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les eaux souterraines ?

1.2 Milieu du XIX e siècle : la construction de la gouvernementalité par les sous-sols

1.2.3 L’invention de l’ingénieur

1.2.3.2 Darcy, Ingénieur Savant ?

Henry Darcy entre à Polytechnique en 1821, à l’école des Ponts et Chaussées en 1823. À sa sortie, il est affecté au département du Jura puis rapidement transféré à Dijon. La Révolution de 1848 le force à quitter la ville. Outre des activités de supervision de circonscription, il exerce un temps en qualité de directeur du service de l’eau et des pavages à Paris. Il retourne à Dijon en 1855 mais est déchargé de ses fonctions la même année pour raisons de santé. On lui laisse cependant la possibilité de poursuivre

52 ses recherches, bénéficiant pour cela de l’aide d’autres ingénieurs des Pons et Chaussées. Notamment Bazin, qui l’assiste dans ses travaux portant sur l’écoulement des eaux dans les canaux et les poursuivra après la mort de Darcy en 1858 (Zerner, 2011).

L’œuvre de Darcy est à la fois celle d’un ingénieur et d’un scientifique. Darcy n’est pas le plus célèbre des anciens élèves de Polytechnique de la première moitié du XIXe siècle à s’intéresser aux eaux souterraines (Belhoste & Chatzis, 2007). Moins connu que François Arago, son apport à la discipline demeure plus important. À l’origine des travaux de dérivation pour alimenter Dijon en eau potable, c’est dans cette ville que Darcy formule mathématiquement la loi d’hydrodynamique en milieu poreux qui porte son nom, à partir d’expérimentations sur la filtration. Dans son traité publié en 1856, Les

Fontaines publiques de la Ville de Dijon, Darcy démontre que la perte de charge est proportionnelle au

débit, et non, comme on le pensait communément, à sa racine carrée. Les travaux de Zerner nous permettent d’avoir une connaissance assez précise de la carrière de Darcy et de recherches : « la ville

de Dijon doit aussi à Darcy […] son système d’alimentation en eau. L’ingénieur a publié un livre monumental exposant les études qu’il a faites à cet effet, Les fontaines publiques de la ville de Dijon. C’est un ouvrage souvent cité, et sûrement beaucoup moins lu, par les ingénieurs d’aujourd’hui parce qu’on y trouve exposée pour la première fois la loi de Darcy. Celle-ci régit l’écoulement de l’eau à travers le sable, et plus généralement celui d’un fluide à travers un milieu poreux. Elle possède de multiples applications techniques, en hydraulique bien sûr, mais aussi pour l’extraction du pétrole ».

Appliquée dans des domaines variés sur des questions à enjeu symbolique fort tels que la gestion des risques, la loi de Darcy constitue un jalon important de l’hydrogéologie ; une séquence qui s’inscrit dans une chronologie faite de prédécesseurs et de successeurs, mais qui est interprétée également comme un moment de fondation de la discipline dans les temps où l’histoire est convoquée. C’e st le sens de la tenue d’un colloque international commémorant de façon conjointe les 150 ans de la découverte de Darcy avec les 50 ans de l’AIH comme la mise en équivalence de deux naissances : celle d’une théorie générale de l’hydrogéologie, et celle d’une collectivité d’hydrogéologues. Au-delà des dates et des noms, il s’effectue un investissement mémoriel sur l’une des figures jalonnant le récit des avancées de l’hydrogéologie. Les idées apparaissent, sont oubliées, reprises ou modifiées. Bien avant Darcy, Bernoulli (1738) et Poiseuille (1844) avaient démontré la loi d’écoulement permettant de calculer la perte de charge dans les conduites et tubes capillaires. Darcy connait ses auteurs (il les cite dans ses Recherches Expérimentales relatives au Mouvement de l’Eau dans les Tuyaux) mais il choisit cependant l’approche expérimentale afin de dimensionner un filtre à sable, sans se baser sur leurs travaux (Bobeck, 2007).

