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La période ottomane de 1516 à 1917

CHAPITRE I : MÉTHODOLOGIE ET PROBLÉMATIQUE

2. La période ottomane de 1516 à 1917

Quelques mois après la victoire en 1516, à Alep, des armées de Selim Ier sur les Mamelouks31, la ville de Gaza, importante pour accéder à l’Égypte32, est conquise. Elle fait, dès lors, partie comme le territoire actuel de la Bande de Gaza de la province ottomane (sandjak) de Syrie, elle-même divisée en quatre pachaliks (divisions administratives dirigées par un

31 Selim Ier ou Yavuz Sultan Selim Han, dit le brave ou Le terrible, est le neuvième des Sultans ottomans. Né le 10 octobre 1470 à Amasya, il est mort le 20 septembre 1520 à Istanbul. Il est le premier Sultan ottoman à porter le titre de calife en 1517.

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pacha) : Damas, Alep, Tripoli et Sidon33. Après avoir supplanté les Mamelouks au pouvoir, les Ottomans partagent la plupart des terres en de grandes propriétés féodales, timar et ziamat, des fiefs à l’ottomane, concédés à différents militaires en récompense de la conquête34. Ces derniers, nommés pachas lèvent les impôts, en espèces ou en nature, et en donnent leur fermage à des notables locaux qui reçoivent en paiement, selon le système accordé, des bénéfices personnels et, parfois, des terrains. Ces derniers peuvent alors prélever deux ou trois fois plus que l’impôt réellement dû à l’administration ottomane et s’approprier les surplus des récoltes de « leurs » paysans. Certains d’entre eux tirent aussi des bénéfices de la gestion des nombreuses propriétés religieuses, dédiées à la bienfaisance, nommées awqaf35 qui financent des activités bénévoles dans les nombreuses villes saintes de la Palestine. Enfin, ils rendent aussi la justice locale et participent annuellement à la protection de la grande caravane du Hajj (le pèlerinage), de Damas vers la Mecque.

Par ailleurs, la Palestine se distingue des pays voisins par le maintien de l’asabiya

qabaliya36, l’esprit de corps tribal caractéristique des tribus bédouines badu, tant dans les clans de paysans que dans ceux des citadins, hadar. L’asabiyya tribal prend ses racines dans le nasab, lien de parenté. Ce sont ces alliances qui relient les clans (voir hamuleh ou hamael au pluriel : groupements des familles) et les familles des notables entre elles et qui donnent lieu à l’émergence d’une configuration palestinienne relevant surtout de la solidarité clanique ou tribale37.

L’Empire ottoman et l’Orient exercent un immense attrait pour l’Europe des XVIIIe et XIXe siècles. À la fin du XVIIIe siècle, la France confie au jeune général Bonaparte38 la campagne d’Égypte. Les préparatifs de l’expédition française – qui durera de 1798 à 1801 – se déroulent dans le plus grand secret. La France souhaite éviter que la Grande-Bretagne n’ait

33 Différemment, au XIXe siècle, les cartes montrent le pachalik de Gaza comme une région distincte qui inclut les villes de Ramla et Jaffa.

34 MA'OZ Moshe (1975), Studies on Palestine during the Ottoman Period, Jérusalem, éd. Magnes Press.

35 Awqaf, pluriel de waqf est, dans le droit islamique, une donation faite à perpétuité par un particulier à une œuvre d’utilité publique, pieuse ou charitable. Le bien donné en usufruit est, dès lors, placé sous séquestre et devient inaliénable. La propriété ne peut alors être vendue. Cf. HOURANI Albert, A history of the Arab peoples, Croydon, CPI Bookmarque, 2005, p. 254 (1re éd.: 1991).

36 BARAKAT Halim (1993), The Arab World, Society, Culture and State, Berkeley, University of California Press, pp. 52-54.

37 Ibid. Dans le cas de la Palestine, les liens de parenté sont, pour la plupart, symbiotiques et imaginés.

38 À l’issue de l’éclatante campagne d’Italie menée par Bonaparte, l’Autriche vaincue est contrainte de signer le traité de Campo Formio en octobre 1797, la France charge alors Napoléon de l’expédition d’Égypte.

