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Description des contextes d’entreprises et des types de porosité des temps

2. L ES TYPES DE POROSITÉ DES TEMPS

Nous avons définit la porosité des temps comme le phénomène de superposition et

d’interférence entre les temporalités personnelles et les temporalités professionnelles. Elle caractérise les situations dans lesquelles un ou deux des critères de définition du travail effectif sont remplis, sans que les trois ne le soient ; et les situations dans lesquelles il est impossible de déterminer, en théorie ou en pratique, si un ou plusieurs de ces critères sont atteints ou non (cf. chapitre V).

Pour répondre au premier objectif de la phase exploratoire de la recherche, à savoir la description du ou des phénomènes de porosité des temps, nous avons construit des types de porosité des temps, regroupant chacun plusieurs modalités. En dépit de la diversité des contextes organisationnels, l’analyse des entretiens montre que presque toutes les modalités de la porosité des temps se retrouvent dans toutes les entreprises de l’échantillon. En conséquence, il semble que la variable « entreprise » n’ait pas d’incidence sur l’occurrence de telle ou telle modalité de la porosité des temps. En revanche, cette constatation ne signifie pas que la variable « entreprise » n’a pas d’effet sur la fréquence des différentes modalités de la porosité des temps. La fréquence de la porosité des temps représente le degré auquel les activités liées au travail interfèrent avec les activités liées au hors travail, et réciproquement (cf. chapitre V). Les modalités de la porosité des temps sont plus ou moins fréquentes dans les différents contextes d’entreprise.

Nous avons donc adopté une approche transversale pour établir une typologie des phénomènes de porosité des temps. Le premier critère retenu pour classer les modalités de la porosité des temps en « types » a émergé de la revue de littérature. Il renvoie à l’hypothèse selon laquelle la porosité des temps serait un phénomène bidirectionnel, faisant intervenir d’une part, l’interférence des activités liées au travail sur les activités liées au hors travail ; et d’autre part, l’interférence des activités liées au hors travail sur les activités liées au travail. Suite à cette première dichotomie, la typologie a été affinée en fonction des analyses des entretiens (il a été demandé aux répondants de décrire avec précision leurs pratiques en matière de porosité des temps, leurs causes et les éléments d’arbitrage).

CHAPITRE VII. Description des types de porosité des temps et des contextes d’entreprise

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2.1. Le travail en débordement

Le travail en débordement est de loin le type de porosité des temps le plus rencontré, viennent ensuite à part égale la porosité des temps structurelle et la gestion de la vie personnelle.

Caractérisation

Le travail en débordement a été défini comme le travail informel, irrégulier et occasionnel, effectué par les cadres à leur domicile ou en mobilité (à l’hôtel, dans les transports, etc…), le soir, le week-end, ou pendant leurs congés (cf. chapitre IV). Il comprend :

ƒ Le travail effectué à domicile :

« A la maison, je rédige les entretiens individuels de mes collaborateurs, plutôt le soir »

(Homme, 36 ans, adjoint au chef de département logistique, AUTO)

ƒ Le travail en mobilité (à l’hôtel, dans les transports, etc.) : il s’agit du travail informel et irrégulier effectué à l’extérieur des locaux de l’entreprise ou du lieu où le résultat de ce travail est délivré ou encore du domicile :

« Chaque fois que je suis en voyage, je travaille dans l’avion, à l’hôtel, dans nos filiales… c’est une journée continue » (Homme, 59 ans, directeur international,

ASSURANCE)

ƒ Les communications professionnelles le soir, le week-end, ou pendant les congés : « [Pendant les vacances] j’appelle aussi pour savoir si tout va bien. L’année dernière

j’étais sur le téléski avec le téléphone qui sonnait, il fallait répondre car on était en fin de transaction […] Juste avant la clôture d’une transaction, on est toujours un peu sous pression » (Femme, 36 ans, responsable d’activité, AUSSAURANCE)

Le fait de se mettre ainsi à disposition pour son travail, constitue bien une interférence des activités liées au travail sur les activités liées au hors travail.

En outre, cette forme de mise à disposition ne correspond pas nécessairement à une surcharge de travail :

« On se doit d’être joignable [pendant ses congés] donc on donne les coordonnées

téléphoniques pour nous joindre au cas où il y ait besoin pour une information particulière, pour un problème » (Homme, 45 ans, chef de fabrication, AUTO)

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196 ƒ Le travail pendant la pause méridienne :

« J’utilise la pause pour travailler, ça dépend du projet » (Homme, 35 ans, manager,

CONSEIL)

ƒ La consultation et le traitement des emails professionnels le soir, le week-end, ou pendant les congés, à la maison ou en mobilité :

« Je consulte mes emails à la maison tous les deux jours, soit parce que j’ai des choses à faire, soit j’attends des réponses » (Femme, 33 ans, senior manager, CONSEIL)

