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Les prémices de la partition à partir de 1917

CHAPITRE I : MÉTHODOLOGIE ET PROBLÉMATIQUE

4 Les prémices de la partition à partir de 1917

Avant même les débuts du Mandat britannique de la Palestine, le gouvernement anglais publie la déclaration de Balfour en 1917 avec la recommandation de créer un foyer juif dans la Palestine. Depuis cette déclaration et tous les événements qui s’ensuivent, les promesses faites aux Juifs et les engagements pris à l’égard des Arabes ne sont pas compatibles.

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Figure 1 : Palestine sous Mandat britannique 1923-1948

Source : Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs, PASSIA.

Sir John Chancellor, haut-commissaire de 1928 à 1931, propose bien de supprimer les privilèges attribués aux Juifs et de doter les Arabes d’un gouvernement autonome, mais les rapports entre Londres et les dirigeants sionistes sont si étroits que cette proposition est tout simplement ignorée. Il y avait des tensions et de frictions fréquents néanmoins dans la vie quotidienne, les populations se connaissaient et se côtoyaient comme de bons voisins. Un de nos interviewés né à Hébron parce que son père y travaillait dans le service postal britannique, nous raconte l’histoire d’un massacre qui a eu lieu en août 1929. Il avait huit ans quand il se souvient qu’il y a eu une effervescence dans la ville : « Il y avait des tires par tout et ma mère nous a

caché dans une chambre fermée à clé. Elle a ouverte la porte pour laisser passer la famille de nos voisins, qui étaient des juifs et nous donnant de la nourriture, elle a refermé la porte à clé. Nous étions ensemble quelques heures jusqu’à que mon père cette fois, a ouverte la porte pour nous laisser sortir. Nos voisins n’étaient pas blessés mais il y a eu beaucoup des arabes et des juives blessés et mortes ».

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Dans une article du Courrier international, Tom Segev écrit: « Un des jours les plus noirs

du mandat a lieu en 1929 à Hébron […]. La plupart des Juifs d’Hébron ont été sauvés par leurs voisins arabes. La veille du massacre, il y avait entre 600 et 800 Juifs à Hébron. Ils appartenaient aux communautés -religieuses ashkénaze et séfarade. Le 24 août 1929, 66 d’entre eux ont été assassinés et des dizaines d’autres grièvement blessés […]. L’unité de police britannique stationnée à Hébron était trop faible, mais son commandant, Raymond Cafferata, a fait de son mieux pour sauver le plus de gens -possible. Les archives sionistes ont conservé la liste des Juifs qui ont pu se réfugier chez des Arabes. Cette liste compte pas moins de 435 noms, ce qui signifie que plus de la moitié de la communauté juive d’Hébron a trouvé refuge dans 28 maisons arabes, certains Arabes parvenant à cacher plusieurs dizaines de Juifs » 109 .

À la fin des années 1930, les rapports entre les populations britanniques et locales se détériorent progressivement110, l’administration du Mandat ne parvenant pas à apaiser le malaise111 des deux côtés : les Arabes voient la Déclaration Balfour comme une trahison, et les Juifs considèrent que le Mandat ne les aide pas suffisamment, car il fixe des quotas pour l’entrée de nouveaux Juifs en Palestine.

Au milieu des années 1930, le mouvement sioniste est parvenu à faire de la Palestine un lieu de refuge pour les Juifs d’Europe, ce qui était le but de l’Agence juive et qui avait été ratifié déjà par la déclaration Balfour en 1917. Les diverses vagues d’immigration juive transocéanique qui sont d’abord lentes et sans un rythme régulier, s’intensifient surtout avec la persécution de juifs en Allemagne, après l’Autriche et la Tchécoslovaquie entre 1932 et 1939. Durant ces huit ans, 224 785 juifs rentrent. À ce moment les statistiques indiquent que la Palestine a absorbé 46 % de l’immigration transocéanique juive112. La population juive s’accroît et la cohabitation avec la population locale arabe est alors de plus en plus difficile ; les fréquentes frictions entre les populations aboutissent à des affrontements meurtriers entre Arabes palestiniens et Juifs. À Gaza, en 1936, la grève générale est décrétée par les mouvements étudiants et garçons et filles occupent la rue et s’opposent aux autorités à coup de pierres. Les forces de police britanniques paralysent la circulation des véhicules à travers toute la ville. Nos recherches ont permis d’obtenir des renseignements sur cette période de

109 SEGEV Tom (2009), « Retour sur l'histoire. Le massacre d’Hébron n’était pas un pogrom », Courrier international, 26 août.

