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Le désengagement, août 2005

CHAPITRE I : MÉTHODOLOGIE ET PROBLÉMATIQUE

20. Le désengagement, août 2005

Le gouvernement israélien encourage les sociétés présentes dans la zone industrielle d’Erez à déménager à Ashkelon, ou ailleurs, leur accordant des subventions pour couvrir les coûts de production et de main-d’œuvre plus élevés, ce qui occasionne une perte considérable d’emplois pour la population gaziote. La politique israélienne de séparation totale de la Bande de Gaza culmine avec la décision unilatérale d’Ariel Sharon de délocaliser les colonies et les

355 Quand Richard Cœur de Lion ne parvint pas à prendre la région côtière de Tyr à Jaffa pendant la troisième croisade, il fut contraint de signer une trêve avec Salah al-Din, le 2 septembre 1192 à Ramlah. Celle-ci marque la fin de la troisième croisade.

356 BALAWI Hassan (2008), p. 5.

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postes de l’armée israélienne hors de Gaza, un plan de retrait préparé par le gouvernement bien avant 2005.

La nouvelle de ce désengagement laisse poindre une évolution de la situation : la communauté internationale se dit prête dès juin 2005 à débloquer des fonds pour aider les territoires palestiniens dans leurs projets, dont la rénovation de la zone industrielle d’Erez. En août, Ariel Sharon met en œuvre le démantèlement des implantations israéliennes de Gaza, considéré comme le point culminant de la politique israélienne de séparation.

Le désengagement lève le blocus interne mais entraîne la suppression de centaines d’emplois agricoles. Malgré cette perte, le départ a permis un mouvement interne fluide. En revanche, celui hors de Gaza devient plus difficile et, le long de la frontière entre la Bande et Israël, la zone tampon s’est élargie, ce qui signifie la perte des meilleures terres agricoles. Brusquement, sans synchronisation avec l’Autorité palestinienne, les dix-neuf implantations358 ou colonies disparaissent. Vidées de leurs habitants, les résidences et la plupart des constructions ont été démontées ou détruites, les installations militaires démantelées et les champs, les routes, et même la mer, jusque-là interdits à la circulation des Palestiniens, deviennent accessibles. Seuls les axes routiers et les connections électriques demeurent en place afin de rester reliés aux réseaux de Gaza. Quelques serres sont également préservées qui, avec le soutien de la Banque mondiale, peuvent être utilisées par les Palestiniens pour la culture de certains fruits et légumes destinés à l’exportation359.

Si, pour certain journaux israéliens, cette situation signifie qu’après le retrait des colonies, Gaza n’est plus « occupée », la réalité est bien autre ! Les colons israéliens et les militaires quittent la Bande de Gaza pour être basés ailleurs en Israël, et l’occupation reste une ombre omniprésente dans la vie des Palestiniens des territoires occupés. Bien que les Israéliens aient quitté la Bande de Gaza, ils continuent à contrôler l’économie, la circulation des personnes, et c’est finalement la vie entière des habitants qui reste sous leur joug. Pourtant, les Gaziotes, surtout les plus jeunes, oublient rapidement les barrages, les arrestations et la peur

358 Selon les chiffres de 2004, un an avant le désengagement, ces implantations étaient, pour la plupart, agricoles ; ce fut le résultat des efforts d’Ariel Sharon et du mouvement de reconquête d’Erez de la part d’Israël par la colonisation des territoires. Colonies israéliennes dans les Territoires Occupés | Institut MEDEA, http://www.medea.be/fr/pays/palestine/colonies-israeliennes-dans-les-territoires-occupes/

359 En août 2005, Ariel Sharon, Premier ministre, décide le retrait unilatéral d’Israël de la Bande de Gaza, avec l’évacuation totale des colons et la destruction des infrastructures des colonies dans leur quasi-totalité. Voir ARONSON Geoffrey (2005), « Issues arising from the implementation of Israel’s disengagement from the Gaza Strip », Journal of Palestine Studies, vol. 34, n 4, pp. 49-63.