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connaissance de la destination de l’expédition et surtout n’ait vent de son but principal qui est de bloquer les forces navales de celle-ci et son accès à la route des Indes, fleuron de la couronne britannique39. La campagne, bien que militaire, est aussi scientifique, voire même civilisatrice40. Bonaparte fait constituer par Gaspard Monge, l’un des fondateurs de l’École polytechnique de Paris, un large groupe de savants issus de plusieurs disciplines41, dans le but de former une « Commission des sciences et arts ». Il envahit alors l’Égypte en juillet 1798 et un mois plus tard, en août, il crée l’Institut d’Égypte et en confie la présidence à Monge. Les travaux de l’Institut vont porter sur l’Antiquité pharaonique et gréco-romaine, mais aussi sur la société égyptienne : l’architecture, la langue, les structures sociales, mais aussi sur l’état sanitaire, le régime des eaux, la musique, l’artisanat, l’industrie, la topographie, la minéralogie. Ils conduiront à la publication de l’ouvrage monumental intitulé Description de l’Égypte (1809-1822), ainsi que d’une cartographie de l’Égypte (1826) elle-même.

Quelques mois après la conquête de ce pays, Bonaparte dirige ses troupes vers al’Arish dans le sud du pays et entre à Gaza en février 1799. Ses armées sont les premières d’Occident à envahir la Palestine depuis l’époque des croisés du Moyen-Âge. Si le passage de Bonaparte par la Palestine et son séjour à Gaza n’ont pas été de longue durée42, l’expédition a toutefois déclenché un éveil culturel local43 et a conduit à accorder une nouvelle attention à la Palestine, à la Terre Sainte44, qui vaut non pour ses richesses, mais pour sa valeur symbolique, étant perçue

comme un pays source, un pays des origines45. Les Gaziotes ont gardé la mémoire de cet épisode46 et le Palais, devenu aujourd’hui l’école des filles al-Zahra, dans lequel Bonaparte aurait passé la nuit est encore aujourd’hui appelé le palais de Napoléon.

39 DOWTY Alan (2014), « Prelude to the Arab-Israel Conflict, European Penetration of Nineteenth-century Ottoman, Palestine », Contemporary Review of the Middle East, v. 1, n° 1, pp. 3-24.

40 LAURENS Henry (1997), L’Expédition d’Égypte 1897-1801, Paris, Seuil.

41 La commission sera composée de plus de cent soixante membres, dont des médecins, techniciens civils, ingénieurs et savants, entre autres Claude L. Berthollet, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire et Joseph Fourier, dirigée par Gaspard Monge.

42 Les armées ottomanes la reprennent et en font leur base. Et, dès 1801, elles occupent à nouveau l’Égypte avec le soutien du gouvernement britannique.

43 DOUMANI Beshara (1995), « Rediscovering Palestine », Londres, University of California Press, p. 6, aussi in MAZZA Roberto (2014), Jerusalem, from the Ottomans to the British, London-New York, I.B. Tauris, p. 13 (1re éd. : 2009).

44 VOLNEY Constantin-François (1787), Voyage en Syrie et en Égypte (1783-1785), Paris.

45 SANBAR Elias (2004), Figures du Palestinien. Identité des origines, identité de devenir, Paris, Gallimard, p. 72. 46 Conversations avec Jrir al Qudua, 1995.

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Avec le soutien du gouvernement britannique, les armées ottomanes reprennent Gaza en 1801 et en font leur base principale pour réoccuper l’Égypte. A la tête des troupes qui ont vaincu les armées françaises et repris l’Égypte, se trouve Mohammed Ali, un militaire d’origine albanaise. Il devient vice-roi en 1805 47 et prend ses distances à l’égard de la Sublime Porte. En 1831, son fils, Ibrahim Pacha, devient gouverneur de Syrie, le sandjak dont faisaient partie la région et la ville de Gaza.

C’est une étape importante dans l’histoire de la Bande de Gaza. Pour la première fois, exception faite de la période mamelouke48, les Gaziotes passent sous le contrôle des Égyptiens. Dans un premier temps, leur arrivée est bien acceptée car ils créent des conseils locaux auxquels participent les habitants, ce qui n’avait jamais existé sous l’administration ottomane49. Toutefois, les Égyptiens lèvent de très lourds impôts et mettent en place la conscription. De jeunes Gaziotes sont alors envoyés au Yémen où ils doivent rejoindre l’armée pour lutter contre des Arabes, musulmans comme eux50. De fait, les Gaziotes n’éprouveront aucun regret lorsque le gouvernement britannique, qui n’apprécie pas Mohammed Ali, le force à quitter la Syrie en 1841 en lui offrant un poste, héréditaire, de gouverneur d’Égypte. Cette dernière faisant partie, bien que de façon nominale seulement, de l’Empire ottoman.

