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Une économie d’intégration

CHAPITRE I : MÉTHODOLOGIE ET PROBLÉMATIQUE

13. Une économie d’intégration

La politique de Moshe Dayan277 après 1967 s’attache au développement des nouveaux territoires de manière à les intégrer à l’économie israélienne. Dayan ouvre les frontières aux résidents des territoires conquis, leur permettant de rejoindre les pays du monde arabe en passant par la Jordanie. Cette « unification » de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie avec les terres occupées par les Israéliens en 1948 permet aux familles et aux amis de se retrouver. Mais cela signifie aussi l’interruption des contacts entre la population palestinienne et l’Égypte. Les produits d’Israël et de la Cisjordanie occupée entrent à Gaza sans restrictions278, avec un impact économique qui va se sentir jusqu’au XXIe siècle. La croissance rapide est alors liée à la circulation de l’argent rentrant à Gaza grâce aux salaires des ouvriers formant une main-d’œuvre bon marché en Israël. Cet afflux financier, toutefois, ne s’est pas traduit par un

273 SAYIGH Yezid (1999), Ibid.

274 Conversation avec Madame Rawia Shawa, Gaza ville, février 2010.

275 ROY Sara, « Civil Society in the Gaza Strip : Obstacles to Social Reconstruction », in NORTON Augustus Richard éd (1996), Civil Society in the Middle East Volume 2, Leiden, Brill.

276 Notre traduction. SHARON Ariel, CHARNOFF David (2001), Warrior : an autobiograhpy, New York City, Simon & Schuster, p. 258, (1re éd. 1989).

277 Ministre de la Défense sous Levi Eshkol pendant la guerre de 1967.

278 Pour l’inégalité de commerce entre Gaza et Israël, BENDELAC Jacques (1999), L’Économie palestinienne, de la dépendance à l’autonomie, Paris, L’Harmattan, pp. 17-22 ; voir aussi ROY Sara (2004).

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développement économique car il n’a servi aucun processus de réhabilitation. Ont été ressentis, certes, des avantages au niveau des individus et de la société, mais ils ont surtout été individuels, sans effet positif évident sur le contexte de la vie politique, sociale et économique. L’augmentation des revenus a permis une élévation du consumérisme, une expérience nouvelle pour les Gaziotes. L’occupation israélienne amène de l’électricité dans toute la Bande de Gaza, même si sa fourniture était sujette à restriction et limitation, via la seule compagnie du genre israélienne. Le progrès apparent est toutefois illusoire, car il résulte d’une injection de salaires en espèces, que les ouvriers percevaient auparavant en Israël. Toutes les autres ressources palestiniennes sont transférées à l’économie israélienne du fait de sa dépendance toujours croissante et de l’acceptation de conditions de travail et d’aides offertes par Israël279. Ainsi, le développement de l’économie palestinienne ne s’opère pas, le libre mouvement des travailleurs engendre simplement deux espaces économiques séparés auxquels s’ajoute une dépendance accrue chaque jour vis-à-vis d’Israël. La gauche israélienne de son coté, espère dans ces années 1970 que les palestiniens allaient coopérer et participer à ce qu’ils considèrent les bienfaits de l’occupation avec enthousiasme280.

Depuis les années 1970, des milliers d’ouvriers, gaziotes pour la plupart, travaillent pour ou en Israël. Des centaines d’ateliers de couture voient le jour pour assouvir les besoins de la mode et du prêt-à-porter vendu dans les boutiques chics de Tel-Aviv. Les couturiers, des ouvriers peu payés, copient et produisent rapidement pour le marché israélien. Nombre d’entre eux sortent également pour travailler dans le secteur de la construction et dans l’agriculture, d’autres, moins nombreux, pour étudier et pratiquer la médecine. Pendant plus de trente ans, Gaza s’est convertie pour devenir le réservoir de main-d’œuvre d’Israël. Les ateliers de couture constituent un parfait exemple illustrant la sous-traitance israélienne, mais ce n’est pas le seul, il y en a des centaines à travers la ville. Dans le centre, des couturières et des tailleurs spécialisés travaillent à Daraj, Al Sheikh Radwan, Zaitoun, au camp de la Plage, un peu partout. De nombreuses femmes trouvent là un emploi ou bien travaillent à domicile. Mais les ateliers ne créent ni ne développent un secteur économique viable, bien au contraire. Lorsque la demande s’arrête et que les frontières se ferment, les ateliers disparaissent également ainsi que les salaires qu’ils engendraient.

