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Le temps de travail des cadres, entre contraintes et libertés

3. A MBIVALENCES ET ENJEUX DU TEMPS DE TRAVAIL DES CADRES

3.3. Les frontières temporelles du travail

3.3.1. Le débordement du travail sur le temps personnel

Le développement des TIC semble avoir amplifié le débordement du travail sur le temps personnel des cadres (Ray, 2006), portant cette problématique au premier plan des débats juridiques sur le temps de travail des cadres.

Définition

Pour décrire le débordement du travail sur le temps personnel, Metzger et Cleach (2004) proposent une définition extensive du télétravail, visant à caractériser la partie invisible du travail des cadres effectuée en dehors des temps et lieux habituels de travail : « la pratique du télétravail peut-être occasionnelle et ne pas se

traduire par une modification du contrat de travail (télétravail informel). Ce qui conduit à tenir compte du télétravail alterné (alternance régulière de jours travaillés à domicile et dans l’entreprise) et du télétravail en débordement (le salarié poursuit des activités professionnelles le soir, le week-end, voire pendant les vacances, en retrouvant son environnement de travail). Le lieu d’exercice peut-être le domicile, l’hôtel, les transports en commun (mobilité) ». Ces auteurs identifient différentes

formes de télétravail :

ƒ Le télétravail formel, c'est-à-dire encadré par la loi et le contrat de travail, ou

informel, lorsqu’il ne donne pas lieu à une modification du contrat de travail.

ƒ Le télétravail alterné, c'est-à-dire l’alternance de jours travaillés à domicile et dans l’entreprise.

ƒ Le télétravail en mobilité (lorsque le lieu d’exercice n’est pas le domicile : l’hôtel, les transports en commun, etc).

ƒ Le télétravail en débordement, il s’agit de la poursuite, par le salarié, de ses activités professionnelles le soir, le week-end, voire pendant ses vacances.

Selon ces auteurs, le télétravail en débordement concerne principalement les salariés très qualifiés et les cadres.

A la définition élargie du télétravail proposée par Metzger et Cleach (2004), s’oppose une vision restrictive. La commission européenne y voit « une méthode

d’organisation et/ou de réalisation du travail dans laquelle la part la plus significative du temps de travail s’effectue à l’extérieur des locaux de l’entreprise ou

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du lieu où le résultat de ce travail est délivré, au moyen des technologies d’information et de transmission de données (en particulier Internet) » (Crague,

2003). Pour Tremblay (2001, 2003), le télétravailleur est « une personne qui fait du

travail rémunéré à domicile et dont l’essentiel du travail se fait sur ordinateur; généralement ce travail est transmis à un client ou un employeur par Internet ou sur une disquette ». Ainsi, le télétravail se distingue du simple travail à domicile parce

que ce dernier ne nécessite pas l’utilisation des TIC (Taskin, 2006b). Par ailleurs, dans sa définition restrictive, le télétravail est rémunéré, formel et régulier (il s’agit de la forme dominante du temps de travail).

La définition élargie du télétravail de Metzger et Cleach (2004) nous semble rendre plus diffuse et imprécise cette notion. En effet, peut-on qualifier de télétravailleur un cadre débordé conduit à terminer une présentation le dimanche soir chez lui, au même titre qu’un salarié travaillant à son domicile de 9h à 17h en semaine ? Il nous paraît donc préférable de réserver l’emploi du terme « télétravail » aux situations correspondant à sa définition restrictive.

Néanmoins, l’idée de télétravail en débordement proposée par ces auteurs a le mérite de rendre visible cette « dimension souvent occultée du travail des cadres et,

plus généralement, la flexibilisation dont les activités qualifiées font l’objet ». Elle

donne une consistance au travail non visible des cadres. L’idée de télétravail en débordement est donc très intéressante, mais il nous semble plus pertinent d’appeler

travail en débordement – terme libéré de l’équivoque préfixe télé - le travail informel,

irrégulier et occasionnel, effectué par les cadres à leur domicile ou en mobilité, le soir, le week-end, ou pendant leurs congés.