Avec le retour des Ottomans, la situation des habitants de la ville et de la région de Gaza est à nouveau modifiée. Le Sultan Mahmoud II (1839-1861) initie dans tout l’Empire un ensemble de réformes (Tanzimat) entre 1839 et 187651 dans le souci de mettre un terme à la décentralisation, qui avait été très exagérée au cours du XVIIe siècle, de renouveler les systèmes en place et d’obtenir le soutien européen dans sa lutte contre Mohammed Ali, qui menace l’Empire par son désir d’autonomie. Les réformes ont pour objet la centralisation du système et la rénovation d’institutions inadaptées. Le gouvernement, présidé par le Grand vizir, est alors réorganisé en divers ministères, avec un conseil des ministres. Les reformes

47 MAZZA Roberto (2014), pp. 13-14.

48 Le cas était différent avec les Mamelouks qui dirigeaient, en 1260, la Palestine depuis l’Égypte jusqu’à que les Ottomans, avec Salim Ier,les vainquent en 1517, initiant l’occupation ottomane.

49 BUTT Gerald (1995), pp. 30-42.

50 Le Dr. Salim al Umbaied, historien gaziote, explique que son grand-père a pu retourner à Gaza par miracle, depuis le pays que l’on connaît aujourd’hui comme étant l’Irak, en marchant à travers le désert pendant des semaines. Arrivé à Damas, il a trouvé un transporteur pour Gaza. Tout le monde l’avait cru mort !

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administratives visent également à développer l’économie et à améliorer l’éducation. L’objectif est de créer un ottomanisme qui donnerait aux sujets de l’Empire une identité non religieuse52.

L’Empire ottoman, pour utiliser une expression d’Albert Hourani, bien qu’étant dynastique, turc et musulman, se montre universaliste53. En mettant fin aux monopoles de l’Etat, tels les fermages et le contrôle de la propriété de la terre par le Sultan, il libère l’activité commerciale et permet aux non-musulmans de devenir propriétaires. Il supprime ainsi le fermage assigné à des personnes privées qui leur permettait de s’enrichir en prélevant beaucoup plus que la part due à l’État. Il crée des écoles militaires dans lesquelles l’enseignement est dispensé par des professeurs étrangers, développant ainsi un enseignement supérieur, ouvert aux idées issues des Lumières et de la Révolution française54, sauf à Gaza. Les grandes écoles secondaires et spécialisées se trouvent ailleurs : à Jérusalem, à Beyrouth, à Damas, au Caire, à Istanbul, mais seuls les enfants des familles les plus aisées peuvent y accéder. Une autre réforme notoire est la promulgation, en janvier 1869, de la loi sur la nationalité qui fait de tout habitant de l’Empire un éventuel citoyen ottoman. Un autre élément d’une grande importance, et qui touche directement Gaza jusqu’à nos jours, est la promulgation en 1871 du Code civil ottoman. Il s’agit là de la première codification légale de cette période. La Shari’a ne s’applique plus que pour le statut personnel qui concerne le divorce et l’héritage55. Il faut noter que, jusqu’à présent, cette loi, presque dans sa totalité, est encore en vigueur, avec seulement quelques modifications. Sont aussi mises en place les nouvelles institutions visant à développer l’administration urbaine, qui n’existe pas dans la tradition musulmane, avec la création des municipalités avec un conseil local56, pour l’administration démocratique des besoins de la population. En 1893, enfin, la ville de Gaza devient l’une des premières baladiyat (municipalité) de la région57.

Les réformes du XIXe siècle, qui ont pour but de recueillir les impôts de façon plus directe, vont réduire l’efficacité des alliances de pouvoirs entre paysans, citadins et bédouins.

52 HANIOGLU Sukru (2008), A Brief History of the Late Ottoman Empire, Princeton, University Press, p. 106, in MAZZA Roberto, p. 18.

53 BUTT Gerald (1995), op. cit.

54 MANSFIELD Peter (1992), The Arabs, London, Penguin History, p. 136 (1re éd. 1976).

55 Cette codification légale reste valide pendant l’administration égyptienne en 1948 avec quelques changements. 56 MAZZA Roberto (2014), p. 19.

