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Le temps de travail des cadres, entre contraintes et libertés

4. L ES TENSIONS AUTOUR DU TEMPS DES CADRES

4.4. Temps personnel et temps professionnel en concurrence

La tension la plus importante autour de laquelle s’articule la porosité des temps chez les cadres est sans doute celle relative à l’incompatibilité entre des temporalités personnelles et professionnelles. Plus que d’autres, les cadres souffrent d’une forte concurrence entre temps personnel et temps professionnel. Dans l’enquête intitulée

Les pratiques culturelles des Français (Donnat, 1997), on demandait aux personnes

interrogées : « diriez-vous que pendant votre temps libre, vous manquez de temps pour faire tout ce dont vous avez envie ? », 39% répondaient positivement, les cadres et professions intellectuelles supérieures se situant nettement au–dessus de cette moyenne avec 55% de réponses positives. L’enquête RTT et modes de vie menée par la DARES en 1999 (citée par Méda, 2003) nous apprend que 60% des cadres déclarent manquer de temps (74.5% des femmes cadres et 56% des hommes cadres). En dépit de la satisfaction consécutive à la RTT, ces derniers se déclarent toujours beaucoup plus fréquemment « débordés » que les autres salariés (Chenu, 2002).

La présence d’enfants va de pair avec une plus grande fréquence du sentiment de fatigue, chez les femmes en particulier. Le sentiment d’être débordé résulte à la fois des charges de travail professionnelles et domestiques (Chenu, 2002).

A la question « à quoi auriez-vous plutôt aimé utiliser le temps libéré par la RTT? 19», 67% des hommes cadres déclarent « à m’occuper plus de ma famille », contre 47% des femmes cadres. En revanche, 66% d’entre elles répondent « à m’occuper plus de moi » pour 36% des hommes cadres (Méda, 2003, d’après l’enquête RTT et modes de vie). Ces chiffres semblent confirmer les résultats de Parauraman et Simmers (2001) sur le conflit emploi / famille. D’après ces auteurs, les femmes souffrent sensiblement moins de ce conflit car avec des horaires de travail en moyenne plus faibles que ceux des hommes, elles arrivent à dégager davantage de temps pour leur famille, mais au prix d’un manque de « temps pour soi » plus saillant.

Enfin, selon Méda (2003), ce n’est pas tant le désir de loisirs qui se fait entendre à travers la complainte du manque de temps, mais un souhait de rééquilibrage entre temps professionnel et temps parental, social et personnel, et un besoin de temps à consacrer aux enfants, notamment lorsqu’ils sont jeunes. L’articulation entre temps professionnel et temps personnel semble donc toujours très problématique chez les

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130 cadres, même si leur niveau de revenu leur permet plus souvent de se libérer de contraintes domestiques.

En conclusion, deux caractéristiques saillantes de leur temps de travail continuent de différentier les cadres des autres salariés. Ce sont d’une part, une durée hebdomadaire du travail toujours supérieure à la moyenne nationale ; et d’autre part une tendance plus marquée à faire déborder le travail sur les autres temps de la vie. Ces tendances recoupent des enjeux juridiques, stratégiques et identitaires pour les cadres. En conséquence, le temps de travail des cadres se situe dans un champ de forces en tension, faisant intervenir des dimensions relatives au contrôle et à l’autonomie, des contraintes et libertés permises par les TIC et le travail en débordement, et le conflit entre les temporalités personnelles et professionnelles. La porosité des temps, et en particulier celle représentée par le travail en débordement, s’inscrit dans cet enchevêtrement de contraintes et de ressources, très contingentes à la nature du travail des cadres.

Pour mieux comprendre ce phénomène, le chapitre qui suit s’attache à en définir les contours. Il entend préciser les notions et les concepts en jeu.

CHAPITRE IV. Le temps de travail des cadres, entre contraintes et libertés

131 Synthèse du chapitre

Les lois sur la réduction du temps de travail ont redéfinit la mesure du temps de travail des cadres en créant trois catégories :

Les cadres dirigeants ne sont pas soumis à la réglementation du temps de travail (sauf sur les congés payés).

Les cadres occupés selon l’horaire collectif sont soumis aux mêmes dispositions de réduction du temps de travail que les autres salariés.

Les cadres au forfait doivent bénéficier de conventions individuelles de forfaits établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle en jours.

La durée du travail des cadres a toujours été plus élevée en moyenne que celle des autres salariés. Les lois sur la RTT ont permis d’endiguer une tendance à l’augmentation de leur durée du travail. Toutefois, le temps de travail revêt encore une forte dimension identitaire pour les cadres, en particulier les plus âgés. Les jeunes cadres et les femmes tendent à s’éloigner du modèle de la disponibilité totale pour l’entreprise, mais on constate que la promotion passe toujours par un investissement temporel dans le travail très important.

Par ailleurs, le temps de travail des cadres se caractérise toujours par un certain flou autour de ses frontières avec le temps personnel.

Nous utiliserons la notion de travail en débordement pour caractériser une forme de porosité des temps répandue chez les cadres. Le travail en débordement correspond au travail informel, irrégulier et occasionnel, effectué par les cadres à leur domicile ou en mobilité (en dehors du lieu habituel de travail et du domicile), le soir, le week-end, ou pendant leurs congés.

Le temps de travail des cadres et la porosité des temps recoupent des enjeux juridiques, identitaires et stratégiques. Le temps de travail des cadres est soumis à de nombreuses tensions. Les cadres ont connu une intensification de leur travail ces dernières années. Ils bénéficient d’une plus grande autonomie que les autres salariés mais les contrôles se sont accrus. Les effets du développement des TIC sur leur travail sont mitigés. D’une part, elles permettent plus de libertés dans l’organisation du travail, mais elles sont aussi susceptibles d’augmenter le débordement du travail sur le temps personnel. Enfin, les cadres souffrent souvent d’une incompatibilité entre des temporalités personnelles et professionnelles.

CHAPITRE V. La porosité des temps chez les cadres

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Chapitre V :

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