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de leurs parents quand ils veulent sortir. Beaucoup de terres, interdites aux Palestiniens depuis les années 1970, retournent à leurs propriétaires et aux autorités. Ce sont les dernières terres agricoles qui restent à Gaza, à Khan Younes et à Rafah dans le Sud. Le Nezarim bloc (3 500

dunum360), comme l’appellent les Israéliens, sera donné en grande partie à la Mairie de Gaza plus tard361. Les Israéliens sont physiquement partis, certes, mais ils bloquent les mouvements des personnes, entravent la circulation des produits destinés à l’exportation et gênent l’accès à la mer et aux voies aériennes. L’enfermement et l’embargo commercial érodent progressivement une économie déjà précaire. Un sentiment de désespoir s’empare des Gaziotes et il est difficile de comprendre qu’on puisse se réjouir de la fin de l’occupation alors même que tous les éléments nécessaires à la vie quotidienne d’un territoire sont contrôlés par Israël. Ainsi que l’expliquera des années après Amira Hass dans un article du 14 juillet 2014362, Israël continuera à contrôler tout à Gaza : « Israël continue de contrôler le registre de la population de

Gaza et de la Cisjordanie. Tout nouveau-né palestinien, à Gaza comme en Cisjordanie, doit être enregistré auprès du ministère de l’Intérieur israélien (via l’Administration de coordination et de liaison) pour pouvoir obtenir une carte d’identité à 16 ans. L’information imprimée sur les cartes est aussi en hébreu. Avez-vous entendu parler d’un État indépendant dont les habitants doivent être enregistrés dans l’État voisin (occupant et agresseur) – et que sinon, ils n’obtiendraient aucuns papiers et n’existeraient pas officiellement ? »

Le départ des Israéliens implique également leur disparition du passage de Rafah, entraînant de fait l’arrêt de l’entrée de produits par cette voie. Le passage reste fermé pendant trois mois jusqu’à ce que l’Accord du mouvement et d’accès (AMA) soit signé par l’Autorité palestinienne avec l’Égypte et Israël en novembre 2005, selon lequel l’Autorité palestinienne est responsable d’organiser le passage avec l’Égypte sous la supervision de l’EUBAM363 – une

360 EFRAT Elisha (2006). 361 Seulement en 2011.

362 HASS Amira (juillet 2014), « Israel showed restraint in Gaza before attacking? You must be kidding », http://www.haaretz.com/news/diplomacy-defense/premium-1.604844.

363 C’est une mission sous le Common Security and Defence Policy (CSDP). Il s’agit d’une mission civile, non-armée, formée d’officiers de la police des frontières et des douanes. Elle représente une forme de contribution au processus de paix au Moyen-Orient et à la mise en œuvre des accords d’accès et de mouvement. Son rôle est celui d’une tierce présence au point de passage de Rafah. La mission gère également un bureau de Liaison à Kerem abu Salem où sont coordonnées les opérations du passage de Rafah. Enfin, elle doit promouvoir et améliorer les compétences des officiers de l’autorité. Les opérations de l’EUBAM sont suspendues le 13 juin 2007 à l’arrivée au pouvoir du Hamas. L’EUBAM reste dans la région en attendant son redéploiement lorsque sa réactivation sera nécessaire. Le Parlement européenne a décidé, en juillet 2013, de prolonger le mandat de la mission EUBAM pour une période de douze mois en attendant de pouvoir redéployer la mission dans le passage de Rafah. Voir le site : http://www.eubam-rafah.eu/node/2311, http://www.eu-un.europa.eu/articles/en/article_5307_en.htm

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mission de supervision, suivie par l’Union européenne et créée sur ce point précis. L’accord permet aux Gaziotes en possession de cartes d’identités valides d’emprunter le passage. Durant sept mois, cela a fonctionné correctement avec près de 1 320 personnes le traversant quotidiennement. Maintenant, Israël le contrôle via la supervision des passagers circulant hors et en direction de Gaza depuis une chambre d’opération située à Kerem Abu Salem où des officiers enregistrent les voyageurs, décidant qui peut rentrer et fermant le passage selon leur gré. Leur présence, bien qu’invisible, est toutefois réelle, entravant la sortie de Gaza mais interdisant également l’entrée. L’objectif, après le désengagement, est de permettre à l’Autorité palestinienne à Gaza et Ramallah de gérer une frontière, encore sous la supervision d’un tiers, l’Europe, en novembre 2005. Le corridor de Philadelphie, la section de no man’s land entre Gaza et l’Égypte, n’est plus un lieu de patrouille israélien mais passe désormais sous la responsabilité des Égyptiens. Le désengagement complique davantage encore la circulation, affectant d’autant et de façon critique le passage de Rafah, avec le redéploiement des Israéliens hors de la Bande de Gaza et la transformation par Israël du passage d’Erez en frontière internationale. Toutefois, les permis continuent à être délivré aux résidents par l’armée plutôt que par le ministère israélien de l’Intérieur.

