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Les travaux de la commission Irrigation : les eaux souterraines doivent être mobilisées en complément des eaux de surface

compromis technocratiques

1.6.6 Revolution Verte : les eaux souterraines au service de l’aménagement du territoire territoire

1.6.6.3 Les travaux de la commission Irrigation : les eaux souterraines doivent être mobilisées en complément des eaux de surface

En 1969, le gouvernement indien instaure une Commission Irrigation afin de mettre en discussion le développement des infrastructures d’irrigation dans le pays. Le pays est touché par les sécheresses consécutives et d’incessantes pénuries alimentaires : « Les conditions de sécheresses des quatre

dernières années dans certaines régions du pays, avec les pénuries de denrées alimentaires incessante76s, ont focalisé l’attention sur la nécessité de produire des infrastructures d’irrigation performantes ». Le mandat de la commission (terms of reference) tel qu’il est défini porte sur deux

points : l’impact de l’irrigation dans la productivité des terres depuis le début du siècle, et la mise en place de travaux d’irrigation dans les zones de sécheresse chroniques :

Mandat :

(1) revenir sur le développement de l’irrigation en Inde depuis 1903, date de la dernière constitution de commission dédiée au sujet, afin de comprendre le rôle des dispositifs dans la hausse de la productivité agricole et la protection contre les aléas des précipitations.

(2) examiner les équipements disponibles dans les zones de sécheresse chroniques et de d éficit alimentaire et dresser un programme pour la mise en place rapide d’ouvrages irrigants basiques et essentiels.

Les travaux de la commission statuent sur la nécessité de s’orienter vers une « exploitation maximale

des eaux de surface et souterraines » pour les deux prochains plans quinquennaux. Des chiffres sont

mobilisés : la superficie de terres irriguées a doublé depuis 1947, date d’Indépendance de l’Inde, évaluée à plus de 33 millions d’hectares pour l’année 1967-196877. Le rapport lie cette progression aux

76 Le rapport fait référence aux sécheresses des années agricoles 1963 -64, 1964-65, 1965-66, et 1966-67.

77On note une coquille dans les rapports de la Commission, qui évalue la part des terres irriguées en 1947 comme en 1960 à 28 millions d’hectares : “Since Independence, the gross irrigated area from major, medium and minor

126 investissements financiers pour les travaux d’irrigation dans le cadre du Quatrième Plan Quinquennal. Cette progression est jugée insuffisante face aux enjeux de déficit alimentaire et de sécheresse : 70 % des terres agricoles du pays dépendent des précipitations. Des pistes sont dégagées : entre un cinquième et un tiers seulement des terres irriguées le sont par des eaux souterraine s, ce qui laisse des marges de progression pour l’essor des forages individuels via des programmes de subvention et des politiques incitatives. Le rapport esquisse l’essentiel des caractéristiques hydro -sociales sur lequel s’adosse la Révolution Verte (récoltes pluriannuelles, semences à haut rendement, augmentation de l’usage des fertilisants).

Le rôle des eaux souterraines dans l’épisode de la Révolution Verte est si important que des économistes vont jusqu’à la qualifier de « révolution des puits tubés » (Repetto Robert, 1986). L’irrigation par eaux souterraine comporte plusieurs caractéristiques avantageuses : disponible à la demande, elle procure un sentiment de propriété et d’individualisation. Elle permet de répondre aux besoins des exploitations hors de portée des ouvrages d’irrigation de surface. Plus important pour l’administrateur, elle est entre 30 et 50 % plus productive que l’irrigation par canaux : « De nombreux

puits sont situés dans le périmètre des systèmes de canaux. Afin de corriger ces ma nquements et de favoriser l’expansion de l’irrigation, la commission suggère de remédier aux insuffisances des dispositifs d’irrigation au fil de l’eau par un usage accru des eaux souterraines ».

L’encouragement au développement de l’irrigation s’accompagne d’une augmentation de la part des eaux souterraines qu’il s’agit de susciter : « des soutiens financiers et techniques, notamment un

approvisionnement électrique, devraient être mis à disposition afin d’encourager les agriculteurs au forage de puits ouverts ou tubés ».

Deux agences, l’Agriculture Refinance Corporation et la Land Development Bank, injectent des capitaux dans les banques commerciales afin de financer les prêts agricoles contractés par les paysans pour leurs travaux de forage. Les bailleurs de fond internationaux participent eux aussi de cette tendance en conditionnant l’aide au développement à l’obligation pour les banques nationales de prêter aux agriculteurs. Cette mobilisation monétaire est évaluée pour le Quatrième Plan Quinquennal (1966-1971) à 1 353 crores78 de roupies indiennes, dont 253 d’investissement public, 650 des bailleurs de fond, et 450 mobilisés par les cultivateurs eux-mêmes.

