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Les bouleversements produites par le succès électoral du Hamas en 2006

CHAPITRE III : LA SOCIETÉ GAZIOTE FACE AU BLOCUS DU

5. La situation économique de la société gaziote de 2000 à 2017

5.4 Les bouleversements produites par le succès électoral du Hamas en 2006

De 1996 à 2006, dans le domaine agricole, le travail masculin était resté plutôt stable et celui des femmes avait notablement augmenté grâce aux "emplois bénévoles". A partir de 2006, les hommes sont employés habituellement à court terme dans tous les secteurs tandis que les femmes occupent des fonctions dans les services publics, gouvernementaux ou privés ainsi que dans l'agriculture. Elles travaillent aussi dans toutes sortes de petits emplois non qualifiés et non recensés (vendeuses à la sauvette, couturières). Les technocrates arrivés après les accords d’Oslo afin occuper des postes gouvernementaux ou universitaires, perçoivent leurs salaires avec des retards considérables. D’autres travaillant dans le privé dans des bureaux d’ingénierie ou des commerces aux mains de familles influentes souffrent de la réduction drastique des effectifs car les membres de ces familles les supplantent. Tel est le

453 Il faudrait procéder à une analyse séparée de la société gaziote et des rôles familiaux pour approfondir la question.

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cas de l’ingénieur Ali Abu Shahla454. Ce dernier gère une grande société d’ingénierie financée par des fonds hollandais, allemands et nord-américains : après les élections de 2006, les projets sont suspendus pour une durée indéterminée car le blocus empêche le passage des marchandises comme le mouvement des personnes. Les bailleurs de fonds internationaux pour les projets de développement du secteur privé avec leurs partenaires gaziotes se retirent quand le Hamas obtient la majorité aux législatives. Certains projets sont gelés progressivement sans aucune date de reprise, d'autres sont définitivement annulés. Il est clair que la communauté internationale a décidé d’imposer un boycott qui place l'Autorité palestinienne en difficultés économiques. Fin 2006-début 2007, le Fatah et le Hamas forment brièvement un gouvernement d’union nationale. Ce gouvernement n’est admis ni par Israël ni par les États-Unis ni par l’Union européenne qualifiant le Hamas d'organisation terroriste455.

Quelques mois plus tard, de nombreux heurts ont lieu entre les deux partis, le Fatah et le Hamas. Les émeutes deviennent quotidiennes. Mi-juin 2007, au cours d’une attaque armée surprise, le Hamas prend le contrôle du gouvernement. Mahmoud Abbas, Abu Mazen (le président) fuit Gaza456. A la séparation territoriale entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie s’ajoute une rupture gouvernementale. Cette fois, le " blocus " est total457.

Après la prise du pouvoir par le Hamas en 2007, il devient de plus en plus difficile de protester d'une situation qui ne connaît pas la moindre amélioration. L’occupant qui se maintient aux limites de la Bande de Gaza devient une menace invisible qui attaque parfois par surprise. Les Gaziotes sont en proie à une incertitude constante.

L’AMA458, l’accord des passages entre les Israéliens et l’Autorité palestinienne, est suspendu. Il n'existe désormais plus de contacts entre Israël et Gaza. Il n'est donc plus

454 Son interview figure dans la catégorie 2. On voit combien son activité a été réduite et quelles en ont été les conséquences.

455 Le Hamas avait pourtant été accepté comme parti légitime aux élections de 2006. 456 Juin 2017, Abu Mazen n’est pas encore revenu à Gaza.

457 Les ouvriers n’avaient déjà plus le droit de travailler en Israël. Maintenant, personne n'est autorisé à sortir de Gaza.

458 L’accord pour l’accès et les mouvements de population (AMA), signé entre Israël et l’Autorité palestinienne en novembre 2005 après le " désengagement " du mois d’août prévoit la surveillance des opérations au passage de Rafah par l’Autorité palestinienne et l’Égypte sous la supervision d’une mission européenne de suivi, l’EUBAM. En revanche, Israël conserve le contrôle du passage des personnes depuis un poste d’opération situé à Kerem Abu Salem.

