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Les interactions entre travail et hors travail

1. L ES ORIGINES : PRINCIPAUX CONCEPTS MOBILISÉS

Les recherches sur l’interface entre travail et hors travail2 s’inspirent largement de la théorie des rôles, en particulier des travaux de Katz et Kahn (1978). L’objectif de cette première section est d’en présenter les principaux concepts.

2 Le chapitre précédent a montré que le travail n’était pas réductible au travail professionnel, rémunéré, et que le

hors travail ne l’était pas plus au loisir ou aux activités familiales. Cependant, nous userons de cet abus de langage pour rendre compte plus commodément du contraste entre l’univers professionnel d’un côté (le travail) et le reste de la vie (le hors travail) de l’autre.

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1.1. Les rôles organisationnels

Linton s’est intéressé aux rôles sociaux dans les années 1930 et 1940. Selon lui, dans toute société, chaque individu possède un ou plusieurs statut(s) (position dans la structure sociale), en relation avec tous les autres. Un statut est associé à un ensemble d’activités ou de comportements attendus, il s’agit d’une collection de droits et de devoirs (Linton, 1968). Le rôle représente l’aspect dynamique du statut : ce que l’individu doit faire pour justifier l’occupation de ce statut (Linton 1977, 1968).

Les travaux de Linton se veulent d’une portée très large ; cependant, cet auteur minimise l’incidence des conflits de rôles : « Les rôles associés aux statuts d’un même système sont en

général assez bien ajustés les uns par rapport aux autres pour ne pas produire de conflit tant que l’individu opère au sein du système […] Si par accident des statuts dont les rôles sont fondamentalement incompatibles se trouvent sur le même individu le cas, très rare, offre matière à une puissante tragédie » (Linton, 1977, p. 89). Pour Linton, les organisations sont

des systèmes fermés, en conséquence, les conflits de rôles sont marginaux. A l’inverse, les travaux de Katz et Kahn (1978) montrent l’importance des conflits de rôle dans le fonctionnement des organisations en replaçant la notion de rôle dans des systèmes ouverts.

Selon Katz et Kahn (1978), les organisations sont des systèmes ouverts de rôles prévus et sanctionnés par des normes, prenant leurs sources dans des valeurs. La notion de système ouvert met en exergue le fait que l’organisation n’existe pas dans le vide, elle est en interaction avec un environnement. Les frontières entre l’environnement et le système sont souvent floues ; des éléments de l’environnement « entrent » dans le système, qui lui-même produit des « outputs » qui influencent l’environnement (Weick, 1979 ; Vancouver, 1996). Le fait de se représenter l’organisation comme un système ouvert constitue une ouverture théorique fondamentale. De cela dérive l’idée de l’inclusion partielle de l’individu dans l’organisation (Rojot, 2003), il cumule des rôles relatifs à plusieurs systèmes.

A l’intérieur d’un système ouvert, l’individu interagit avec d’autres membres de l’organisation et de l’environnement, qui lui communiquent ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas faire selon le statut qu’il occupe : c’est le rôle transmis3. Le rôle transmis dépend aussi des attentes de ceux qui transmettent ce rôle4 (supérieurs, pairs, subordonnés). Ainsi, les rôles transmis sont plus ou moins en phase avec les exigences formelles de l’organisation (Katz et

3 Traduction de Rojot (2003)

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53 Kahn, 1978). Le processus est dynamique, chaque membre de l’organisation répond aux rôles qui lui sont transmis selon sa propre perception : c’est le rôle reçu, qui influence le comportement du titulaire du statut. Enfin il faut considérer le rôle que le titulaire s’assigne lui-même en tant « qu’auto transmetteur », les valeurs et attentes qu’il a formées sur ses propres capacités et comportements et sur les conditions d’appartenance à l’organisation. Le processus est façonné par de nombreux facteurs contextuels, interpersonnels et organisationnels.