279 BENDELAC Jacques (1999), ibid.

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La situation propice à celui-ci est déjà amorcée avec le Mandat britannique. En effet, la région de Gaza et Beersheba pratiquait alors des monocultures, surtout de l’orge, pour le marché céréalier de Grande-Bretagne et des agrumes pour l’exportation281. La culture des légumes était consacrée au marché local. Aucun soutien n’était apporté aux industries indigènes. Israël engendre, peut-être de manière non-intentionnelle mais par défaut de ses actions, la stagnation de l’économie locale de Gaza, empêchant ainsi la croissance des mécanismes sociaux qui auraient permis les transformations structurelles nécessaires à une accumulation de capital282. Les efforts éventuels, entrepris ultérieurement, pour réduire la dépendance ne sont pas suffisants.

Dans sa recherche sur la Bande de Gaza, Sara Roy explique qu’un pays sous-développé peut croître mais un pays qui a été privé de toutes ses ressources, naturelles et humaines, souffre de dé-développement283. La proximité de ces deux régions, Israël et la Bande de Gaza, fait que la balance concernant le pouvoir économique et politique penche en faveur d’Israël, créant une interdépendance coloniale et donnant à Gaza un caractère atypique. La politologue ajoute que le processus de « dé-développement fragilise la capacité de croissance d’une économie de s’étendre

en empêchant l’utilisation de ressources cruciales qui sont recherchées pour promouvoir la croissance interne au-delà d’un niveau structurel spécifique. À Gaza, le dé-développement […] a transformé l’économie gaziote en économie auxiliaire de l’État d’Israël »284.

En 1970, seulement trois ans après le début de l’occupation, l’administration construit une zone d’industrie légère, Erez, dans la région de Beit Hanoun, à la frontière avec Israël. Une centaine d’entreprises israéliennes s’y sont installées avec la promesse d’une main-d’œuvre bon marché et l’exemption d’impôts qu’elles devaient payer en Israël. Cette zone a progressivement employé environ cinq mille ouvriers. Parallèlement, les Israéliens ont engagé une politique d’expropriation et d’expansion en même temps que d’intégration économique, utilisant la main-d’œuvre palestinienne pour asseoir leur économie. Ils ciblent les ressources stratégiques, comme l’eau et la terre, et imposent des restrictions en matière d’aménagement

281 Élias Sanbar avance une interprétation différente : la Palestine n’était pas exposée au danger de la monoculture ; SANBAR Elias (2004), pp. 46-53.

282 ROY Sara (2004), pp. 128-129.

283 Yezid Sayigh, analyste économique arabe, entre autres, évoque la situation de dépendance qui fragilise et paupérise, sans offrir de conclusion convaincante. SAYIGH Yezid (1986), « The Palestinian Economy under Occupation: Dependency and Pauperisation », Journal of Palestine Studies 60, vol. XV, n 4, pp. 46-67.

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du territoire et de développement des capacités de production. On ne peut nier que l’occupation apporte aux Gaziotes certains avantages, mais ceux-ci n’ont aucune répercussion aux niveaux social, politique, ou économique, restant essentiellement individuels. Ainsi, la contribution d’Israël, durant près de quarante ans d’occupation de la Bande de Gaza, a été quasiment négligeable. Il semble même évident que sa présence a favorisé une stagnation déjà bien présente. Entre les années 1970 et 1980, période de rapide injection de liquidités, le résultat des restrictions dans la Bande de Gaza sur un plan économique, qui avaient été organisées par l’occupation, entraîne une baisse de l’activité agricole et industrielle du fait des difficultés liées à l’utilisation de la terre ainsi qu’à la réduction du nombre de permis accordés aux entreprises industrielles et commerciales pour construire des infrastructures. Ces restrictions ont profondément affecté la possibilité de développement des divers secteurs économiques. Les milieux agricoles et industriels se détériorent de plus en plus du fait de la fuite de la main-d’œuvre. Les Israéliens sont parvenus à mettre en place, dans la Bande de Gaza, un marché captif tout azimuts : économique, mais aussi relatif au travail, avec la réduction des emplois sur un territoire qui ne disposait pas d’une infrastructure industrielle et sans possibilité de développement, car bloquée par les politiques israéliennes. Durant ces années-là, Israël interdit les importations en direction de son territoire, par crainte d’être submergé de produits bon marché285.