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possible pour des milliers des personnes arrivées à Gaza avec Arafat à la création de l’Autorité palestinienne d'obtenir des cartes d’identité.

L’Autorité palestinienne qui siège à Ramallah décide, avec le soutien de la Commission européenne de poursuivre le versement d’aides sociales destinées aux familles les plus pauvres ainsi que le versement des salaires de ses employés à Gaza à condition qu’ils ne travaillent pas pour le Hamas. On assiste donc à un phénomène étrange : près de 50000 personnes, percevant des salaires de l’Autorité palestinienne dont les ressources sont des plus réduites, désertent leur lieu de travail ; les juges et les avocats ne vont plus dans les cours de justice, les médecins et autres personnels de santé ne vont plus dans les hôpitaux et les dispensaires459. Cette décision pour faire pression sur le Hamas et permettre à Ramallah de reprendre le pouvoir s’est avérée malsaine voire contreproductive au cours des années suivantes. En effet, pour pallier ce manque s'est constitué un nouvel appareil administratif, sorte de bureaucratie gouvernementale certes à l’image de celle déjà existante mais le plus souvent parfaitement incompétente460. De plus, le Hamas ne parvient à verser des salaires qu’à 10 000 employés, sporadiquement et uniquement dans le système de la santé.

Fin 2007, à cause du " blocus ", la situation à Gaza est très difficile car la nourriture, le gasoil et la gazoline, les produits de première nécessité, les équipements et les médicaments auparavant acheminés dans la Bande via Israël ne le sont plus. De plus, aucun produit d’exportation ne peut quitter Gaza. Près de deux tiers de la population vivent grâce aux aides humanitaires. Le secteur de la construction est complètement arrêté. Sans carburant et sans gaz de cuisine, les Gaziotes cuisinent au bois et utilisent au jour le jour du kérosène. Les coupures d'électricité sont constantes. Les restrictions de limites pour la pêche sont accentuées. La Bande de Gaza est paralysée. Les voitures roulent à l’huile de friture dont les fumées noircissent la ville. Gaza est isolée et ne reçoit aucun convoi d’Israël. Au même moment, l'Egypte ferme aussi sa frontière de Rafah, seul point de passage pour les personnes sans aucun contrôle israélien. La Bande est maintenant verrouillée au Sud comme au Nord.

459 Certains fonctionnaires dans le secteur de la santé poursuivent leur travail tout en acceptant une réduction considérable de leur salaire.

460 De nombreux commentateurs ont fait remarquer que, du moins dans les premiers temps, l'administration du Hamas était exempte de corruption.

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Ce bouclage presque total entraine une détérioration croissante de la situation socio-économique et porte atteinte à l'utilisation des ressources naturelles. Sans travail, les Gaziotes se tournent de nouveau vers l'agriculture mais comme beaucoup de terres sont inaccessibles à cause de la zone tampon, ils se mettent à cultiver de nombreuses terres arables dans l’enceinte même de la ville de Gaza ; certaines allant jusqu'à constituer des enclaves périurbaines.

Au début de l’année 2008, certains membres du Hamas parviennent à percer la barrière de séparation entre Rafah et l’Égypte461. Le mur s’effondre, moment mémorable ! Les Gaziotes se précipitent alors par centaines dans le Sinaï. Les produits en tout genre s’achètent. Le carburant, le ciment, les cigarettes, le savon en poudre, l’électroménager, les batteries de voiture, les motocyclettes, les médicaments et même les animaux pour le zoo entrent en grand nombre dans la Bande de Gaza. Les Égyptiens arrivent en voiture à Gaza pour la première fois depuis trente ans. Ils achètent des couvertures, des pantalons et des matériaux métallurgiques qui, initialement, étaient destinés à être exportés vers Israël. L'avocat et économiste, Sharhabil al-Zaim, explique que cette brèche ne sert qu’à étendre temporairement la frontière du côté égyptien de quelques kilomètres jusqu’à al Arich462 . Selon lui, ce n'est qu'un bref répit sans promesse de changement sur la durée. En effet, après quelques semaines, le passage est refermé463. Le "blocus" qui est déjà total pour les marchandises via Israël se réinstalle à nouveau pour les personnes via le passage de Rafah vers l’Égypte.