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La première Intifada à la fin de 1987

CHAPITRE I : MÉTHODOLOGIE ET PROBLÉMATIQUE

16. La première Intifada à la fin de 1987

Au cours du dernier trimestre 1987, la population organise des manifestations de plus en plus fréquentes, traduisant son malaise et son désespoir. La réponse ne se fait pas attendre du côté d’Israël : la répression s’intensifie. Depuis août 1987, dans la Bande de Gaza, les quatre partis existant formalisent leur coordination : le Fatah, le FDLP, le FPLP et le Parti communiste. Ce sont eux qui vont former, immédiatement après le déclanchement de la rébellion de fin décembre, un Commandement national unifié du soulèvement (CNUS)307. Cette rébellion, que les medias appellent la révolte des pierres, prend son essor après un incident survenu à Jabalia le 9 décembre 1987 : la nuit précédente, un accident de la circulation a eu lieu, le conducteur d’un poids-lourd ayant percuté deux camionnettes transportant des ouvriers palestiniens. Trois d’entre eux sont tués et sept autres blessés. L’incident, décrit par

l’Associated press comme un accident, est considéré par les habitants de Gaza comme une action

intentionnelle. Des centaines de personnes se sont présentées à l’hôpital Shifa pour faire un don de sang308.

C’est cette date symbolique que choisit Tamimi comme date de fondation du HAMAS, abréviation des lettres H M et S de Harakat al-Muqawamah al-Islamiyah : le mouvement de la résistance islamique309. La population occupe alors la rue en signe de protestation, mais l’armée israélienne riposte à balles réelles et instaure un couvre-feu qui durera des semaines, avec interdiction formelle de sortir, même pour l’UNRWA qui a, de fait, bien du mal à distribuer ses aides humanitaires. La presse internationale et les Nations unies condamnent la réaction israélienne sans que pourtant celle-ci ne cesse, la répression s’intensifiant davantage

307 FILIU Jean-Pierre (2012), pp. 195.

308 Conversation avec Fares, habitant de Jabalyia, âgé de quinze ans en 1987, qui a donné son sang à Shifa. 309 Pour plus d’informations sur le Hamas voir TAMIMI (2007), Hamas a History from Within.

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encore. De nouveaux civils rejoignent le soulèvement. Les camps de réfugiés sont encerclés et gardés durant des jours, parfois même des semaines. La brutalité israélienne et le spectacle donné par ces attaques à l’encontre de civils non armés engendrent le lancement des premiers cocktails Molotov. Les bayan, ou tracts, distribués alors sont signés par le Commandement unifié. Les mosquées s’allient également au mouvement et annoncent, par le biais de leurs haut-parleurs, les alertes, les protestations et aussi le nashid (forme de chant patriotique sans accompagnement musical)310. Les autorités israéliennes désignent le meneur de l’Intifada : le

cheikh Yassin.

Le soulèvement, connu comme la première Intifada, s’étend comme un feu de paille à travers les Territoires palestiniens occupés. La ville de Gaza est alors sans maire élu ni Conseil municipal et ne dispose même pas du droit de rassemblement public. Ce n’est que quatre ans plus tard, en 1991, que le ministère israélien de la Défense décidera finalement de former un Conseil municipal sous la direction d’un avocat et activiste bien connu, Fayez Abu Rahme. Durant ces années, « l’intégration », aménagée par Moshe Dayan entre les économies israélienne et palestinienne, s’avère profonde. L’OLP tente de revendiquer immédiatement le mouvement et nomme Abu Jihad pour la coordination entre le siège à Tunis, la Cisjordanie et la Bande de Gaza. La réponse israélienne est brutale : des tirs à courte distance, le passage à tabac de nombreux enfants et de plusieurs femmes, et l’instauration du couvre-feu. S’ensuit une série de restrictions collectives sans toutefois parvenir à mettre un terme à la rébellion qui constitue une échappatoire à une jeuneuse désespérée. Comme l’explique Zyad Abu-Amr dans son ouvrage Islamic Fundamentalism in the West Bank and Gaza311, l’Intifada a pris les Frères musulmans par surprise, tout comme l’OLP dans les territoires palestiniens. Elle marque l’entrée du mouvement islamique dans une phase de véritable résistance à l’occupation, c’est le

jihad actif. La différence est notable avec le travail qu’ils avaient réalisé jusqu’alors, tout du

moins dans le cadre de la société civile.

Ibrahim Al-Quqa, membre éminent du Hamas, décrit ainsi l’objectif de l’Intifada :

310 TAMIMI (2007), Hamas a History from Within, p. 54.

311 ABU-AMR Zyad (1994), Islamic Fundamentalism in the West Bank and Gaza, Bloomington, Indiana University Press.

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« Le but de l’Intifada est […] de libérer la terre, toute la terre, l’honneur et la religion. L’Intifada cible une libération totale [de la Palestine] des mains des oppresseurs impérialistes et la restitution de la cause à son contexte indépendant islamique »312.

