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La guerre d’octobre 1973

CHAPITRE I : MÉTHODOLOGIE ET PROBLÉMATIQUE

14. La guerre d’octobre 1973

Le 6 octobre 1973, le jour de l’expiation (kippur), les attaques des armées égyptiennes et syriennes dans le Sinaï et sur le plateau du Golan surprennent les Israéliens. Que les Égyptiens tentent de reconquérir la Palestine par la force est ressenti par les Gaziotes et les autres populations arabes avec enthousiasme286. La guerre est imminente, toutefois l’économie égyptienne comme celle d’Israël ne sont pas en mesure de supporter une cinquième guerre arabo-israélienne. Ainsi, le Président égyptien Anouar el-Sadate fait le premier pas en rencontrant Menahem Begin à Jérusalem en novembre 1977. Son geste détend la situation, en

285 GRINBERG Lev Luis (2005), « Discours économiques et construction des frontières dans l’espace israélo-palestinien depuis 1967 », in LATTE-ABDALLAH Stéphanie (éd.), Images aux frontières Représentations et constructions sociales et politiques Palestine, Jordanie 1948-2000, Beyrouth, IFPO.

286 Tamimi note que le cheikh Ahmed Yassin était convaincu que la guerre était une manipulation préparant le terrain pour la paix entre Israël et l’Égypte. TAMIMI Azzam (2007), Hamas: A History from Within, Northampton, Olive Branch Press.

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revanche il entraîne une vive réaction de la part des pays arabes opposés à la décision de Sadate, qu’ils considèrent comme une « capitulation » face à Israël. En décembre de la même année, le Premier ministre israélien se déplace pour assister à la Conférence d’Ismaïlia en Égypte, après quoi les relations entreront dans l’impasse. Les États-Unis rejoignent alors la partie et décident de relancer le processus de paix. La politique du Président Carter vise la résolution du conflit non seulement entre les deux belligérants, mais dans toute la région287. Les accords de Camp David, en 1978, entre l’Égypte et Israël, négociés par Sadate et Begin, facilités par Jimmy Carter, constituent pour les Gaziotes un moment critique. Ils rejettent les accords, ce qui entraîne des mesures coercitives de la part du gouvernement égyptien à l’encontre de la Bande de Gaza. Celui-ci bloque l’admission des étudiants gaziotes aux universités égyptiennes et cesse de verser les salaires des employés travaillant pour l’administration égyptienne avant 1967288. Les Gaziotes descendent alors par centaines dans la rue, réclamant des négociations – qui incluraient la participation de l’OLP – en vue de l’autonomie palestinienne. Après cette manifestation, les Israéliens interdisent toute activité politique ainsi que toutes réunions des partis289.

Ces accords de paix sont la cause de nombreuses attaques sur Gaza, en particulier à Rafah. Ainsi que le note Jean-Pierre Filiu dans son livre Histoire de Gaza290, la frontière de 1906291 qui, jusqu’alors, était un simple tracé, plutôt symbolique, établi au début du siècle pour la protection du Canal de Suez, devient une réalité. La ville de Rafah est divisée en deux : un côté égyptien, l’autre palestinien. Il s’agissait là d’une réelle séparation formée de barbelés et de tours de guet. L’armée israélienne met en place un dispositif de surveillance tout au long du

couloir de Philadelphie, la zone tampon entre l’Égypte et Israël (Rafah palestinienne)292. Le

287 C’est le moment où l’Iran quitte l’alliance avec les États-Unis, démontrant son influence au Proche-Orient. Bien que les Accords aient fait partie d’une solution partielle, la politique des États-Unis durant les années de Guerre froide (1947-1991) est influencée, pour une large part, par ce que Kissinger appelle la politique des « petits pas ».

288 Entretiens avec Abu Ayman Hamouda qui travaillait pour l’administration égyptienne. Information vérifié par d’autres interviewés, Gaza 2009.

289HASS Amira (1999), Drinking the Sea of Gaza: Days and Nights in a Land Under Siege, New York, Metropolitan Books.

290 FILIU Jean-Pierre (2012), Histoire de Gaza, Paris, Fayard, pp. 190-192.

291 Frontières du Sinaï. Un siècle de diplomatie au Moyen-Orient, 1840-1948. Voir le site :

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342x_1971_num_36_2_1992.

