• Aucun résultat trouvé

La porosité des temps chez les cadres

2. D ÉFINITION DES CONCEPTS

2.1. La porosité des temps

La question de la porosité des temps est porteuse d’enjeux juridiques. Ainsi, une première caractérisation de la porosité des temps nous est fournie par le droit du travail français qui distingue le temps de travail du temps hors travail, grâce à la notion de travail

effectif. Rappelons que les trois critères de définition du travail effectif sont :

‐ L’existence d’un lien de subordination avec l’employeur ; ‐ Le travail a été commandé par l’employeur ;

‐ Le salarié est à la disposition de son employeur.

La porosité des temps caractérise les situations dans lesquelles les temps personnels et professionnels se chevauchent. Au regard du droit du travail, il s’agit de situations dans lesquelles un ou deux des critères de définition du travail effectif sont remplis, sans que les trois ne le soient. La notion de porosité des temps renvoie donc à des situations juridiquement problématiques, d’un point de vue théorique ou pratique. A titre d’exemple, le temps du travail en débordement ne pose pas de problèmes en théorie (il s’agit de temps de travail). Mais dans la pratique, la question du choix librement consenti reste irrésolue eu égard aux vives tensions, aux contraintes formelles et informelles, qui pèsent sur les cadres. Si la mise en place du forfait jour a permis de lever un certain nombre de difficultés juridiques, toutes ne le sont pas dans la pratique.

En second lieu, les enjeux de la porosité des temps dépassent largement la simple quantification du temps de travail effectif. En ce sens, la conceptualisation de la porosité des temps ne peut se cantonner à une approche en matière de droit. Pour cela, la littérature en sciences sociales sur les interactions entre travail et hors travail offre un angle d’approche complémentaire.

CHAPITRE V. La porosité des temps chez les cadres

138 Les auteurs qui se sont intéressés à la question de la perméabilité entre les différents domaines de la vie (Pleck, 1977 ; Campbell Clark, 2000 ; Kasper et al., 2005) l’ont essentiellement analysé dans le cadre de la théorie des rôles, ils ont donc définit la perméabilité entre rôles sociaux :

La perméabilité entre le travail et la famille représente le degré auquel les demandes liées à l’exercice du rôle familial infèrent dans le travail, et vice versa.

Cependant, la définition de la perméabilité ici énoncée ne nous parait que partiellement adéquate pour étudier les interactions entre temps professionnel et temps personnel chez les cadres. Ceci pour deux raisons :

(i) Premièrement, la définition de la perméabilité prend en compte uniquement les

interférences entre l’emploi et la famille. Nous proposons d’élargir le champ d’analyse aux interférences entre le travail et le hors travail, comme le suggèrent O’Driscoll et al. (1992) : un célibataire sans enfants expérimente aussi des interférences entre différents temps sociaux.

(ii) Deuxièmement, la notion de perméabilité s’inscrit dans la théorie des rôles sociaux.

Cette approche est très intéressante mais nous semble partiellement incomplète pour notre recherche. En effet, la notion de rôle prend en considération essentiellement le temps subjectif, le rôle correspond au temps vécu par l’individu. Nous proposons donc de compléter la notion de rôle en intégrant dans l’analyse la notion de temporalité, qui englobe non seulement le temps vécu par l’individu (le rôle auquel il s’identifie) mais aussi le temps objectif, définit par les structures temporelles qui l’entourent. La théorie des rôles nous permettra de caractériser le temps vécu par l’individu. Elle sera complétée par l’étude des temporalités multiples et des structures temporelles, structures temporelles qui sont, selon Orlikowski et Yates (2002), co-construites par l’individu et l’organisation.

Le terme de « perméabilité », rencontré dans la littérature anglo-saxonne, s’applique exclusivement aux interférences entre les rôles familiaux et professionnels. Elle apparaît donc incomplète pour notre recherche. Nous parlerons de « porosité des temps » pour décrire un autre phénomène, à savoir les interférences entre les temporalités personnelles et les temporalités professionnelles.

Le concept de porosité des temps correspond au phénomène de superposition, d’interférence entre les temporalités personnelles et les temporalités professionnelles.

CHAPITRE V. La porosité des temps chez les cadres

139 En nous inspirant de la définition de la perméabilité de Pleck (1977), nous proposons de définir la fréquence de la porosité des temps comme le degré auquel les

activités liées au travail interfèrent avec les activités liées au hors travail, et réciproquement.

La notion « d’activités liées au travail » peut être interprétée différemment suivant les individus. Les vécus associés à certaines activités sont susceptibles de varier relativement fortement. Par exemple, une fête organisée par l’entreprise pour les collaborateurs va représenter une contrainte ou une corvée pour certains, alors que d’autres au contraire, y verront une distraction. De même, une formation peut avoir un intérêt professionnel et personnel à la fois. En plus de prendre place dans une articulation globale des différents temps sociaux, la porosité des temps est indissociable du sens que l’individu donne à ses actions. Ainsi, un individu est susceptible de vivre une situation sur un mode très différents de ce que nous indique le droit du travail.

En conséquence, nous adopterons une définition élargie de la porosité des temps, prenant en compte les situations dans lesquelles il est difficile, voire impossible, de déterminer clairement si les critères de définition du travail effectif sont remplis ou non. Cette difficulté peut se situer à un niveau théorique (limite du droit du travail) ou pratique (si la mise en application du droit se heurte à des représentations individuelles ou collectives).

Pour conclure, la porosité des temps correspond au phénomène de superposition et

d’interférence entre les temporalités personnelles et les temporalités professionnelles. Elle caractérise les situations dans lesquelles un ou deux des critères de définition du travail effectif sont remplis, sans que les trois ne le soient ; et les situations dans lesquelles il est impossible de déterminer, en théorie ou en pratique, si un ou plusieurs de ces critères sont atteints ou non.

En nous inspirant des travaux sur les interactions entre l’emploi et la famille (chapitre II), nous faisons l’hypothèse que la porosité des temps est un phénomène bidirectionnel, faisant intervenir d’une part, l’interférence des activités liées au travail sur les activités liées au hors travail ; et d’autre part, l’interférence des activités liées au hors travail sur les activités liées au travail.

CHAPITRE V. La porosité des temps chez les cadres

140

Documents relatifs