110 PAPPE Ilan (2006), The Ethnic Cleansing of Palestine, Oxford, Oneworld Publications.

111 HOURANI Albert (2005), A history of the Arab peoples, Croydon, CPI Bookmarque, (1re. éd. 1991).

112 VAUMAS Étienne de (1954), « Les trois périodes de l'immigration juive en Palestine », Annales de Géographie, vol. 63, n° 335, pp. 71-72.

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troubles, en particulier chez un instituteur révolutionnaire, Abdel Khaleq Yaghmour113 qui, avec ses jeunes élèves, a lutté avec ferveur contre l’armée britannique. Nous avons également retrouvé les poèmes d’un militant, un certain Mo’in Bsesso114, alors jeune étudiant, permettant d’avoir une idée du degré d’insatisfaction à travers Gaza.

Durant les révoltes entre 1935 et 1937, environ cinq mille Arabes ont perdu la vie et deux mille ont été blessés. Pour faire face à cette situation critique, le gouvernement britannique envoie une commission d’enquête menée par Lord Peel (1936-1937) qui conclu que la poursuite du Mandat n’est pas envisageable et recommande la « partition ». S’ouvre alors une longue période de tergiversations pour le gouvernement, dont la politique ne cesse de varier : parfois favorable à l’expansion sioniste, soucieuse des relations avec les populations arabes à d’autres moments, avec à l’esprit l’imminence d’un nouveau conflit mondial qui nécessitera le soutien de tous. Pour renforcer les alliances, la Grande-Bretagne fait pression pour l’établissement de la Ligue des États arabes, en mars 1945115.

Cette année-là (1945), d’après l’historien Elisée Reclus, Gaza est une de plus grandes villes de Palestine après Jérusalem116 mais la situation démographique dans son district est différente du reste de la Palestine : sa population est alors majoritairement arabe, musulmane et chrétienne, l’Islam étant la religion dominante. Les données étudiées montrent que, malgré l’accroissement de la population juive dans d’autres régions, le 31 décembre 1946, sur près de deux millions d’habitants recensés, les Arabes constituent la majorité de la population, représentant 69 % des individus, soit environ 1 370 000 personnes, pour seulement 608 000 Juifs, soit 31 % de la population117. Concernant plus particulièrement la ville de Gaza, la même source l’estime à 34 290 Arabes et 80 Juifs. La population juive se concentre à près de 90 % dans les villes (mixtes) de Jérusalem et Haïfa et autour de Netanya, Hadera et Tel-Aviv, sur un territoire estimé à 4 % de la Palestine mandataire. Cette majorité évidente n’entrave en rien la décision de partition qui attribue 56 % des terres aux Juifs et 43 % aux Arabes.

113 BSISSO Mo’in, (1988), Entre l’épi et le fusil, trad. fr., Tunis, Lotus Book. 114 Mo’in Bsisso, poète gaziote communiste.

115 KHANI A. (1971), Étude synoptique sur la Ligue des États arabes‬ : historique, structure et prérogatives, réalisations politiques, économiques, militaires, sociales, nationales, résolutions, documents‬, Office arabe de presse et de documentation‬. 116 SEREEN Hélène, « Le réseau urbain 1879-2000. Permanences spatiales et stratégies de contournement de la contrainte coloniale », in SOURIAH S.-A. éd. (2005), Villes Arabes en Mouvement, Paris, L'Harmattan, p. 133. 117 HADAWI Sami (1945), Village Statistics 1945 et site web PalestineRemembered.com « Village Statistics Project », basé sur les données statistiques du Gouvernement de la Palestine pour les Nations Unies en 1945, Government of Palestine.

