• Aucun résultat trouvé

Les articulations entre le travail et le hors travail, un nouvel enjeu ?

Les cadres, une catégorie socioprofessionnelle en proie à de profondes mutations

3. L ES CONSÉQUENCES DE CES ÉVOLUTIONS

3.4. Les articulations entre le travail et le hors travail, un nouvel enjeu ?

La féminisation et le rajeunissement des cadres ont contribué à faire émerger la question des articulations emploi/ famille pour cette catégorie de salariés, qui était traditionnellement

CHAPITRE III. Les cadres, une catégorie socioprofessionnelle en proie à de profondes mutations

102 exclue de cette réflexion. La façon dont s’est imposé le temps de travail des cadres dans les débats récents autour des 35 heures témoigne de cette évolution (Boulin, 2000). Si les attentes des cadres en matière de carrières hiérarchiques sont moins affirmées aujourd’hui, leurs aspirations en matière d’équilibre entre travail et hors travail se sont accrues ces dernières années (Thevenet, 2001a et 2001b ; Garner, Méda, Mokhtar, 2004 ; Bastid, 2004). Les jeunes cadres et les femmes, en particulier, sont porteurs de modèles de carrières plus distanciés vis- à-vis de l’entreprise (Laufer, Fouquet, 2001). En outre, Dean Lee et Menon (1998) montrent que les hommes managers impliqués dans des familles à double carrière rencontrent peu ou prou, les mêmes difficultés d’articulation entre temps personnel et temps professionnel, que les femmes managers dans la même situation.

Goffe et Scase (1992), dans une recherche menée auprès de managers britanniques15, montrent que les aspirations de ces derniers ont profondément évolué quant à leur investissement en matière de carrière et de vie personnelle. Alors que traditionnellement pour les managers le « succès personnel » se confondait avec le succès professionnel, cette définition tend à inclure de plus en plus d’éléments de la vie personnelle (comme la qualité des relations familiales, des loisirs, etc.). Bien que les managers continuent à aspirer à des postes élevés dans la hiérarchie de leur entreprise, ils sont de moins en moins prêts à sacrifier leur vie personnelle pour des organisations qui ne sont plus capables de leur offrir une sécurité de l’emploi à long terme et/ou des perspectives de promotion.

Ces auteurs ajoutent que les hommes managers semblent avoir revu l’ordre de leurs priorités dans la vie ces trente dernières années. En effet, l’augmentation de l’incertitude associée aux restructurations et aux faibles perspectives de carrière hiérarchique, aurait conduit ces managers à un retrait psychologique de la sphère professionnelle pour chercher davantage de satisfaction dans leur vie personnelle. Ces attitudes contrastent fortement avec les résultats des études menées dans les années 1960, où l’emploi jouait un rôle essentiel dans la satisfaction générale des hommes managers. Aussi, les jeunes managers sont les plus désengagés de leur travail. Ils sont une large majorité à penser que la famille et les relations personnelles sont plus importes que la carrière.

Cependant, ces résultats sont nuancés par deux facteurs : le niveau hiérarchique et l’optimisme. Parmi les managers les plus gradés (cadres supérieurs et dirigeants), l’emploi

15 Cette recherche a été conduite dans les années 1980 auprès de 374 managers britanniques travaillant dans six

grandes entreprises du Royaume-Uni (323 hommes et 51 femmes). Après une enquête par questionnaire, 80 managers ont été choisis pour des entretiens qualitatifs approfondis.

CHAPITRE III. Les cadres, une catégorie socioprofessionnelle en proie à de profondes mutations

103 occupe toujours une place prépondérante dans la vie. Parallèlement, la majorité des managers qui se déclarent très optimistes quant à leurs perspectives de carrière continuent à placer la réussite professionnelle comme source principale de satisfaction dans la vie (Goffe, Scase, 1992).

En France, les cadres conscients des changements environnementaux et du caractère plus aléatoire de leur carrière, intègrent de plus en plus dans leur définition de la réussite de carrière des dimensions d’épanouissement personnel et d’équilibre des temps de vie (Bastid, 2004). Les résultats de Bastid (2004) tendent à montrer que ces dimensions, généralement associées à des carrières au féminin (Laufer, Fouquet, 2001 ; Laufer, 1982), sont présentes à part égale chez les hommes et chez les femmes.

Finalement, les articulations entre le temps professionnel et le temps personnel apparaissent comme un enjeu de plus en plus important non seulement pour les cadres eux- mêmes, mais aussi pour les directions des ressources humaines qui ne peuvent ignorer ces nouvelles aspirations.

En conclusion, il semble pertinent de dresser un état des lieux du temps des cadres, de leur temps de travail et des articulations avec les autres temps sociaux. Quelles sont, pour les cadres, les spécificités de leur temps de travail et quels sont les enjeux de la porosité des temps ?

CHAPITRE III. Les cadres, une catégorie socioprofessionnelle en proie à de profondes mutations

104 Synthèse du chapitre

Depuis son « invention », le groupe des cadres, comme catégorie sociale, a été transformée et remodelée. Le salariat de confiance des origines a cédé la place à une mosaïque de situations. Ces évolutions s’expriment notamment à travers :

ƒ Une augmentation continue du nombre des cadres et de leur pourcentage dans la population active.

ƒ Une féminisation croissante de cette catégorie socioprofessionnelle : il s’agit cependant d’une féminisation différentiée au sens où les femmes cadres sont toujours confrontées à des inégalités persistantes.

ƒ Une hétérogénéité renforcée au sein des cadres : la montée des cadres s’explique en grande partie par l’augmentation du nombre de cadres « experts », c’est à dire non encadrant. Les différences entre les cadres « moyens » et les non cadres (agents de maîtrise, etc.) semblent s’estompées alors que les écarts se creusent entre les cadres dirigeants ou labellisés « à haut potentiel » et les autres cadres.

ƒ De nouveaux rôles et compétences clés dans les organisations : les cadres semblent être conduits à exercer de nouveaux rôles plus centrés sur l’animation d’équipes, la créativité, la motivation et la coopération.

ƒ Une remise en cause du contrat de confiance entre les cadres et l’entreprise due à la stagnation des salaires et des revenus, à la fin de la promesse de carrière objective, à la montée du chômage des cadres et à la contractualisation croissante des relations avec l’entreprise.

Ces évolutions ont entraîné une diversification des modèles de carrière et des aspirations des cadres en termes de vie professionnelle et de vie personnelle. Au vu de l’intensification du travail vécue par de nombreux cadres, certains sont tentés de prendre leurs distances avec l’entreprise, voire de rééquilibrer leur investissement dans le travail et leur investissement dans les autres domaines de la vie. Les articulations entre temps professionnel et temps personnel apparaissent comme un enjeu de plus en plus important non seulement pour les cadres, mais aussi pour les organisations qui les emploient.

Les lignes de rupture qui divisent le groupe des cadres questionnent son unité. D’un côté, la réduction du temps de travail appliquée aux cadres, couplée au rapprochement entre certains types cadres et les non cadres, alimente la thèse de leur « banalisation ». De l’autre, l’émergence de nouvelles règles temporelles propres aux cadres renforce la thèse de leur spécificité. Il semble que l’identité professionnelle des cadres se recompose autour de certaines caractéristiques spécifiques à leur emploi et à leur temps de travail, parmi lesquelles une porosité entre activités professionnelles et personnelles de plus en plus marquée.

CHAPITRE IV. Le temps de travail des cadres, entre contraintes et libertés

105

Chapitre IV :

Documents relatifs