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Description des contextes d’entreprises et des types de porosité des temps

1. D ESCRIPTION DES CONTEXTES D ’ ENTREPRISES

1.3. Les nouveaux visages de la disponibilité

L’entreprise CONSEIL est également très marquée par l’exigence de disponibilité pesant sur les cadres. Cependant, les raisons évoquées sont différentes de chez AUTO. Contrairement à l’usine automobile, CONSEIL est une entreprise comptant 85% de cadres, en moyenne assez jeunes. La durée du travail des répondants oscille entre 60 et 50 heures par

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188 semaine pour les répondants à temps plein, trois femmes sont à temps partiel (deux à 80% et une à 90% d’un temps plein).

Il est attendu des consultants un fort investissement temporel dans le travail et une disponibilité géographique pour sa carrière. Ils doivent témoigner d’une flexibilité pour répondre aux besoins de l’entreprise. Bien qu’implicites, ces normes de comportement semblent très claires et connues de tous. Tous les consultants rencontrés n’hésitent pas à rester tard en cas de besoin et sont très disponibles en dehors de leurs horaires de travail habituels :

« Si on a des coups de bourre, il est de bon ton d’accepter de faire des horaires lourds. Mais en dehors de ces périodes, non […] Il faut être là quand il y a une surcharge de travail, c’est de bon ton d’être très disponible » (Femme, 25 ans, consultante junior,

CONSEIL)

« Il est de bon ton de faire de longs horaires et d’être disponible, on attend une disponibilité sur les projets, c'est-à-dire, sur les moments difficiles des projets il faut être là… et puis après, plus on monte dans la hiérarchie plus on attend de vous que vous soyez joignable tout le temps, disponible le plus possible… Sachant que c’est souvent quand même sur un mode de volontariat, on ne force pas ou peu les gens à rester, par contre ils savent que c’est mieux pour leur carrière. C’est hyper clair. » (Femme, 29

ans, responsable de projet, CONSEIL)

« - Ça vous embête d’être appelé en dehors de vos heures de travail ?

- Non, c’est la règle du jeu, tout le monde l’admet […] la dernière fois c’était il y a trois semaines, un mois. » (Homme, 35 ans, manager, CONSEIL)

Si les répondants précisent qu’une forte disponibilité temporelle est attendue essentiellement pendant les périodes de surcharge, il n’en demeure pas moins que les longs horaires sont valorisés à l’extrême à l’échelle du cabinent de conseil. Les lourds horaires de travail véhiculent une image positive et valorisante :

« - A Quelle heure partent les derniers ?

- Les derniers ? Oh, y’a pas de règle, ce que j’ai pu observer c’est que les plus acharnés partent vers 22h, avec des pointes à 4 h du matin mais faut pas se laisser ébouriffer… ce sont des mythes en fait, ça fait bien de dire « Oh, je suis parti à 4h du mat’ hier, j’ai bossé comme une brute. »

- Ça fait bien ?

- Ah oui, ça fait bien ! Les gens s’échangent des souvenirs de guerre, ça fait vieux vétérans : « Ah, tu te souviens quand on finissait tous les soirs à 4h du mat’ et qu’on mangeait des pizzas », ça fait bien… » (Femme, 29 ans, responsable de projet,

CONSEIL)

Ce témoignage illustre la valorisation des comportements qui contribuent à entretenir une certaine image viril et presque guerrière du consultant travaillant sans relâche (« ça fait

bien », on s’échange les « souvenirs de guerre » comme des exploits). Il est de bon ton de

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189 travail. La valorisation de la disponibilité s’entend largement aux delà des frontières de l’entreprise, elle fait partie de sa réputation. En arrivant chez CONSEIL, les jeunes recrues savent ce qui les attend. On peut y voir l’efficacité de la politique de communication externe et de recrutement :