Par ailleurs, le travail en débordement ne nécessite pas l’utilisation de TIC mais ces dernières tendent à augmenter cette forme de porosité des temps et à encourager les comportements de mise à disposition permanente :

« Je consulte assez fréquemment mes emails à la maison… Avec ces machines

[blackburry], on finit par avoir un réflexe un peu stupide, dès que je suis dans une file

d’attente je consulte mon email. C’est un élément très perceptible dans l’envahissement du temps professionnel sur le temps personnel » (Homme, 59 ans, directeur

international, ASSURANCE)

A cela, il convient d’ajouter le travail invisible d’information, de formation, de réflexion stratégique, réalisé par les cadres en dehors des lieux et des temps de travail habituels. Cette forme de travail en débordement, dont l’objectif est de récolter de l’information ou de « se mettre à jour », est relativement répandue. Ses modalités les plus fréquentes sont :

ƒ La lecture de documents en dehors du lieu de travail (y compris la veille stratégique, la lecture de journaux spécialisés, etc.) :

« A la maison, je prends plutôt de la lecture quand on reçoit des gros paquets, de retour

de séminaire, des choses comme ça. » (Femme, 39 ans, responsable RH, AUTO)

ƒ La réflexion sur un dossier « à tête reposée » :

« - Vous arrive-t-il de travailler à la maison ?

- Oui, c’est plutôt le soir après le travail quand il y a un dossier particulier ou un dossier consistant où il y a besoin d’avoir du recul et du calme pour en prendre connaissance. » (Homme, 45 ans, chef de fabrication, AUTO)

Une autre forme de porosité des temps apparentée au travail en débordement est apparue au cours des entretiens, il s’agit de la charge psychologique engendrée par le travail. Le fait de réfléchir ou d’être préoccupé par des problèmes professionnels pendant son temps hors travail contribue à l’envahissement du temps professionnel sur le temps personnel. Ce phénomène est extrêmement difficile à évaluer car il ne donne pas lieu à une manifestation tangible (être au

CHAPITRE VII. Description des types de porosité des temps et des contextes d’entreprise

197 téléphone, allumer son ordinateur), il se caractérise moins par la réalisation d’un travail, que par une forme d’absence de disponibilité intellectuelle pour les activités du hors travail :

« La partie disponibilité d’esprit intellectuelle n’est pas forcément développée mais quand on est chez soi, on reste quand même un peu connecté par rapport aux problématiques de travail. Ce n’est pas parce qu’on est à la maison qu’on est totalement disponible pour sa famille ; ça dépend des individus, du type de travail, la coupure n’est pas si simple que ça. » (Homme, 45 ans, chef de fabrication, AUTO) « Je continue à gamberger soit dans le métro soit à la maison » (Homme, 43 ans,

dirigeant de branche, ASSURANCE)

« Le soir, le week-end, la nuit quand je dors j’y pense encore. Constamment. » (Homme,

31 ans, responsable technique, PME)

« Mon temps de travail n’a pas augmenté au fil de ma carrière. Les responsabilités n’ont pas amené un temps de travail supérieur, mais peut être un souci plus constant. Vous rentrez chez vous, vous l’avez en tête, vous ne dormez pas toujours bien mais ça n’a pas augmenté mon temps de travail… le souci de l’entreprise et du travail je l’ai. Un samedi, un dimanche si j’ai un creux, un moment de libre, effectivement l’aspect travail peut me revenir. » (Homme, 42 ans, directeur d’exploitation, PME)

L’aspect « charge psychologique » représentée par le travail, l’autre face des responsabilités, met en lumière la difficulté éprouvée par certains cadres à se déconnecter complètement de la sphère professionnelle. Ceci étant, il est difficile de qualifier ce phénomène comme une facette de la porosité des temps car aucun des critères de définition du temps de travail effectif n’est rempli. En outre, la charge psychologique représentée par le travail ne donne pas nécessairement lieu à une manifestation tangible (un coup de téléphone, un email…).

S’il semble difficile de considérer la charge psychologique comme une forme de travail, elle n’en demeure pas moins l’expression des pressions ressenties au travail. Dans le cadre de la théorie des rôles, la charge psychologique pourrait s’interpréter comme le spillover négatif du rôle professionnel sur les rôles de la sphère personnelle. Les tensions liées à l’exercice du rôle professionnel ne cessent pas à la porte du domicile.

En résumé, la porosité des temps liée au travail en débordement peut prendre la forme d’un travail productif (la rédaction d’un document, d’une présentation, etc.) ou d’un travail informatif (lire, consulter sa messagerie électronique, téléphoner). Un pan du travail en débordement consiste en une mise à disposition très importante pour l’entreprise (temps des communications téléphoniques et électroniques).