Par ailleurs, les statuts d’un individu dans l’organisation peuvent le conduire à devoir remplir de multiples rôles, d’où une complexification de ses activités ; inéluctablement, ce schéma est porteur de conflits de rôles. Katz et Kahn définissent le conflit de rôle comme la coexistence d’attentes, liées à différents rôles, telles que la satisfaction de l’une rende difficile la satisfaction de la ou des autres. Les conflits de rôles sont souvent sources de tensions, d’anxiété et réduisent l’efficacité (Katz et Kahn, 1978). Les auteurs mentionnent plusieurs causes possibles à ces conflits de rôles :

− Un désaccord entre deux transmetteurs de rôles, c’est le cas le plus classique. Par exemple, les managers intermédiaires, peuvent être aux prises avec des attentes contradictoires émanant de leur hiérarchie et de leurs subalternes ;

− Deux attentes divergentes émanant d’un même transmetteur de rôle ; − Une incompatibilité entre un rôle transmis et les attentes de l’individu ; − Une incompatibilité entre deux rôles tenus par une même personne.

Pour illustrer ce dernier cas de figure, Katz et Kahn (1978) citent l’exemple du conflit inter-rôles pouvant être généré entre le rôle professionnel et le rôle de parent. Bien que leur analyse se situe essentiellement au niveau des rôles organisationnels, ils font ici allusion aux rôles familiaux, car rappelons le, l’organisation est un système ouvert. Ils sèment les germes des recherches sur le conflit inter-rôles emploi / famille, qui fera l’objet de nombreux développements. En conclusion, la théorie des rôles attire l’attention sur la nature des organisations comme systèmes ouverts, sur les échanges avec l’environnement et la compatibilité entre les différents rôles tenus par un individu. L’idée de porosité des temps incarne par exemple l’appartenance des individus à plusieurs systèmes (l’organisation, la famille, etc.), dont les frontières sont floues.

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1.2. Domaines de la vie et frontières

Les théories de Katz et Kahn ont servi de base à la majeure partie des travaux traitant des interactions entre les différents domaines de la vie, en particulier le travail et la famille. A partir de ces fondements théoriques, cette section présente des concepts plus récemment développés pour caractériser ces interactions.

Ashforth, Kreiner et Fugate (2000) définissent la transition de rôles comme le mouvement psychologique entre deux rôles, caractérisé par le désengagement d’un rôle (sortie du rôle) et l’engagement dans l’autre rôle (entrée dans le rôle). La transition de rôle correspond au passage de la frontière entre deux rôles. Quotidiennement, nous sommes tous conduits à passer d’un rôle à l’autre. Ainsi, Ashforth et al. (2000) définissent une frontière de rôle comme le périmètre qui délimite un rôle. Ces auteurs postulent qu’une frontière est construite différemment suivant les individus, elle est idiosyncrasique.

Campbell-Clark (2000) s’intéresse pour sa part aux domaines de la vie. Le travail et la famille sont appelés des domaines de la vie dans la mesure où ils sont associés à différentes règles, valeurs et comportements (Campbell-Clark, 2000). La séparation de ces deux domaines remonte à l’époque de la révolution industrielle (voir chapitre précédent). Depuis lors, le travail et la famille sont pensés séparément en termes de temps, d’espaces et de responsabilités à tenir par les individus. Cet auteur définit une frontière comme la ligne de démarcation entre deux domaines, marquant le point où les comportements relatifs à un domaine commencent et s’achèvent. Cette définition de la frontière est très proche de celle proposée par Ashforth et al. (2000). Campbell-Clark (2000) postule qu’il existe trois formes de frontière : spatiales, temporelles et psychologiques.

Une frontière spatiale, comme le mur d’un bureau ou d’une maison, définit l’espace où les comportements relatifs à un domaine ont lieu d’être tenus. Une frontière temporelle, telle les horaires de travail, détermine quand ces comportements doivent être tenus. Une frontière psychologique est un ensemble de règles créées par les individus pour déterminer les émotions, les attitudes et les comportements appropriés à chaque domaine.

Les concepts de rôle, domaines de la vie et frontière permettent d’analyser différents types d’interactions entre travail et hors travail.

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