« Je savais que j’allais voyager, faire plein de choses, travailler beaucoup. Si on veut être tranquille, avoir ses enfants le soir, on ne vient pas chez CONSEIL. » (Femme, 29

ans, responsable de projet, CONSEIL)

Toutefois il est intéressant de constater que les répondants ne sont pas tout à fait dupes. Les normes de disponibilité sont acceptées car elles conditionnent l’évolution de carrière. Les consultants s’y plient car ils savent qu’il s’agit d’une condition sine qua non pour progresser dans la hiérarchie. Ainsi, l’un des grands avantages pour ce cabinet de conseil, est d’attirer des personnes qui sont d’emblée prêtes à travailler de longues heures en échange d’un bon salaire et d’une promesse de carrière objective ou d’une promesse d’employabilité. En effet, une expérience dans le conseil est très valorisée sur le marché du travail. Beaucoup de jeunes diplômés commencent leur carrière dans une entreprise de conseil pour se faire une carte de visite et par la suite, se font embaucher par une entreprise cliente.

Les étapes de progression dans la carrière sont très codifiées, l’évaluation des performances des consultants se fait de façon systématique à la fin de chaque mission. La logique du « up or down » (soit vous montez soit vous sortez) est bien implantée dans le cabinet. La moyenne d’âge est donc relativement basse et le taux de rotation du personnel important (environ 25% par an).

Au-delà des caractéristiques propres à l’entreprise CONSEIL, la position particulière des consultants dans l’organisation est génératrice de différentes pressions temporelles. En effet, il existe un contrat commercial entre le cabinet de conseil (l’employeur) et l’entreprise cliente. Par définition, un consultant est affecté à une mission, il passe la majorité de son temps chez son client. Il découle de cette relation triangulaire deux sources de contraintes : le consultant est subordonné à son employeur mais doit répondre aux attentes de son client, chez qui il est à la fois un producteur (de documents, comptes-rendus, etc.) et le représentant de son employeur. Cette double autorité peut conduire à des injonctions contradictoires que les consultants doivent gérer. Par ailleurs, ils doivent s’adapter aux normes sociales de CONSEIL et à celles de l’entreprise cliente. En conséquence, les horaires des consultants sont à la fois ceux imposés par les clients et ceux inhérents aux normes et à la culture de CONSEIL. Comme le note cette jeune consultante : « le client en veut pour son argent », les consultants

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190 doivent en permanence prouver qu’ils sont à la disposition de leurs clients. Cette disponibilité peut aller jusqu’à l’annulation des congés :

« Quand on est chez CONSEIL et qu’on prend des billets d’avion, on prend toujours une assurance annulation, parce que ça arrive, pas toujours, mais ça arrive qu’on nous demande d’annuler nos vacances à cause du travail. Moi par exemple, j’ai annulé mes dernières vacances pour pouvoir reprendre ce programme. Personne ne m‘y a forcé mais on m’a expliqué que ce serait quand même nettement mieux, je savais que ce serait l’enfer si je ne le faisais pas. Voyez, ce n’est pas une totale contrainte mais faudrait être fou chez CONSEIL pour ne pas prendre une assurance annulation quand on part. »

(Femme, 29 ans, responsable de projet, CONSEIL)

Dans le cas d’AUTO, la disponibilité temporelle pour le travail correspond surtout à une spécificité du groupe des cadres, elle est encore très liée au statut. Dans le cabinet de conseil à l’inverse, la référence au statut « cadre » disparaît compétemment, être cadre est le statut le plus courant. La disponibilité sous toutes ces formes et la flexibilité sont valorisées au niveau de la culture d’entreprise, et non plus seulement pour un petit groupe de salariés de confiance. Bien que le statut cadre ne soit pas considéré comme un attribut symbolique du pouvoir, les comportements classiquement adossés au statut (tels la disponibilité, l’investissement dans le travail…) sont extrêmement valorisés. Les consultants semblent s’apparenter au modèle du cadre entrepreneur de lui-même individualisé, responsabilisé et responsable de sa carrière.

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