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coloniales croisées

1.5.1 Les centres de formation entre géologie et ingénierie

En 1955 paraît le décret qui permet aux Universités d’instaurer des formations spécialisées à vocation professionnelle. La même année a lieu l’intervention de l’intervention de Lafitte et Ricour au Congrès du Centenaire de la Société de l’Industrie Minérale. Devant une assemblée de hauts fonctionnaires, Lafitte et Ricour soulignent l’importance de concentrer les efforts de recherche minérale métropolitaine sur l’eau. La naissance disciplinaire des eaux souterraines a également lieu de manière concomitante au niveau des administrations de l’État, avec la création de structures dédiées à l’approfondissement des connaissances. Il en a résulté, en 1956, un article intitulé : « La recherche

minérale la plus importante de la France métropolitaine : l’eau – rôle de l’hydrogéologue », publié dans

la Revue de l’Industrie Minérale. L’article met en évidence l’augmentation des besoins en eau dans les grandes régions industrielles, la méconnaissance des questions hydrogéologiques, le manque de moyens financiers alloués. Il en conclut le rôle indispensable de l’hydrogéologue à la fois dans les efforts de prospection et de protection des nappes. Sur le plan administratif, cette publication précède la création la même année d’une Commission Nationale de l’eau55.

55A noter que le volume Histoire de l’Hydrogéologie Française attribue à cette communication et à sa publication subséquente un rôle moteur dans la création d’initiatives publiques : « un retentissement important dans le

domaine de l’eau » ; « [l]’impact dans les milieux administratifs et gouvernementaux fut considérable » (Ibid.,

pp.33-34). Cette intention de rédaction a été confirmée dans un entretien avec un des auteurs de l’ouvrage, après l’une de ses rencontres avec Jean Ricour lui ayant rappelé cet épisode. La généalogie de cette

100 L’année suivante se développent plusieurs centres de formations où s’estompe la dualité entre ingénierie hydraulique et géologie. Les formations croisent Science de la Terre et Sciences &Techniques de l’eau. Un Triangle se forme entre Paris, Bordeaux, et Montpellier, qui structure la recherche universitaire hydrogéologique sur plusieurs décennies. À Bordeaux, Henri Schoeller crée en 1956 le Certificat d’Hydrogéologie et de Géochimie, suivi du Centre d’Hydrogéologie en 1958. Sous sa direction jusqu’en 1969, le Centre produira 80 thèses de 3eme cycles d’ingénieur ou de Doctorat d’état. L’hydrogéologie devient une spécialité de troisième cycle, détachée de la Géologie. À la Sorbonne, on inaugure la même année le Diplôme d’Etudes Approfondies de Géologie Dynamique, sous la supervision de Glangeaud. Le DEA est divisé entre quatre parcours, qui prendront leur autonomie, notamment le DEA Hydrologie, Hydrogéologie et Géochimie des eaux. On y retrouve Gilbert Castany. La mise en place du DEA s’accompagne, sous l’impulsion du professeur Glangeaud, de la création du Centre de Recherches Géodynamiques (CRG) de Thonon-les-Bains, sur les bords du lac Léman. De 1960 jusqu’à sa fermeture en 2005, le CRG accueille les stages de terrain des formations d’étudiants de troisième cycle, issus des universités françaises ou internationales. On s’y forme à la cartographie, à l’hydrochimie de terrain, à la piézométrie. D’autres départements se créent à la même époque, autour des hydrogéologues de retour en Métropole. L’histoire de leur création est bien documentée : panégyriques des professeurs fondateurs et chroniques de ces lieux de mémoire se renforçant mutuellement. Aux pôles bordelais et parisien s’ajoute celui de Montpellier. Nommé Professeur des Universités à la Faculté des Sciences de Montpellier en 1956, Jacques Avias fonde deux ans plus tard le Centre d’Etudes et de Recherches Hydrogéologiques (CERH). On y dispense un enseignement de Troisième cycle, qui propose deux parcours d’option : l’un en hydrogéologie intitulé « Hydrogéologie, Géologie appliquée aux Travaux Publics »., l’autre en de Géologie structurale et Appliquée, c’est-à-dire destiné à l’étude des masses minérales comportant des métaux propres à l’exploitation.

reconstitution permet de mettre en avant un exemple de prise de parole de l’expert dans un cénacle administratif. Elle révèle également les effets de mise en récit par les acteurs et témoins de l’époque. L’épisode renvoie à une question fondamentale en sciences humaines : celle de l’importance que l’on donne aux idées énoncées dans le débat public et à leur causalité. Sont-elles décisives au point d’être à l’origine de nouvelles politiques, ou ne sont-elles que des adjuvants intellectuels venant à point pour légitimer des attentes qui ne sont pas encore formulées sous forme d’expertise mobilisable ? Le principe selon lequel les savoirs ne sont capables de transformer le monde qu’à la mesure de leur enrôlement dans des projets politiques déjà constitués, bien que rassurant sur le plan de la citation, ne fait que reporter à un autre niveau la question de la causalité en histoire.

101 Après le Centre d’Etudes et de recherches Hydrogéologiques (CERH) en 1958, Jacques Avias fonde la même année le Centre d’Etudes et de Recherches de la Géologie et de ses Applications (CERGA). Fondation sous association de loi 1901, le CERGA permet à un département universitaire de signer des contrats d’études avec des administrations et des entreprises. L’accord pe rmet d’obtenir des moyens financiers utilisés pour la recherche universitaire : acquisition d’appareils de mesure, recrutement technique, bourses étudiantes. Ce rapprochement entre université constituée en fondation et sociétés de droit privé à vocation extractive permet de gérer les moyens d’équipements nécessaires aux prospections de terrain. Le département de la Faculté dispose ainsi d’une certaine aisance matérielle. Via le CERGA, un laboratoire de chimie ainsi qu’un avion pour développer la télédétection étaient à disposition du CERH. Les accords passés entre le Recteur de l’Université de Montpellier et des sociétés de droit privé à vocation d’extraction minière.