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Les troubles devenant de plus en plus nombreux dans la région, la Grande-Bretagne demande aux Nations Unies que soit formé un Comité chargé de préparer des recommandations sur la situation de la Palestine en vue de la prochaine session de l’Assemblé générale. Le Comité spécial des Nations Unies pour la Palestine, UNSCOP118, composé de onze membres (l’Australie, le Canada, la Tchécoslovaquie, le Guatemala, l’Inde, l’Iran, la Hollande, le Pérou, la Suède, l’Uruguay et la Yougoslavie) recommande, dans son rapport (mai 1947), la partition de la Palestine en deux États, l’un arabe, l’autre juif, unifiés économiquement, Jérusalem et ses voisins ayant un statut international119. Dans un tel contexte de doute, les Nations Unies autorisent le plan de partition120.

La proposition (résolution 181) prévoit le découpage de la Palestine en sept enclaves, trois d’entre elles formant un État juif, trois autres un État arabe et la dernière, Jérusalem, étant définie comme un corpus separatum internationalisé121. La résolution 182 est votée le 29 novembre 1947 à une faible majorité par l’Assemblée générale des Nations Unies, sans préciser de plan de gestion et de financement. La Grande-Bretagne qui avait déjà annoncé son intention de rendre son Mandat en Palestine le 15 avril de 1948 ne veut prendre aucun parti Si, dans un premier temps, Juifs et Arabes refusaient toute partition, les sionistes changèrent progressivement de position, celle-ci leur apportant l’État qu’ils désiraient122.

Les Arabes, en revanche, se sentent floués et mis devant le faite accompli : désormais, un État juif est né alors même que ce sont les Arabes qui représentent la majorité de la population123. Le Haut-Conseil arabe, dirigé par le hajj Amin al Husseini, demande alors à la Ligue arabe, créée en 1945, de le soutenir dans sa volonté de fonder un gouvernement sous contrôle du Conseil. Dans un premier temps, la Ligue refuse de répondre favorablement à sa requête. Les confrontations se multiplient et se transforment en une guerre civile au moment où les autorités du Mandat démantèlent leur administration.

118 Le Comité spécial des Nations Unies pour la Palestine (UNSCOP) est créé le 15 mai 1947 en réponse aux demandes de la Grande-Bretagne à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies de faire des recommandations sous l’article 10 de son Mandat, relatif au futur gouvernement de la Palestine.

119 MANSFIELD Peter (1992), The Arabs, Londres, Penguin, pp. 234 (1re éd. 1976).

120 HOURANI Albert (2005), A history of the Arab peoples, Croydon, CPI Bookmarque, p. 254.

121 FENAUX Pascal (1998), « Un éternel ‟cauchemar ” démographique », La revue nouvelle, n 5/6, mai-juin, pp. 44-59.

122 EL-EINI Roza (2006), Mandated Landscape, British Rule in Palestine, 1929-1948, Cambridge, Routledge. 123 SHLEIN Avi (1990), « The Rise and Fall of the All-Palestine Government in Gaza », Journal of Palestine Studies, vol. XX, n 1, p. 37.

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Après la déclaration de création de l’État d’Israël en mai 1948, la guerre éclate. Mais les sionistes s’étant mobilisés pour former leur État, aucun retour en arrière n’est envisageable. Le groupe terroriste Irgun, en collaboration avec l’organisation militaire Haganah124, avait d’ailleurs commencé, au début du mois d’avril 1948, le lancement du Plan Dalet125 visant la

prise de territoires palestiniens. Celui-ci est fondé sur trois précédents, le Plan B de septembre 1945, un plan datant de mai 1946 et le Plan Yehoshua de 1948. Le Plan Dalet était un plan de défense contre une invasion arabe, et visait la conquête par n’importe quel moyen dont le « nettoyage » ethnique du pays. L’objectif « est de prendre le contrôle des zones de l’Etat hébreu et de défendre ses frontières. Il vise également à prendre le contrôle des zones de colonisation et de concentration juives qui se situent à l’extérieur des frontières [de l’Etat hébreu] aux petites forces régulières et semi-régulières opérant depuis des bases à l’extérieur ou à l’intérieur de l’État. »

Rappelons que les armées arabes ne sont entrées en Palestine qu’après le départ des Britanniques, le 15 mai, et que malgré leur succès hors des régions contrôlées par les Juifs, comme Gaza, Beersheba, les montagnes de Naplouse et de Hébron, il était déjà trop tard.

5. L’autorisation en novembre 1947 du plan de partition et ses