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La porosité des temps chez les cadres

4. L ES DÉTERMINANTS DE LA POROSITÉ DES TEMPS : PISTES DE RECHERCHE

4.3. Les profils de cadres

Les nombreuses recherches menées sur les cadres ces vingt dernières années mettent en exergue l’hétérogénéité de ce groupe professionnel. En ce sens, les différents profils de cadres

CHAPITRE V. La porosité des temps chez les cadres

157 peuvent apparaître comme des éléments importants dans la compréhension de la porosité des temps.

La première ligne de clivage qui se dégage de la littérature renvoie à l’opposition entre les cadres dirigeants ou labellisés « à haut potentiel », et les autres (Falcoz, 2001). Les premiers semblent avoir conservé les attributs classiques du statut, en particulier ceux attachés à la disponibilité pour l’entreprise et au débordement du travail sur les autres temps de la vie. Il est donc fort probable que les cadres supérieurs, dirigeants ou « à haut potentiel » entretiennent un rapport particulier avec la porosité des temps, plus marqué par l’emprise du travail. Cette ligne de clivage est fortement liée au genre, elle réfléchit les inégalités entre les hommes et les femmes cadres. En effet, les femmes sont moins de 10% parmi les cadres dirigeants en France (Laufer, 2004). L’accès à des postes de direction dépend encore de l’adhésion à des modèles de carrière « au masculin » (fort investissement temporel dans le travail, mobilité géographique, etc.). La labellisation « à haut potentiel » est donc le reflet du plafond de verre qui freine toujours l’avancement hiérarchique des femmes cadres.

En second lieu, la montée des cadres experts au détriment des encadrants constitue une tendance de fond (Pochic, 2004 ; Amossé, Delteil, 2004). Il semble donc pertinent d’analyser la porosité des temps en fonction des caractéristiques de l’emploi propres aux experts et aux encadrants. En outre, cette distinction participe de la féminisation différentiée de l’encadrement. Les femmes s’orientent plus souvent que les hommes vers des postes d’expertise et connaissent des progressions de carrière de type plutôt horizontal que hiérarchique (Laufer et Pochic, 2004).

De plus, la masse des cadres experts ne présente qu’une uniformité de façade. Les nombreuses recherches menées sur différents métiers d’expert en ont fait ressortir les particularités (Lallement, 2003 ; Livian, Sokoloff, 2004 ; Yakura, 1999 ; Legault et al. 2006). Livian et Sokoloff (2004) distinguent d’une part les cadres dont l’expertise technique constitue le cœur de métier (ce sont des ingénieurs de conceptions, des auditeurs, des consultants internes ou externes, etc.), et de l’autre, ceux que Mintzberg (1982) appelle la « technostructure », c’est à dire ceux qui contribuent à la planification et à l’organisation du travail (contrôleurs de gestion, responsables RH, juristes, etc). En fonction de leur métier, les cadres experts peuvent être plus ou moins exposés à l’incertitude, à l’urgence et l’aléa. Or ces dimensions, en ce qu’elles sont intimement liées à l’intensité du travail, apparaissent essentielles dans l’étude de la porosité des temps.

CHAPITRE V. La porosité des temps chez les cadres

158 Troisièmement, il semble que l’écart se creuse entre les anciens et les modernes. Plus diplômés, familiarisés très tôt avec les TIC, les jeunes cadres font valoir des compétences différentes des plus âgés (Delteil, Dieuaide, 2002). En outre, une brèche s’est ouverte entre les aspirations des jeunes cadres, en termes d’épanouissement professionnel et personnel, d’articulation entre les temps de la vie, et celles de leurs aînés (Goffe, Scase, 1992). Les attentes des jeunes cadres semblent se rapprocher des attentes traditionnellement associées aux femmes cadres (Laufer et Fouquet, 2001). Pour l’ensemble de ces raisons, il est intéressant de prendre en compte l’aspect générationnel dans l’étude de la porosité des temps.

