström montre qu'en assouplissant (1), il peut exister des équilibres de Nash efficients. Il propose les règles de partage suivantes :

si(x) x i

. (7) Et les spécifie comme suit :

si(x)bi s i x x(a*) 0 s i x  x(a*)    (8) avec bi i

 x(a*) et bi  vi(a *i) 0.

Ceci est possible car la Pareto optimalité implique que x(a*) vi(a *i) i

 0.

Holmström conclut que a* est un équilibre de Nash lorsque les règles de partage sont de cette forme. Il énonce son second théorème : il existe un ensemble faisable de règles de partage si(x) 0, i  1,...,n satisfaisant (7) tel que a* soit un équilibre de Nash.

Cependant, la mise en application de telles pénalités de groupes auto-imposées n'est pas crédible. Si par exemple, le niveau produit est inférieur au niveau requis x(a*), aucun membre de l'équipe n'a intérêt, ex post, à perdre une partie du revenu. Mais si les agents anticipent que les pénalités ne seront pas appliquées, la situation revient au cas où il y a équilibration du budget et le problème du passager clandestin réapparaît. Le problème de la mise en application des pénalités peut être résolu en ayant recours à un tiers. Ce dernier ne renégociera pas le contrat si, pour n'importe quelle raison, le niveau adéquat de production n'est pas atteint. L'auteur remarque qu'il est important de noter que le principal ne fournit aucun input productif (non observable). Dans le cas contraire, il subsisterait un problème de passager clandestin.

Dans ce modèle, l'élimination du resquillage se fait par la suppression de la contrainte d'équilibration du budget (budget breaking). C'est-à-dire que les paiements monétaires de l'équipe ne doivent pas nécessairement égaliser la valeur de l'output de l'équipe. Holmström écrit (p.328) : "Le rôle premier du principal est d'administrer d'une

façon crédible les schémas d'incitations qui disciplinent les agents plutôt que de

263Symétriquement, le fait que chaque individu doive partager le bénéfice tiré de l’accroissement de son

surveiller ces derniers comme c'est le cas dans l'histoire d'Alchian et Demsetz. La raison pour laquelle les firmes capitalistes bénéficient d'un avantage sur les coopératives dans le contrôle des incitations est qu'elles peuvent (et vont) employer des procédés, indépendamment du niveau de contrôle interne, qui ne sont pas réalisables dans des organisations fermées (équilibrant le budget)."

Bien qu'il s'en réclame, ce modèle ne correspond pas exactement à la théorie d'Alchian et Demsetz. En effet, outre les remarques formulées plus haut, il faut noter que le principal, chez ces derniers, était actif : il devait produire de l'information en observant, en surveillant les membres de l'équipe. Et au terme d'un processus productif, si l'ayant droit au résidu a effectué son travail d'une façon efficiente264, l'information sur

les productivités individuelles peut être considérée comme parfaite. En revanche, chez Holmström, le principal ne fait rien, son rôle est totalement passif et automatique : il suffit qu'il existe pour que toutes les difficultés soient résolues. Il est en quelque sorte un objet spéculatif. Par conséquent, contrairement au modèle d’Alchian et Demsetz, la configuration informationnelle ne change pas : l'information est imparfaite avant et après le jeu. Autrement dit l'activité productive collective ne génère pas en elle-même d'information spécifique, les membres de l'équipe n'apprennent absolument rien les uns des autres.

Ce modèle donnera lieu par la suite à une abondante littérature, ainsi qu’en témoignent les contributions d’Eswaran & Kotwal [1984], Arrow [1985], Rasmusen [1987], d’Aspremont & Gérard-Varet [1998], Valsecchi [1995], Andolfatto & Nosal [1997], mais celle-ci ne sera pas considérée comme le corpus d’une théorie de la firme.

2. La contribution de Kenneth J. Arrow : une approche complexe de

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