57 FELDMAN Ilana (2008), Governing Gaza. Bureaucracy, authority, and the work of rule, 1917-1967, Durham-Londres, Duke University Press. Une autre grande ville de la région, Khan Younes, avait un conseil municipal et était aussi considérée comme une baladiya, p. 61.

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La plupart des impôts versés par les Palestiniens à l’administration ottomane sont utilisés ailleurs, surtout à Istanbul pour régler les dépenses de l’administration centrale, mais aussi à Damas pour entretenir l’armée et financer la caravane du pèlerinage de la Mecque qui quitte Gaza puis y revient. Ainsi, très peu de fonds sont dépensés pour des projets locaux. En revanche, ils couvrent les frais de l’administration locale et ceux des soldats participant aux guerres de l’Empire. Les recruteurs choisissent des jeunes issus de familles aisées pour qu’ils puissent payer un remplaçant, badal, au sein des couches sociales populaires plus démunies58. Nous pouvons encore rencontrer aujourd’hui des personnes à Gaza se souvenant de leurs grands-pères qu’ils croyaient décédés, revenus à la fin de la guerre, faméliques mais bien vivants.

La guerre de Crimée en 1854-1855 représente un tournant pour la Palestine pour ce qui concerne l’enjeu de la protection des lieux saints. Au cours de l’année 1855, l’esplanade du Haram al Sharif, l’esplanade de la Mosquée à Jérusalem, est ouverte aux visiteurs étrangers. Les négociations menées en vue de la signature du Traité de Paris, en mars 1856, pour mettre un terme à la guerre de Crimée, vont s’accompagner de la promulgation, en février, de réformes administratives définissant et consacrant le système juridique des Capitulations, ainsi que les traités signés entre l’Empire ottoman et les États chrétiens de l’Europe, associés au droit extraterritorial des sujets chrétiens pendant leur séjour ou durant leur résidence, dans les territoires de l’Empire. Cela permet le développement des pèlerinages et favorise le développement d’un artisanat principalement consacré à la production de souvenirs des lieux saints. L’agriculture se développe également, favorisée par un climat varié et tempéré qui permet, comme l’écrit Elias Sanbar, « une production de nourritures physiques et d’aliments de rêve 59 ».

Cette deuxième moitié du XIXe siècle, est donc assez florissante. La ville de Gaza devient un centre de commerce local et régional surtout pour l’exportation de grains – blé et orge –, produits dans les champs de Beersheba ; mais également un centre artisanal centré sur la fabrication de poteries, de savons et de tissus. En 1878, le géographe français Elisée Reclus60

58 Les chrétiens sont dispensés de la conscription. 59 FELDMAN Ilana (2008), p. 61.

60 RECLUS Élisée dans SEREEN Hélène, « Le réseau urbain 1879-2000. Permanences spatiales et stratégies de contournement de la contrainte colonial », in SOUIAH Sid-Ahmed éd. (2005), Villes Arabes en Mouvement, Paris, L'Harmattan.

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considère que Gaza était une de plus grandes villes de Palestine61 avec une population de 18 000 habitants, derrière al Quds, Jérusalem, la ville principale, qui en comptait 30 000, mais devant Hébron (17 600) et Naplouse (13 000). La présence des étrangers ainsi que la protection et les bénéfices offerts par les Capitulations, facilitent l’arrivée d’immigrants juifs, préparant ainsi le développement prochain des organisations qui deviendront la base du futur État juif. Apparaissent en même temps une nouvelle bourgeoisie, des commerçants et des banquiers locaux et étrangers qui s’intéressent plus à l’agriculture qu’à la propriété terrienne62. Les visiteurs, pèlerins, touristes et scientifiques, parmi lesquels de nombreux membres du

Palestine Exploration Fund, produisent des travaux archéologiques et scientifiques, liés à la

recherche biblique, et tentent de lier la Terre sainte du Nouveau testament à la réalité de la Palestine. Concomitamment, les vocations religieuses en Europe augmentent et des communautés arrivent pour fonder des monastères et des églises.