En dernier lieu, l’effet du diplôme est de plus en plus déterminant dans l’accès au statut cadre, et surtout dans la labellisation « cadre à haut potentiel » (Amossé, Delteil, 2004 ; Falcoz, 2001). On peut donc s’interroger sur un décalage croissant entre les cadres diplômés et les cadres autodidactes, ou « cadres maison », pour qui l’accès au statut constitue l’aboutissement de la carrière (Sainsaulieu, 1985). Les derniers seront-ils de plus en plus déconnectés des voies de la promotion ?

Les différentes facettes de la porosité des temps semblent par conséquent très liées à des profils de cadres, faisant intervenir le niveau hiérarchique, les responsabilités d’encadrement, le diplôme, l’âge, le type de métier et les fonctions exercées. L’ensemble de ces variables sont implicitement ancrées à la dimension du genre, dimension, rappelons le, structurante de la recherche.

Pour résumer, la littérature a permis de définir le concept de porosité des temps, d’en mettre en lumière les enjeux particuliers et de voir en quoi une connaissance plus poussée des pratiques de porosité des temps chez les cadres pouvait être pertinente pour les directions d’entreprises, les organisations syndicales et les cadres eux-mêmes. Acquérir une connaissance des pratiques de porosité des temps signifie d’une part décrire comment elle se décline, dans une pluralité de facettes, chez les cadres. D’autre part, il s’agit de comprendre pourquoi ces pratiques se mettent en place, quelles sont les raisons du développement de la porosité des temps et quel est le sens que lui donnent les cadres. Plusieurs pistes de recherches ont été dégagées quant à de possibles facteurs explicatifs de ce phénomène. Ces premières propositions de recherche appellent une démarche empirique visant à les éprouver sur le terrain. Les chapitres qui suivent présentent l’élaboration du plan de recherche et de la méthodologie.

CHAPITRE V. La porosité des temps chez les cadres

159 Synthèse du chapitre

Pour dépasser les contradictions inhérentes aux différents paradigmes temporels (temps objectif, linéaire, décontextualisé versus temps subjectif, qualitatif, discontinu) ; nous proposons d’analyser la porosité des temps en termes de temporalités multiples et de structures temporelles co-construites par les organisations et les individus (Orlikowski, Yates, 2002). La porosité des temps sera alors étudiée comme un ensemble de pratiques visant à faire coexister différentes temporalités ou comme l’expression des évolutions des structures temporelles qui encadrent le travail.

Nous utilisons la notion juridique de travail effectif pour définir la porosité des temps. Les trois critères de définition du travail effectif sont l’existence d’un lien de subordination avec l’employeur ; le travail a été commandé par l’employeur ; le salarié est à la disposition de son employeur.

La porosité des temps correspond au phénomène de superposition et d’interférence entre les temporalités personnelles et les temporalités professionnelles. Elle caractérise les situations dans lesquelles un ou deux des critères de définition du travail effectif sont remplis, sans que les trois ne le soient ; et les situations dans lesquelles il est impossible de déterminer, en théorie ou en pratique, si un ou plusieurs de ces critères sont atteints ou non.

Les critiques sont nombreuses pour dénoncer la distorsion entre une conception objective et quantitative du temps de travail et la nature informationnelle et subjective du travail des cadres. La porosité des temps est à la fois un révélateur de cette distorsion et un catalyseur des mutations du travail. Par ailleurs, les pratiques de gestion sont de plus en plus individualisées. En conséquence, les cadres se retrouvent seuls pour gérer des articulations entre temps professionnels et personnels souvent conflictuelles.

La revue de littérature a permis d’identifier de possibles déterminants de la porosité des temps, au premier rang desquels se trouve le genre. Ce sont ensuite des facteurs liés à l’emploi :

− Les caractéristiques de l’emploi, − La perception de surcharge de travail, − L’implication dans le travail,

− Les normes sociales de temps de travail,

− Les attitudes et comportements du groupe de travail, Et des facteurs liés au hors travail :

− Le conflit emploi – famille, − L’implication dans la famille, − Les responsabilités du hors travail,

− L’appui du conjoint ou des membres de la famille,

Enfin, la porosité des temps semble également dépendre de profils de cadres. Ces profils sont dans une large mesure le reflet de différences entre les hommes et les femmes cadres.

Chapitre VI. Design global de la recherche et méthodologie qualitative

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Chapitre VI:

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