La réunification des Frères musulmans donne au comité local les moyens de s’organiser pour gérer les actions à Gaza et en Cisjordanie313. De la même façon que l’OLP tente de s’approprier et d’utiliser le soulèvement à ses fins, cheikh Ahmad Yassin, le leader du mouvement islamiste, tient des réunions, d’abord à Gaza puis, plus tard en Cisjordanie, pour préparer une réponse unifiée. La détention du cheikh Yassin et d’autres leaders du Hamas par les Israéliens n’a pas induit l’arrêt de leurs activités, et l’organisation gère la situation de manière à régénérer son leadership. Le fait que le Hamas soit dirigé par un Comité de consultation, majlis shura, comprenant des membres externes aussi bien qu’internes aux territoires occupés, donne une souplesse au mouvement dans le cas d’attaques ou de la disparition de dirigeants.

Au début de l’année 1988, Yasser Arafat, depuis Tunis, déclare qu’il n’y aura pas de lutte armée durant l’Intifada. Cette décision, étonnante, marque un tournant pour un mouvement jusqu’alors armé, et même le Jihad islamique s’est joint à cette déclaration alors qu’il avait préparé des opérations armées et mis en place un cadre de résistance314. Toutefois, les Frères musulmans, le cheikh Ahmad Yassin à leur tête, bien qu’ayant récemment créé leur branche armée, al-Majd, ne font pas de déclaration sur la décision d’Arafat, mais poursuivent en revanche leurs actions de résistance. Les attaques, les arrestations et les bannissements sont à l’ordre du jour en 1988. Itzhak Rabin est à la tête du gouvernement israélien et Ariel Sharon toujours présent. C’est ensemble qu’ils planifient le démantèlement du Commandement national unifié ainsi que l’arrestation des chefs du Hamas, parmi lesquels Rantissi. De nombreuses personnes interviewées ont expliqué que c’est pendant la première Intifada qu’Israël avait soutenu tacitement la montée du Hamas en opposition au Fatah. Moi-même, sur place à Gaza à l’époque, peux témoigner de cette ascension. Le soutien implicite d’Israël remonte à l’acceptation de l’inscription légale d’al-Mujamma’ al Islami, présidée par le cheikh

312 TAMIMI (2007), p. 62.

313 Le premier camp de réfugiés qui s’unit à l’Intifada est celui de Ballata à Naplouse.

314 Nous étions à Gaza en ce moment historique et des connaissances jihadistes que nous avions nous ont expliqué la décision de changer l’image des Palestiniens pour essayer, comme Gandhi, une résistance pacifique. Filiu mentionne la même remarque dans son livre Histoire de Gaza, ainsi que la volonté du Jihad islamique de ne pas prendre les armes pendant l’Intifada : FILIU J.-P., (2012).

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Yassin à Gaza, en 1979, ainsi que l’autorisation de fonder l’Université islamique315. La création du Hamas, pendant la première Intifada, met en place un processus de contestation du sécularisme lié au nationalisme de façon directe contre le Fatah. Pour la plupart des personnes que nous avons interrogées, ce mouvement de résistance marque un tournant majeur dans leur vie, qui revient fréquemment dans les conversations.

Déjà, lors de la première Intifada, à partir de 1987, quelques-uns des individus que nous avons interviewés expliquent qu’il y avait eu à Gaza des agressions contre des femmes non voilées. Celles-ci faisaient partie de groupes militants nationalistes, laïcs et les agresseurs étaient des « extrémistes ». Le Commandement général dirigeant l’Intifada n’a pas immédiatement publié de bayan (communiqué) contre ces attaques. Et ce n’est finalement que plusieurs jours après qu’a été diffusé un message, surprenant pour les femmes, mentionnant que les laïcs ne défendaient pas leur droit à décider de la tenue qu’elles portaient, mais en appelaient à la tradition. Leur défense était alors basée sur le statut de la femme en qualité de mère de famille palestinienne, perpétuant un stéréotype. Pour ces femmes, c’était là un raisonnement préoccupant et certaines d’entre elles qui travaillaient dans des associations de la société civile, aux côtés de femmes voilées, ont alors exprimé leur sentiment de pression sociale croissante les poussant à se voiler. Et ce qui était plus préoccupant c’est qu’il y avait une confusion entre le laïcisme et les intérêts nationalistes des diverses factions envers le respect et le droit de la femme. La friction entre les laïcs et les extrémistes augmente ainsi la scission de la société palestinienne en deux factions316.

17. Le changement de politique du gouvernement israélien envers les