Le Commissariat au Plan lance un rapport d’évaluation d’organisation79 sur l’irrigation par puits tubés et le développement des eaux souterraines. Les Programme Evaluation Organisation (PEO) constituent des analyses d’impact des politiques publiques mises en place par le gouvernement, avec participation

78Le crore est une unité indienne signifiant 10 millions.

79 Programme Evaluation Organisation (PEO). Ces enquêtes d’activité sont assurées par des institutions tierces (centre de recherche ou ONGs).

127 des instituts de recherche et des associations. Débuté en 1971, le rapport d’enquête est rendu en 197480.

L’enquête vise à évaluer l’augmentation du nombre de puits tubés et de leur productivité, les problèmes d’organisations éventuels, ainsi que leur rôle dans le développement de la disponibilité de la ressource. Elle cherche également à étudier la contribution du programme d’électrification rurale81. Portant sur huit États, l’enquête montre que l’exploitation des ressources souterraines a considérablement augmenté depuis le début du Quatrième Plan Quinque nnal sur l’ensemble des cas considérés (+48% au West Bengal ; + 503 % au Bihar). Sur la période étudiée (1966-1970), la part des zones irriguées par puits tubés devient majoritaire (60,1 %). Les autres apports en eaux souterraines le sont par puits équipés de pompes manuelles (5,7%) et 4,5 % par puits ouverts. 29,7% des zones irriguées considérées le sont par eaux de surface.

On retrouve des traces de ces politiques publiques incitatives dans les mémoires de Limaye, sous la forme d’une exagération : les pompes à eau, autrefois actionnées au diesel, sont désormais électriques. Grâce au programme d’électrification rurale (Rural Electrification Program) « même les

villages les plus reculés sont connectés au réseau électrique ». On peut évidemment douter de telles

affirmations : la connexion au réseau électrique est loin d’être achevée dans l’Inde rurale contemporaine.

1.6.6.4

. Nuances des politiques développementalistes

Les travaux de la commission introduisent une typologie d’irrigation par ordre de grandeu r. Les catégories irrigation majeure, irrigation moyenne, et irrigation mineure apparaissent ( major, medium et minor). Pour les deux premières catégories, les ressources financières ne doivent pas être déployées sur des projets non rentables. La dernière catégorie désigne les systèmes d’irrigation composés de réservoirs naturels (mares, étangs) et de puits.

La commission instaure explicitement une politique qualifiée de généreuse ( liberal), qui relaxe les taux d’emprunts pour le financement des équipements de tailles majeure et moyenne dans les régions sèches et peu développées. « Seuls quelques États […] ont été soucieux des besoins des zones sèches

et arriérées en déterminant des critères de financement pour les travaux de grande et moyenne envergure. Ces gouvernements ont fixé des seuils généreux dédiés aux équipements de petite

80‘’Study of Tubewell Irrigation and Groundwater Development Programme’’, PEO study n°89,

Government of India & UNESCO, 1974.

81Des tarifs concessionnaires en vigueur ayant contribué au déficit structurel des State Electricity

128

envergure tels que les réservoirs, les mares, les barrages de submersion, etc. ». « La commission soutient une politique généreuse pour les travaux d’irrigation dans les zones de sécheresse et recommande que le ratio coût/bénéfice soit revu à la baisse pour les travaux d’irrigation de grande et moyenne envergure. Afin d’encourager cette politique, les États doivent bénéficier de prêts à taux concessionnel, ou à moitié prix ».

L’irrigation par eaux souterraines, via la catégorisation d’« irrigation mineure », devient l’objet d’une série de programmes incitatifs. La commission donne en exemple à suivre l’État du Gujerat, qui réduit toute restriction budgétaire concernant les travaux d’irrigation de taille moyennes et mineures.

On pourrait croire que la tonalité générale des conclusions de la Commission Irrigation, via le label de « politique généreuse » ne considère pas la question de la disponibilité en eaux. Les zones de progression où les eaux souterraines doivent être encouragées ne le sont pas en complément d’une certaine disponibilité des masses d’eau disponibles, mais en fonction de leur pourcentage d’usage en rapport à l’utilisation des eaux de surface. Les besoins du moment orientent une politique de l’eau qui cherchent à atteindre des zones qui ne sont pas approvisionnées par l’irrigation de surface. On pourrait penser que des motifs tels que l’autosuffisance alimentaire ou la fin de la misère rurale tendent à laisser de côté la question du caractère durable des régimes d’irrigation. Une telle question n’est pourtant pas occultée dans le rapport de la Commission, qui considère la disponibilité de la ressource non seulement en termes de quantité mais aussi suivant les courbes de disponibilité au fil des saisons. La notion de de « durabilité » trouve dans le rapport un ancêtre syntaxique, l’ « usage judicieux » (judicious use of water) : « Une stratégie d’ensemble réussie pour l’agriculture devrait concilier besoins

hydriques des cultures et usage judicieux et économe des ressources en eau ».

1.6.6.5 La difficile reconnaissance de l’incertitude dans les travaux d’évaluation des

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