Le désengagement israélien de Gaza est considéré par le Hamas comme son propre succès alors que les Israéliens se donnent incidemment une occasion idéale de se construire auprès des Gaziotes une image dynamique et chargée de promesses de changement pour l’avenir. Dans cette ambiance triomphale, les élections législatives sont programmées pour janvier 2006 dans les territoires palestiniens occupés364. Ce type d’événement, à Gaza, est suivi de près par des observateurs internationaux (parmi ceux-ci l’ex-président des États-Unis, Jimmy Carter), tout comme les procédures liées aux élections, afin que tout se déroule sans erreurs. Les premiers résultats annoncent une majorité des deux tiers au Conseil législatif en faveur du Hamas, avec soixante-seize sièges sur cent trente-deux, alors que le Fatah n’en obtient que quarante-trois365. Ce succès dans une élection démocratique366 peut être compris à raison de la corruption du gouvernement et du manque d’organisation dans le cadre d’un changement qui semble nécessaire à la majorité de la population de la Bande de Gaza.

364 Cisjordanie et Bande de Gaza.

365 BBCnews.com. 26 janvier 2006, 21h 07 GMT.

366 Le processus électoral était soigneusement suivi par des observateurs internationaux ainsi que les procédures qui lui sont liées afin que tout se déroule sans défaut, ainsi que les observateurs l’ont documenté.

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Néanmoins, une phase politique de violence interne fait suite à cette victoire. Par ailleurs, ce succès ne semble important ni pour la communauté internationale ni pour Israël. Le fait que les élections aient été soutenues par les États-Unis et que des centaines d’observateurs internationaux aient été présents n’a pas empêché l’arrêt presque complet des projets internationaux, ainsi que le « blocus » commercial total et une suppression des permis de travail. Israël ferme quasiment tous les passages, ne permettant que certains mouvements liés aux urgences médicales et ceux de personnalités, dont les hommes d’affaires en possession d’un permis. Cette victoire aux élections législatives de janvier 2006 peut être comprise comme un changement par la majorité de la population de la Bande de Gaza, qui le considère nécessaire, mais non comme une allégeance aux principes du Hamas. Ce dernier, surpris par son propre succès, se rend compte que ses compétences sont limitées pour gouverner et, de fait, entame des démarches dans le but de former un gouvernement d’unité avec les autres factions367.

L’enlèvement de Gilad Shalit, en juin 2006, aggrave la situation. Ce soldat israélien a été enlevé au cours d’une opération menée par une unité d’élite du Hamas via un tunnel près de Kerem abu Salem, le passage du trafic commercial entre Israël et Gaza. Cette opération, nommée plus tard dissipating illusion, avait pour but de démontrer aux Israéliens le pouvoir et les compétences du groupe368. Après l’enlèvement, le passage de Rafah est fermé de juin 2006 à 2007, pour n’être rouvert que 76 % de l’année. Dès lors, le fonctionnement de l’AMA (Accord de mouvement et d’accès) est suspendu, et Rafah ne peut ouvrir que quelques jours chaque mois et seulement pour les malades, les étrangers et autres personnes détenant des visas à destination de pays étrangers369. Cette restriction permet à seulement 8 % des personnes qui devaient sortir de voyager. L’échec du gouvernement d’unité, quelques mois plus tard, accroît encore la tension entre le Fatah et le Hamas. La séparation territoriale entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie constitue un élément supplémentaire en matière de rupture gouvernementale. Depuis les élections de 2006, la communauté internationale a gelé les projets pour lesquels il y avait des transferts de fonds ou de matériaux, et il n’est pas facile de développer des aides indirectes. Ainsi les financements destinés à la Bande de Gaza pour

367 Entretien n° 63 avec Mme. Rawia Shawa, Gaza, 2010.

368 Le Hamas appelle l’opération dissipating illusion dans une Vidéo diffusée sur Youtube, téléchargée sur Internet pour montrer les compétences de celui-ci. Le soldat n’est libéré qu’au bout de cinq ans, en octobre 2011, dans le cadre d’un échange de prisonniers.

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mettre en place des infrastructures sont-ils interdits dans la majorité des cas, sauf s’ils transitent par des organismes internationaux comme l’UNRWA ou la Commission européenne. Alors, ces fonds sont redirigés vers le secteur privé pour le développement de projets spécifiques. En juillet 2006, peu après l’enlèvement, Israël annonce que la distance d’accès à la mer est réduite à six milles. La pêche dans cette zone limitée épuise les poissons et tue les œufs, réduisant chaque jour un peu plus le nombre de prises dans les filets.