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Les cadres, une catégorie socioprofessionnelle en proie à de profondes mutations

2. L ES CADRES , UNE CATÉGORIE PROFESSIONNELLE DÉSTABILISÉE ?

2.2. Le renforcement de l’hétérogénéité des cadres

Alors que la féminisation progresse, on assiste dans le même temps à une diversification croissante des cadres.

2.2.1. L’encadrement ne fait plus le cadre

En premier lieu, les fonctions d’encadrement ne permettent plus de définir les cadres. L’augmentation globale du nombre de cadres a été surtout soutenue par la poussée des cadres experts ; les résultats de l’enquête Condition de travail (1998) et de l’enquête TEQ10 tendent à confirmer la montée de l’expertise au détriment des encadrants (Pochic, 2004 ; Amossé, Delteil, 2004). Cependant, les différentes sources ne concordent qu’imparfaitement quant au pourcentage de cadres exerçant des activités hiérarchiques : selon l’enquête Cadroscope (APEC, 2002), 18% des cadres n’ont pas d’autres salariés sous leurs ordres ou leur autorité, contre 36% selon l’enquête Conditions de travail11 menée en 1998 et 45% pour l’enquête

TEC (conduite en 2002). Ces écarts sont à mettre en relation avec la diversification des formes de responsabilité hiérarchique : que dire de l’encadrement d’un stagiaire ou d’un intérimaire en poste pour quelques mois ? Des consultants qui encadrent des équipes de taille

10 Enquête le Travail En Question, pilotée par la CFDT, exploitée dans l’ouvrage Les cadres au travail. Les nouvelles règles du jeu, sous la dir. A. Karvar et L. Rouban, La Découverte

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89 variable pour des missions de quelques semaines ou de plusieurs années ? La notion de responsabilité hiérarchique se dissout au profit d’un ensemble de situations et de relations de travail plus disparates, issu des évolutions organisationnelles majeures qu’ont connues les entreprises depuis le début des années 1990.

La diminution du nombre de cadres encadrants est particulièrement forte en début de carrière, aujourd’hui, la possibilité d’encadrer une équipe ou de diriger un service se présente davantage en milieu de carrière (Amossé, Delteil, 2004).

2.2.2. Un rapprochement avec les non cadres

En même temps que le nombre de cadres non encadrant augmente, les frontières entre cadres et non cadres tendent à s’estomper (Bouffartigue, 2001b). Les non cadres sont de plus en plus nombreux à exercer des responsabilités hiérarchiques (Amossé, Delteil, 2004). En outre, les politiques de gestions faisant appel à l’autonomie, à la « poly activité » et à l’engagement dans les objectifs de l’entreprise ne s’adressent plus spécifiquement aux cadres et se diffusent vers le salariat intermédiaire (Aubert, 2003 ; Lojkine et Maletras, 2002). L’autonomie et la possibilité de prendre des initiatives dans l’exercice de son métier sont de moins en moins une spécificité des cadres (Amossé, Delteil, 2004). Les formes d’organisation (organisation transversale, structure matricielle, etc.) qui se sont développées dans les années 1990 ont contribué à affaiblir la frontière entre cadres et non cadres. Un certain rapprochement s’opère donc entre certains types de cadres et les professions intermédiaires : « Tout laisse donc à penser que s’affirme un continuum de positions sociales au sein du

monde du travail salarié » (Bouffartigue, 2001a, p. 39).

2.2.3. Plus de segmentations internes

Parallèlement à une certaine dilution de la frontière entre cadres et non cadres, on dénote d’importantes inégalités de pouvoir entre les cadres et de fortes variations dans le déroulement des carrières. Déjà en 1985, Sainsaulieu montrait que la prétendue homogénéité de ces « collaborateurs fidèles » volait en éclats sous la pression des facteurs de situation (origine sociale, formation, position hiérarchique). Cet auteur distingue trois catégories de cadres :

ƒ Les cadres dominants, dirigeants, ayant de grandes responsabilités dans l’entreprise : ces enfants de la bourgeoisie ont pu accéder aux grandes écoles d’ingénieurs grâce aux ressources stratégiques, culturelles et matérielles de leur milieu familial.

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90 ƒ La grande masse de cadres spécialisés : ces cadres moyens sont issus des multiples formations techniques supérieures, leurs perspectives d’avancement sont très liées aux aléas de la vie industrielle. Cette position intermédiaire renvoie au rôle traditionnel du cadre, collaborateur fidèle d’une direction à laquelle ils servent de relais technique ou fonctionnel. Préparés à suivre le modèle de la compétition vers les sommets, ils mesurent progressivement les limites que leur impose l’organisation. C’est souvent dans le secteur extraprofessionnel qu’ils vont chercher à se définir, ils mesurent dans la vie hors travail les avantages de leur position dans l’entreprise.

ƒ Les cadres autodidactes : ces cadres se sentent intégrés à l’entreprise mais il faut reconnaître que leur carrière est plus ou moins derrière eux quand ils accèdent à des postes d’encadrement. Ces cadres sont généralement issus de milieux moyens ou modestes.

Aujourd’hui, les modes de gestion des entreprises accentuent plus que jamais la segmentation interne des cadres. Les cadres dirigeants ou les cadres à haut potentiel sont l’objet d’une gestion de carrière séparée (Falcoz, 2001). Ainsi, les écarts se creusent entre d’un côté les cadres supérieurs, dirigeants ou « à haut potentiel » qui demeurent les cadres « les plus cadres » - pour reprendre la formule de Boltanski (1982) - et les autres.

Falcoz montre que le « cadre à haut potentiel » est une notion floue, ce n’est pas un statut mais un label réversible, une phase de test en vue de passer cadre dirigeant. Il note que le capital scolaire et le diplôme jouent un rôle accru dans la différentiation des parcours de ces cadres.

Les cadres à haut potentiel ont conservé les attributs classiques des cadres : ils sont une minorité, ont la promesse d’une carrière et sont proches des dirigeants. En outre, les cadres à haut potentiel sont des hommes dans 90% des cas, en CDI à temps plein (Falcoz, 2001). Falcoz (2001) précise que le label cadre à haut potentiel suppose en contrepartie une implication et des obligations envers l’entreprise :

ƒ La mobilité internationale et une exigence de rotation rapide dans les postes ;

ƒ Le dépassement d’objectifs ambitieux et l’atteinte de résultats au-delà des espérances ; ƒ La participation aux missions, projets de formation qui lui sont proposé.

Cette accumulation d’exigences et d’obligations est synonyme d’un envahissement des espaces privés, la frontière entre temps personnel et temps professionnel est difficile à

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91 maintenir. Cependant, ces sacrifices sont accompagnés de plaisir au travail (stimulation intellectuelle, ascension professionnelle, etc.).

Falcoz (2001) conclue que « les pratiques de gestion des cadres à haut potentiel

favorisent l’éclatement du statut de cadre et augmente l’hétérogénéité de la catégorie sociale en opérant un reclassement/déclassement des cadres » (p.236) ; reclassement des cadres à

haut potentiel et déclassement des « cadres moyens », plus proches des non cadres. Ainsi, selon cet auteur, il est pertinent de s’interroger sur une évolution plus anglo-saxonne de la catégorisation des cadres, en distinguant les techniciens et experts (professionnal), les encadrants (manager) et les dirigeants (executive).

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