Enfin, le travail en débordement ne requiert pas nécessairement l’utilisation de TIC, même si ces dernières contribuent à son développement. La notion de travail en débordement nous permet de caractériser une forme de porosité de temps très répandue chez les cadres.

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119 Le travail en débordement des cadres : des profils variés

Le travail en débordement concerne essentiellement les cadres et les ingénieurs. Alain Chenu (2002) note qu’ils « font fréquemment déborder leur vie professionnelle

sur leur temps familial et domestique en effectuant certaines de leurs tâches à domicile ».

En 1995, 60% des cadres déclaraient ne jamais travailler à la maison contre 91% des non cadres (Fremanian, 1999). Selon les résultats de l’enquête TEQ, globalement, un cadre sur deux déclare travailler au moins une heure par semaine à son domicile ou pendant son temps de trajet (Delteil, Genin, 2004). Le débordement du travail sur le temps personnel demeure un signe distinctif des cadres par rapport aux non cadres.

Alors qu’en 1995, 8% des cadres déclaraient travailler souvent à domicile et 32% parfois (Fremanian, 1999), les résultats de l’enquête TEQ établissent qu’environ 25% des cadres travaillent souvent ou régulièrement à la maison (Delteil, Genin, 2004). Il semble donc que cette tendance se développe. Chenu (2002) ajoute que rapporter du travail à la maison accroît significativement la fréquence du sentiment d’être débordé ou de manquer de temps, que ce soit au travail ou dans la vie quotidienne.

La fréquence du travail en débordement augmente avec la durée hebdomadaire du travail : le pourcentage de cadres déclarant ne jamais travailler à la maison tombe en dessous de 50% pour les cadres travaillant 50 heures par semaine ou plus (Fremanian, 1999). Sans surprise, en plus d’être ceux qui consacrent le plus d’heures au travail, les cadres hiérarchiques sont aussi les plus enclins au travail en débordement. L’écart se creuse encore lorsqu’ils encadrent des cadres : 27% de ceux qui encadrent au moins un cadre, déclarent travailler plus de trois heures par semaine à domicile contre 14% des cadres non encadrant (Delteil, Genin, 2004).

En début de carrière, les cadres semblent relativement protégés du débordement du travail : 57% des moins de 30 ans déclarent ne jamais travailler à la maison (Delteil, Genin, 2004). Il est probable que ce résultat reflète un contenu des tâches différent et de moindres responsabilités hiérarchiques. La fréquence du travail en débordement connaît un pic en milieu de carrière. Enfin, le travail à la maison augmente légèrement avec la présence d’enfants (Delteil, Genin, 2004).

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120 La plupart des enquêtes (RTT et modes de vie, Enquête Emploi 1995, TEQ) convergent sur le fait que les hommes cadres ont tendance à augmenter leur durée du travail en milieu de carrière, alors que les femmes la réduisent de façon concomitante à l’arrivée d’enfants. A l’inverse, les résultats relatifs au travail à domicile sont divergents. D’après l’enquête Emploi de 1995, 58% des hommes cadres déclaraient ne jamais travailler à domicile contre 69% des femmes cadres (Fermanian, 1999). Selon l’enquête RTT et modes de vie, 12% des femmes cadres déclarent rapporter très souvent du travail à domicile contre 23% de leurs homologues masculins (Delteil, Méda, 2002). Ces résultats contrastent avec ceux de l’enquête TEQ, selon lesquels la fréquence du travail en débordement est sensiblement égale chez les hommes et chez les femmes, à l’exception de ceux qui déclarent travailler plus de quatre heures par semaine à domicile : 6% des femmes et 9% des hommes (Delteil, Genin, 2004). Le lien entre le genre et le travail en débordement n’est donc pas clairement établi. Les différences observées pourraient être le reflet de la moindre représentation des femmes dans les postes les plus élevés de la hiérarchie.

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