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198 Enfin, notre échantillon ne comprend aucun cas de cadre effectuant du télétravail comme forme dominante de l’activité (une méthode de réalisation du travail dans laquelle la part la plus significative du temps de travail s’effectue à domicile, au moyen de TIC). Le télétravail formel étant par définition encadré par le contrat de travail, il est fort différent du travail en débordement, qui lui est informel. Dans la mesure où les problématiques liées au télétravail formel sont assez différentes, cette modalité de la porosité de temps sera exclue de cette recherche. En revanche, nous avons rencontré un cas de figure dans lequel le travail à la maison prend la forme de télétravail alterné, faisant l’objet d’une modification du contrat de travail :

« Je travaille à temps partiel, à 90%. Le mercredi, je reste chez moi et je travaille toujours soit le matin soit l’après midi. J’ai un bureau, une connexion. C’est dans mon contrat de travail » (Femme, 36 ans, senior manager, CONSEIL, 3 enfants)

Dans ce cas précis, le travail à la maison ne correspond pas exactement à un débordement du travail sur la vie personnelle mais plutôt à un arrangement local pour articuler le travail et les activités familiales. Il s’agit d’un aménagement des structures temporelles dans lesquelles se déroule le travail. Enfin, il est difficile de parler de télétravail car le travail à la maison ne concerne qu’une demi-journée par semaine, pour quatre jours pleins passés sur le lieu de travail. Il s’agit plutôt de télétravail alterné, régulier et formel mais le télétravail ne constitue pas la part la plus significative du temps de travail.

Fréquence

L’un des traits communs à toutes les modalités du travail en débordement relève de la difficile évaluation de ce travail, le plus souvent invisible. Le travail en débordement est parfois rendu visible et tangible par la production d’un document, d’un email, mais ce n’est pas toujours le cas. Les répondants eux-mêmes témoignent de grandes incertitudes quant à la quantification de ce travail. La plupart soulignent l’irrégularité et l’aspect conjoncturel de ce type de porosité des temps, et ont du mal à en spécifier la fréquence et la durée :

« Le travail à la maison, ça dépend toujours des échéances du projet [...] Il n’y a pas de

normes, c’est uniquement lié au contexte du projet » (homme, 35 ans, manager,

CONSEIL)

La fréquence du travail en débordement est très hétérogène, selon les répondants, elle varie de tous les jours à jamais :

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« - Vous arrive-t-il de travailler à la maison ?

- Oui…le soir, le week-end. Je pense que je passe facilement deux ou trois heures le week-end… Ca doit rajouter encore 10 heures de travail par semaine.» (Homme, 31

ans, responsable technique, PME)

« - Vous arrive-t-il de travailler à la maison ?

- Je l’ai fait pendant 20 ans et maintenant je ne le fais plus […] C’est une question de choix, je n’emmène pas de dossier à la maison. Je ne travaille jamais pendant les vacances. La moyenne c’est zéro ! » (Femme, 44 ans, DRH Groupe, AUSSURANCE)

En outre, le travail en mobilité dans les transports ne doit pas être négligé, il peut représenter jusqu’à cinq heures, soit une demie journée de travail par semaine :

« J’ai une heure de RER le matin et une heure le soir. Je travaille tous les jours dans le RER, j’en profite pour lire des notes, des comptes-rendus que j’ai pas eu le temps de lire, des choses comme ça, je travaille en gros une heure par jour dans les transports, ça représente 5 heure par semaine : une demie heure à l’aller et au retour ou une heure au retour. » (Homme, 43 ans, DRH, ASSURANCE)

L’irrégularité et la relative imprévisibilité du travail en débordement sont des caractéristiques qui se retrouvent dans la majorité des entretiens. Dans certains cas cependant, il est possible de trouver une certaine régularité lorsque le travail en débordement est devenu un moyen de gérer une charge de travail très importante :

« Le travail à la maison, c’est toujours la même chose : le courrier le dimanche soir. Je ne vois pas comment je pourrais gérer le courrier autrement. » (Homme, 40 ans,

ingénieur, AUTO)

Les communications professionnelles pendant le hors travail sont également très irrégulières. Dans la majorité des cas, elles sont fortement dépendantes d’activités et de problèmes conjoncturels :

« [Les communications professionnelles] c’est en fonction de l’activité. Si j’attends des comptes-rendus urgents pendant mes vacances, pour bien préparer mon retour, je consulte [ma messagerie] tous les jours […] sinon, c’est du ponctuel, ça peut être une fois par semaine ou trois fois par mois. » (Femme, 40 ans, directrice d’exploitation,

PME)

Le seul cas dans lequel il est possible de trouver une régularité dans les communications professionnelles, correspond aux périodes de vacances. Certains cadres restent à disposition de leur entreprise pendant leurs congés en laissant des coordonnées où les joindre ou en appelant leur bureau « pour prendre des nouvelles » :

« J’appelle pendant les vacances pour savoir si ça va, quel est le chiffre d’affaires, s’il n’y a pas de problèmes. Les gens savent que je suis à leur disposition. » (Femme, 40

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