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La résilience : faire face à des épreuves grâce à des ressources

CHAPITRE I : MÉTHODOLOGIE ET PROBLÉMATIQUE

2.3. La résilience : faire face à des épreuves grâce à des ressources

Dans la recherche d’une réponse à cette question, nous avons rencontré un concept qui nous a paru approprié : celui de résilience. Ce terme, qui, en physique, exprime la capacité d’un matériau à retrouver sa forme initiale après une déformation, a été introduit en psychologie par Emily Warner en 1950. La psychiatrie et les sciences sociales anglo-saxonnes s’en emparent à partir des années 198024 et, comme c’est le cas pour de nombreux concepts, il ne devient populaire en France et dans d’autres pays francophones qu’à partir des années 199025. Appliqué à ces autres domaines, le concept renvoie à la capacité de surmonter les traumatismes et de retrouver l’équilibre. Pour Michel Manciaux26, « résilier c’est se reprendre, rebondir, aller de l’avant après une maladie, un traumatisme, un stress. C’est surmonter les crises de l’existence, c’est-à-dire y résister, puis les dépasser pour continuer à vivre le mieux possible » comme pour Boris Cyrulnik27 la résilience un processus de réparation de chocs, de traumatismes ou encore de violences qui permet de progresser, de se construire dans les épreuves et les malheurs : « La résilience est un tricot qui noue une laine développementale avec une laine

affective et sociale […]. [Ce] n’est pas une substance mais un maillage ». Il était alors évidemment

tentant alors d’élargir le champ du concept, de l’appliquer aux réactions des individus pris dans des conflits28 ou même, comme cela vient d’être fait par Peter A. Hall et Michèle Lamont d’en faire un concept sociologique en parlant de résilience sociale dans un livre29 dont l’objectif est

24 Werner et Smith, 1982, 2001 ; Bowlby, 1984 ; Block & Block, 1980 ; Anthony, 1974, 1987 ; Rutter, 1985, 1993, etc.

25 Parmi ces auteurs nous pouvons citer Boris Cyrulnik, Michel Manciaux et Stanislas Tomkiewicz ou encore Michel Lemay et Stéphane Vanistendael. Voir Anaut Marie (2005), « Le concept de résilience et ses applications cliniques », Recherche en soins infirmiers, n° 82, pp. 4-11.

26 MANCIAUX Michel et al. (2001) La résilience : résister et se construire, Genève, Cahiers médicaux et sociaux. 27 CYRULNIK Boris (2002), Un merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob, (1re éd., 2000).

28 BARDER Brian et DOTY Samuel (2013), “How can a majority be resilient? Critiquing the utility of the Construct of Resilience through a focus on Youth in Contexts of Political Conflict”, p. 233 in Handbook of Resilience in Children of War, C. Fernando and M. Ferrari (éd.), New York, Springer Science.

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de comprendre comment les acteurs individuels et collectifs ont pu surmonter les changements introduits par l’ère néolibérale et continuer à mener « une bonne vie ».

Nous n’avions pas lu cet ouvrage que nous avons découvert récemment et qui a été publié en 2013 bien après que nous avons où nous avons commencé à utiliser le concept de résilience pour analyser les comportements des Gaziotes. Mais il nous donne raison a posteriori. Bien qu’ils utilisent le concept de résilience, les auteurs ne se limitent pas expliquer la résilience des individus par leur résilience. Ce qui serait quasiment tautologique, sauf à faire de la résilience une mystérieuse force interne aux individus. Pour en donner une explication, ils montrent comment les individus mobilisent les ressources que constituent les supports sociaux et les facteurs culturels. C’est également ce que nous avons fait. Très vite, nous avons compris qu’une sociologie de la résilience ne pouvait être explicative que si elle s’appuyait sur une sociologie analytique qui, postulant que les comportements des individus relèvent d’une rationalité contextualisée, était capable de retrouver le sens que ceux-ci leur donnent et les expliquent.

Restait alors à rendre compte de l’expérience à la fois individuelle et collective que vivaient les Gaziotes et à ma mettre en forme. Pour cela le concept d’épreuve30 qui a à la fois une dimension subjective – c’est ce que subit un individu, ce qui l’affecte, qui l’ébranle – et une dimension objective - un contenu- , que nous avons trouvé chez Danilo Martuccelli nous a paru parfaitement adapté à la grande différence près que, les épreuves auxquelles sont soumis les Gaziotes, ne sont pas, selon la définition de Martuccelli des « défis » socialement produits que les individus sont contraints d’affronter et qu’ils peuvent perdre ou réussir, ce sont des événements douloureux provoqués non par la société dans laquelle ils se trouvent, mais par des forces extérieures. En revanche, comme les épreuves que rencontrent les individus dans la société française, elles sont inégalement distribuées. Les deux grandes épreuves auxquelles font face les Gaziotes : le manque de travail et l’enfermement ne prennent pas la même forme selon les positions sociales des individus.

Après avoir identifié les épreuves, en restant dans le cadre de la sociologie analytique, il ne restait plus qu’à relire les entretiens pour trouver ce qui leur permettait de résister, à savoir les ressources non pas les ressources psychologiques, mais les ressources sociales et c’est là que nous avons retrouvé pour une part de nouveau le concept de société avec le rôle

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déterminant d’institution comme la famille, la religion, l’histoire partagée, même si d’autres éléments peuvent aussi intervenir. C’est ce cadre d’analyse utilisant quatre concepts : société, résilience, épreuve, ressource- qui nous semble être en mesure d’apporter une réponse à la question de savoir.

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CHAPITRE II

:

LA BANDE DE GAZA DANS L’HISTOIRE DE LA

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1. Introduction

L’entité que l’on appelle aujourd’hui la Bande de Gaza est une bande étroite de quarante-et-un kilomètres de long sur six à douze de large, bordée à l’ouest sur toute sa longueur par la Méditerranée, ayant au nord, à l’est et au sud-est une frontière commune avec Israël et au sud-ouest avec l’Égypte. C’est donc un petit territoire de 360 km2 sur lequel vivent, en 2016 environs 1,8 million d’habitants. Son histoire s’est longtemps confondue avec celle du reste de la Palestine et ce n’est qu’après les accords de Rhodes de 1949, par lesquels se termine la guerre arabo-juive, que cette partie des territoires palestiniens devient la Bande de Gaza et passe sous le contrôle de l’administration égyptienne.

On pourrait donc limiter l’histoire de la Bande de Gaza à ce qui s’est passé après 1949, d’autant que les habitants les plus âgés en ont une mémoire directe. Toutefois, sans en revenir comme le font les historiens gaziotes Skeik ou Sisalem ou, plus récemment, al Umbaied pour la ville de Gaza, à la période grecque et romaine, il est très important de connaître l’histoire de la période ottomane et celle du mandat britannique car toutes deux ont laissé leur empreinte jusqu’à nos jours, ainsi que la période égyptienne qui s’est ouverte ensuite. Cette histoire est profondément liée aux sentiments (moa’ana) dont souffrent les Palestiniens, surtout les réfugiés. Elle est également transmise et vécue par ceux qui sont nés plus tard, à travers les histoires répétées par les aïeux, dans un effort conscient de leur responsabilité de préserver la mémoire d’el watan (la patrie) comme ils la concevaient du temps des frontières du Mandat britannique.