Pour conforter les nouveaux enseignements de troisième cycle, des postes d’enseignement et de recherche sont ouverts au sein des départements des Sciences de la Terre. Les trajectoires de ces spécialistes vont promouvoir de nouvelles orientations disciplinaires. Ce développement va se faire au sein des trois lieux de recherche initiaux : Paris, Bordeaux, Montpellier, mais aussi par l’essor de la spécialité hydrogéologie au sein des départements de Géologie. L’effet de la stratégie de distinction dans les trajectoires individuelles est prépondérant dans ce phénomène : s’intéresser à une spécialisation permet d’assurer un débouché professionnel. On va assister au début des années 1960 aux premières multiplications des équipes de recherche en hydrogéologie

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1.5.1.2 Isotopes

Au début des années 1960, Glangeaud, accompagné des jeunes enseignants du DEA de Géodynamique appliquée de l’Université de Paris (Létolle, Fonte, Olive) sont à l’origine d’une nouvelle branche de la recherche, la géochimie isotopique. Le DEA de géologie appliqué introduit en 1965 l’enseignement de la géochimie isotopique : une école d’hydrologie isotopique se forme. L’université de Paris étant alors à l’étroit dans le bâtiment historique de la Sorbonne, il n’est pas possible de mener des expériences comportant des risques d’explosion. Après les événements de Mai 1968, le laboratoire de géologie dynamique s’installe à Jussieu en 1969. On y développe les techniques isotopiques en hydrogéologie : comptage au titrium dans les nappes libres, carbone 14 dans les nappes captives, isotopes stables de l’oxygène et de l’hydrogène de l’eau.

102 Au Centre d’Hydrogéologie créé par Henri Schoeller à Bordeaux, le Bassin d’Aquitaine constitue un objet d’études approprié au développement des recherches sur les eaux souterraines profondes et le géothermalisme. Température et géochimie sont les outils privilégiés par l’équipe. Schoeller avait lui-même publié dès 1955 l’ouvrage intitulé Géochimie des Eaux Souterraines. Les équipes bordelaises développent des domaines d’expertises connus du grand public : conservation des grottes de Lascaux, étude de la ressource thermo-minérale des sources de Dax. Pouchan développe les premières notions de paléohydrogéologie, destinée à l’étude des nappes profondes.

1.5.1.4 Hydrodynamique

La Direction Générale de la recherche Scientifique et Technique (DGRST) allouent des crédits à des programmes de recherche afin de mieux connaître les mécanismes d’alimentation et de comportement des eaux souterraines. Plusieurs organismes de recherche bénéficient de ses fonds destinés à l’étude des bassins à forte composante d’eau souterraine : le BRGM est sur le site de la Fontaine de Vaucluse.

Au CNRS, le laboratoire souterrain du Moulis avait été créé en 1948 sur impulsion de la section spéléologie du CNRS. D’abord d’orientation biologique, le laboratoire recrute des géologues afin de développer l’étude hydrogéologique du karst, notamment sur le site expérimental du Baget. Le CERG s’intéresse aux sources du Lez, et le CEMAGREF à Orgeval. Alors statique, l’hydrogéologie explore la mesure de paramètres hydrodynamiques.

En prévision de la hausse des besoins en capacités, l’ENSG ouvre un programme de formation en géotechnique et hydraulique, puis en hydraulique souterraine. La diversification progressive des sciences de la terre donne naissance à un cursus spécifique dédié au domaine de l’eau et de l’environnement, à côté de ceux consacré au génie civil ou à l’exploitation pétrolière. D’après Ramon et Ricour les cours consacrés à l’hydrogéologie à l’ENSG passent de quelques heures d’enseignement au début du XXe siècle à plus de deux cents heures pour les étudiants d’option. Au début des années 1960, les premiers manuels à l’usage des étudiants sont publiés. Schoeller écrit Les Eaux Souterraines en 1962. L’année suivante, Castany publie son Traité Pratique des Eaux Souterraines. Ces ouvrages permettent l’enseignement des fondamentaux sur une base homogène auprès des premiers cycles, attribuant ainsi à l’hydrogéologie un des privilèges réservés aux disciplines.

La préface du manuel de Schoeller comporte une incise intéressante concernant la définition de l’hydrogéologie à destination des plus jeunes : faussement descriptive, elle peut se lire comme une injonction normative, à dimension programmatique.

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« Les seules connaissances géologiques sont insuffisantes. Le géologue pour devenir hydrogéologue, a besoin de connaissances mathématiques, de physique, de chimie. Sinon, il ne peut ni expliquer les phénomènes, ni diriger efficacement les recherches, ni trouver des remèdes à l’épuisement possible des eaux souterraines. Par contre, l’ingénieur, lui, mathématicien et physicien, ne peut faire d’hydrogéologie sans une connaissance intelligente de la géologie. Cet ouvrage a été écrit dans l’intention d’aider les uns et les autres et peut-être de susciter des vocations. »

En écrivant que l’hydrogéologie nécessite l’usage de concepts étrangers à la géologie, l’auteur détache la spécialité de son socle disciplinaire. Dans un deuxième temps, souligner qu’une connaissance de la géologie reste fondamentale, malgré l’exigences d’interdisciplinarité, permet à l’hydrogéologue de conserver sa légitimité, tout en évitant un risque potentiel : celui que son domaine de connaissance soit phagocyté par les ingénieurs hydrauliciens

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