292 Grâce aux manœuvres de Lord Cromer et à sa fermeté à l’égard de la Sublime Porte, l’Empire ottoman confirme le retrait des troupes turques de Taba et la mission égypto-turque pour le tracé des frontières dans le Sinaï, en mai 1906. Les Britanniques protègent ainsi le Canal de Suez.

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résultat de cette partition en est un transfert de réfugiés vers le côté palestinien, Rafah, vers la zone de Tell el Sultan, ainsi que la destruction de quelques centaines de maisons. En outre, les pêcheurs palestiniens n’ont plus le droit d’accéder aux eaux égyptiennes. De très nombreuses familles sont divisées et les colonies israéliennes du Sinaï se déplacent vers celles de Gaza, au « bloc » de Goush Katif dans les années 1970. De plus, des terres appartenant en partie à la famille Showa dans le Mountar, la colline la plus élevée de Gaza, se dressant à 81 mètres au-dessus du niveau de la mer, sont confisquées par les Israéliens pour créer un poste militaire et, plus tard, le passage commercial de Karni293.

Les attaques et la répression israélienne envers les Palestiniens se poursuivent, démoralisant complètement la population qui voie là une véritable trahison perpétrée par Anouar el-Sadat. Après sa mort, Hosni Moubarak, nouvellement élu à la présidence égyptienne, poursuit la même politique à l’égard d’Israël. Le sentiment de trahison perçu par les Gaziotes se comprend du fait qu’ils considéraient l’Égypte comme un allié de la cause palestinienne. Cette période est ressentie par certains des individus que nous avons interviewés comme la mort du rêve du panarabisme et de la cause palestinienne, sous la direction de l’OLP.

En 1978, un nombre croissant de diplômés appartenant aux Frères musulmans revient d’Égypte, et d’ailleurs, à Gaza et, constatant l’absence d’établissements d’enseignement supérieur, décident de créer l’Université islamique, la première université de la ville294. Son niveau est d’excellente qualité avec, toutefois, une orientation islamique. La fondation de l’université s’est faite avec l’accord d’Arafat et elle compte alors au sein de son Comité de direction la moitié de membres parmi les gens du Fatah295. Avant sa fondation, les jeunes devaient se rendre en Égypte, en Cisjordanie ou ailleurs pour poursuivre leurs études universitaires. Pendant des années, lorsque les Gaziotes et les Cisjordaniens pouvaient circuler librement à travers les territoires occupés et Israël, l’université recevait de nombreux étudiants venant de Cisjordanie. Sa création est importante pour le mouvement islamiste, constituant

293 Entretien n° 63 avec Mme Rawia Showa, décembre 2010. Information citée aussi par LESCH Ann, (1985)

« Gaza : Forgotten Corner of Palestine », Journal of Palestine Studies, vol. XV, n° 1, pp. 43-61 et voir aussi FILIU Jean-Pierre, 2012.

294 Dans le cas de la Cisjordanie, depuis les années 1970, des écoles secondaires se sont muées en centre de hautes études comme Birzeit par exemple, d’abord centre d’étude pour des programmes de deux années et, plus tard, en université. La deuxième institution est l’université de Bethléem fondée par les Frères des Écoles chrétiennes, sous la forme d’une institution catholique mixte (homme et femmes) d’enseignement.

295 Tamimi, dans son livre Hamas, note que les membres du Fatah étaient des sympathisants des Frères musulmans.

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une sorte de plate-forme296 pour la réunification des groupes des Frères musulmans qui, jusque dans les années 1970, étaient divisés entre le groupe palestinien et celui de Cisjordanie affilié au groupe jordano-arabe. En 1978, les groupes s’unifient dans l’organisation Tanzim

Bilad al-Sham (organisation des pays de la Syrie historique, du Levant, de la Syrie, du Liban, de

la Jordanie et de la Palestine). Le groupe palestinien demandait la création d’un Comité de soutien pour les Frères en Palestine, en raison des événements qui se déroulaient contre l’occupation israélienne. La première réunion (shura) de l’organisation accepte la création d’un comité pour la Palestine. La popularité du groupe augmente avec la revitalisation des Frères musulmans en Égypte et par la prise du pouvoir de Khomeiny en Iran, en 1979. Celui-ci abolit la monarchie et institue une République islamique ; son succès doit se comprendre dans le cadre d’un autre, encore plus important, contre l’Occident.