La région de Gaza, ayant moins de lieux bibliques, est moins convoitée par l’immigration juive. Elle reste au XIXe siècle un lieu de passage, un lieu de commerce important et un point de rencontre entre l’Égypte et la région levantine où arrivent les caravanes de la Mecque. Gaza est un grand marché bédouin pour les populations du Sinaï et du Néguev et un point de transit à destination de Jaffa. Ses notables et ses propriétaires terriens ne sont ainsi que de simples intermédiaires pour les marchands de Jaffa avec qui Gaza communique en permanence par la mer. Terre sainte pour les musulmans, la Palestine attire également les chrétiens et les juifs : le symbolisme spirituel et les intérêts politiques ont pour effet d’accroître la pénétration européenne et ses implantations diplomatiques, scientifiques et religieuses. La figure du « consul » devient ainsi un élément-clé dans le jeu d’influences et de protection de la population locale.

Avec la création du Palestine Exploration Fund (PEF) en 1865, une réplique anglaise de l’expédition égyptienne française, et sa commission des sciences et arts ainsi que son Institut d’Égypte, la Grande-Bretagne pose les bases du contexte idéal pour l’étude et la recherche ethnographique, archéologique et biblique sur la Palestine. Une recherche académique différente des récits de pèlerins, du clergé et des voyageurs du XIXe siècle. En 1878, Claude R. Conder publie dans Palestine Exploration Fund, l’« Index of Places West of Jordan mentioned in the

61 SANBAR Élias (2004), Figures de Palestinien, Identité des origines, identité de devenir, Paris, Gallimard. 62 MANOR Yohanan (1981), Naissance du sionisme politique, Paris, Gallimard.

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Bible and the Apocrypha » qui recense six cent vingt-deux sites sacrés pour les musulmans et les

chrétiens. Tawfiq Canaan, père de l’anthropologie palestinienne, quant à lui, insiste sur le caractère tolérant des Palestiniens à travers ses articles, issus des informations que lui donnent ses interlocuteurs. Faisant écho aux mots de Finn sur la tolérance palestinienne, Canaan décrit la convivialité intercommunautaire en Palestine : des musulmans qui baptisent leurs enfants dans les églises grecque-orthodoxes et des chrétiens fréquentant les mosquées du village pendant les fêtes populaires. Les fêtes des saints et les célébrations saisonnières, les mawasim, donnent lieu à des rencontres entre diverses communautés religieuses ; parmi les plus importantes, celles de nabi Musa, nabi Dahoud et nabi Rubin, qui sont alors l’occasion de célébrations de fêtes populaires. C’est aussi la période de la naissance de l’archéologie biblique et de la recherche de liens entre l’idéalisation de la Terre sainte et la réalité palestinienne. Comme l’écrit le consul britannique de l’époque, James Finn, « malgré les apparences, il y a peu de

pays au monde où existe, en pratique, une aussi grande tolérance religieuse »63. En Palestine, les gens du pays s’avèrent peu disposés aux luttes intercommunautaires.

Le sultan Abdel Hamid II accède au pouvoir en 1876 alors que l’Empire connait déjà un fort affaiblissement. L’intervention étrangère de pouvoirs occidentaux et les manifestations d’indépendance à travers diverses provinces de l’Empire le conduisent à prendre des mesures de répression pour contrôler la situation. Il dissout le Parlement en février 1878, met en place la censure ainsi qu’un réseau d’espionnage de grande ampleur. Mais il rencontre l’opposition des Jeunes-Turcs, mouvement étudiant comptant en majorité des musulmans turcs, arabes et kurdes, mais aussi un petit nombre de chrétiens, de juifs et d’arméniens. Désireux de produire une nouvelle élite civile et militaire, inspirée par l’esprit des réformes des Tanzimat (1839-1876) et de la Révolution française, ils demandent la restauration de la Constitution de 1876, supprimée par le Sultan Abdel Hamid II en 1878. Le mouvement gagne en popularité dans l’Empire, mais aussi à l’extérieur, parmi des groupes de jeunes Turcs réfugiés au Caire, en Grande-Bretagne, en Suisse, en France ou encore en Roumanie pour échapper à la répression ottomane à Istanbul. Jusqu’en 1907, ils ne constituent pas une véritable menace, leur action se limitant à des campagnes de presse, mais la décision d’initier la révolte armée est prise alors que surviennent des bouleversements dans différentes régions de l’Empire.

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Les élections de novembre 1908 donnent la majorité des sièges du Parlement au Comité Union et Progrès. Les Turcs, minoritaires dans l’Empire, restent les plus représentés. Le sultan destitué est remplacé par Mehmed V qui n’a pas de réel pouvoir64. La langue turque