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CHAPITRE III : LA SOCIETÉ GAZIOTE FACE AU BLOCUS DU

2. Une société de familles

2.4. Les clans

Les clans des familles de réfugiés ou regroupements de familles étendues (hama’el) ont existé d’abord au sein des villages où, pendant la période ottomane, ceux qui étaient à leur tête, les makhatirs s’occupaient de protéger et de gérer la terre communale, mush’a. Ce rôle a été remis en question avec la loi des terres imposée en 1858 par les autorités de l’Empire ottoman ainsi que par la reconnaissance de la propriété privée sous le Mandat britannique. Chaque village de la Palestine mandataire était lié à un clan par des liens de consanguinité, descendant d’un ancêtre commun, accompagné d’alliances exogènes avec d’autres villages, la ville la plus proche et même certains groupes de bédouins afin de s'assurer une protection. Même si les makhatirs n'ont plus cette fonction de protéger et gérer les terres communales, ils continuent cependant à jouir d'un pouvoir réel. Ils ont même pris de l’importance au fur et à mesure que les institutions étatiques qui favorisaient les familles des notables404 se sont détériorées. L’effondrement des structures de l’Autorité palestinienne lors de la Deuxième

400 Norwegian Refugee Council (2012), Customary Dispute Resolution Mechanisms in the Gaza Strip, p. 13.

401 International Crisis Group (2007), “Inside Gaza : The Challenge of Clans and Families”, Middle East Report, n°71, 20, décembre, p. 1.

402 À Jérusalem, pendant le Mandat britannique, l’antagonisme entre les familles Huseyni et Nashashibi est connu.

403 Des détails supplémentaires dans le chapitre II : La période ottomane de 1516 à 1917.

404 Centre for Contemporary Conflict, Strategic Insights, Glenn E. Robinson, 2008. Palestinian Tribes, Clans, and Notable Families http://www.ccc.nps.navy.mil/si/2008/Sep/robinsonSep08.asp. D’après notre expérience de terrain à Gaza, la recherche de Robinson est très incomplète et le thème nécessite une recherche approfondie.

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Intifada405 les a encore renforcés. Même si les hama’el revendiquent un ancêtre commun et par conséquent un lien du sang, ces liens de parenté claniques sont donc imaginaires pour la plupart. Dans les camps de réfugiés, ces liens sont évidemment fictifs d'autant que les familles ont été dispersées.

Le modèle villageois se reconstitue en "inventant" des liens du sang : on s'allie à une famille quand elle possède un certain pouvoir et qu’elle peut aider à accroître l’importance de la hamuleh. En s'unissant, les gens se créent un système de protection. Par exemple, un individu n’osera pas attaquer un membre d’un clan puissant par peur du tha’ir, la vengeance. Les makhatirs sans terres communales, gèrent maintenant à côté des chefs de clans des fondations d’entraide envers les membres démunis de certaines hama’el. Ces fondations répondent aux besoins des familles les plus vulnérables du clan. En particulier à Gaza, ces fonds permettent la survie de familles de notables ou de clans connus sans ressources économiques dont les chefs n’ont plus aucun travail. Il est nécessaire de rappeler que ces sortes d’associations existent aussi bien chez les ayan que dans les clans. D'ailleurs, le mukhtar pour chaque hamuleh constitue une particularité commune aux ayan et aux clans; ce qui peut se prêter à confusion dans les entretiens. Pour résumer, les structures claniques sont donc très puissantes et assurent en permanence l'ordre social.

A Gaza sous l'autorité du Hamas, les cours de justice fonctionnent très lentement et il y a un manque criant d'avocats. Le système traditionnel de justice est donc très utilisé voire plus que la justice formelle. Certaines ONG proposent des programmes de formation des

makhatirs et de leurs épouses406 afin que ces dernières fassent valoir leurs droits de femmes qui sont, en principe, protégés dans la sharia. Leur mission consiste, comme autrefois, à rédiger des documents administratifs officiels et résoudre des conflits y compris des délits tombant sous le coup de la loi : si les deux familles (celle du plaignant et celle de l’accusé) s’entendent sur une compensation, l’affaire n’aura pas de suite et leur décision sera acceptée par la police.

405 PIRINOLI Christine (2002), « Entre terre et territoire: enracinement de l’identité palestinienne », Études rurales 2002/3-4, n° 163-164, pp. 91-107.

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Dans les diwans407, assemblées, se retrouvent les hommes d’un même clan et les makhatirs résolvent les conflits. On peut citer le diwan au madafa Mushtaha à Shaja’ia, le diwan

al-Raies à Rimal, diwan es-Shawa et diwan Jaradah également dans la ville de Gaza, le diwan Shorrab et al-Farrah à Khan Younis, etc. Ils appartiennent tous aux familles des ayan.

Même si les clans ont pris de l’importance au fur et à mesure que les institutions étatiques de l'Autorité palestinienne favorisant les familles des notables408 se détérioraient, les

hama’el ont maintenu leur pouvoir dans la société par l'aide accordée aux familles. Pirinoli

explique « Les fonctions importantes au sein de l’Autorité [palestinienne], hormis les postes clés détenus

par les cadres de l’OLP revenus d’exil, ont été distribuées d’après un savant dosage entre les grandes familles locales et leur origine (réfugiés, résidents, bédouins), redonnant ainsi à la hamulah - le clan ou la famille élargie - un rôle central dans la structure de l’État […] »409.

L’État s'organise selon le modèle patriarcal de la hamuleh d'autant qu'à Gaza, il n'a pas la capacité d'offrir une protection semblable à celle de ces structures primaires (famille, clan). Dans une telle conjecture, réside le danger que l’État soit perçu comme une force extérieure et oppressive respectant uniquement les riches et les puissants. Sharabi fait remarquer que dans une société néopatriarcale telle que nous définissons la société gaziote, on se conduit de façon morale au jour le jour seulement dans les structures primaires. Cette dualité reflète « la division fondamentale dans l’idéologie musulmane entre le monde externe et conflictuel hors des limites de la communauté (dar el Harb) et le monde de la paix et de l’harmonie (dar al

Islam) qui existe à l’intérieur. Il précise que cette idéologie peine à reconnaître que pour les

populations le domaine du désordre et des luttes » se trouve précisément au cœur de la société410 » et nous ajoutons dans les familles mêmes. Le blocus de Gaza devenu statu quo accroît ces sentiments.

Christine Pirinoli considère aussi que l’État suit le modèle de la famille traditionnelle :

« Ce pseudo-rétablissement de l’ordre " traditionnel " s’apparente, en réalité, à une tentative très moderne d’instauration d'un système néo-patrimonial. […]. La structure Étatique [ainsi que la

407 Assemblée des hommes d’un clan ou lieu de réunion.

408 Centre for Contemporary Conflict, Strategic Insights, Glenn E. Robinson, 2008. Palestinian Tribes, Clans, and Notable Families http://www.ccc.nps.navy.mil/si/2008/Sep/robinsonSep08.asp, voir aussi PIRINOLI Christine (2002).

409 PIRINOLI Christine (2002), « Entre terre et territoire : Enracinement de l’identité palestinienne », Études rurales 2002/3-4, n° 163-164, p. 99.

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hamuleh], s’édifie […], comme une sorte de pyramide de liens de dépendance, récréant de nouvelles appartenances " primordiales " qui génèrent un mode de solidarité similaire à celui de la famille " traditionnelle " »411.