53 La notion d’ingénieur savant propose une grille de lecture des parcours et des œuvres (et leurs mutuelles “convolutions”)qu’il est intéressant d’appliquer à Darcy.Grattan Guinness décrit les activités de ces ingénieurs-savants : formés à la science pour résoudre des problèmes d’ingénierie, ils créent dans une circulation inverse de nouvelles branches de la science fondamentale en les nourrissant de leurs résultats de terrain. Cette heuristique va contre l’intuition que la science précède la technique, cette dernière n’étant que le produit d’ensemble des applications de la science. On peut p enser ainsi à l’observation des techniques de la première révolution industrielle (machine à vapeur de Watt, 1775), qui donnent naissance à ce qui s’appellera plus tard la thermodynamique. Dans ces cas précis la technique a précédé la science : on savait faire fonctionner une machine de Watt (avec du feu) avant que l’on ne comprenne les cycles de compression et la puissance motrice du feu.

Au XVIIIe siècle, une partie très descriptive de la physique comme l’étude de la chaleur et du feu est mathématisée par les ingénieurs-savants, situés entre théorie et pratiques. On retrouve ici une question classique de l’heuristique entre empirisme et déductions théoriques. Les méthodes des ingénieurs des Ponts et Chaussées étaient de nature empirique (Belhoste, 2007).Dans son étude consacrée à Darcy, Zener mentionne les écrits de son contemporain Saint-Venant, ingénieur, physicien et mathématicien, qui émet des réserves sur ces bases méthodologiques : l’emploi d’une formule

empirique, si on peut la faire concorder avec quelques faits isolés, est jugé trompeur, à même d’empêcher la recherche d’une formule plus générale. Ce point de vue, pour Zerner, est confirmé par

l’histoire des déductions de la loi de Darcy. L’ingénieur cherchait à vérifier expérimentalement une conclusion déjà tirée de travaux précédents portant sur l’écoulement de l’eau dans les tuyaux. Darcy cherche à fournir aux ingénieurs chargés des adductions d’eau un moyen fiable de calculer le débit en fonction de la perte de charge hydraulique. Nommé directeur du service des eaux et pavés de la ville de Paris, Darcy utilise les installations de la colline de Chaillot qui fournissaient une bonne partie de l’eau consommée à Paris. La mise en place des dispositifs nécessite des installations répétées de tuyauterie sur une centaine de mètres : expérience grandeur nature au service de l’action. Il étudie également deux autres questions : celle de la répartition des vitesses à l’intérieur des tuyaux, et la formule à utiliser pour les faibles vitesses, dédiée à l’analyse du comportement de l’eau dans le sol. Les écrits de Darcy montrent que l’auteur considère ces relations comme connues de manière empirique. Il en déduit mathématiquement la loi de l’écoulement de l’eau à travers les sables en 1856.

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1.2.4 L’institutionnalisation de l’hydrogéologie par les Lieux de Mémoire

1.2.4.1 La colonne de Darcy

Les travaux de Darcy ont bénéficié d’une certaine postérité, la relation linéaire entre le flux et le gradient de charge ayant été nommée de façon éponyme « Loi de Darcy ». Dans l’industrie pétrolière, le nom de l’ingénieur des Ponts et Chaussées, transmuté en Darce, représente ainsi le coefficient d’écoulement des fluides dans les matériaux poreux. L’expérimentation clé de Darcy, qui fait figure d’acte fondateur de l’hydrogéologie quantitative, est l’objet de nombreuses descriptions. Placée dans une arrière-cour dijonnaise, une colonne de 35 centimètres de diamètre, haute de 2,50 mètres, emplie de sable de la Saône, est équipée d’un dispositif permettant de moduler le niveau d’eau et l’épaisseur des granulés. L’importance donnée au contexte spatial constitue un objet d’étude à prendre en compte dans les rappels qui sont faits de cette découverte scientifique. Si l’ouvrage où Darcy rend compte de ses travaux est intitulé Les Fontaines Publiques de la Ville de Dijon, les écrits consacrés à Darcy s’attachent de façon étonnante à la dimension visuelle et locale de l’expérimentation. Inversement, les espaces sont saturés des pratiques scientifiques de l’Ingénieur, Dij on possédant en son centre l’immense place Darcy flanquée du jardin du même nom. La colonne d’expérimentation placée dans la cour de l’hôpital de Dijon, donne aussi une dimension patrimoniale à la loi de la filtration des sols, énoncée dans le contexte de plusieurs années de travail consacrées à l’hydraulique. Les travaux de Darcy ont marqué la physionomie de la ville, avec l’installation d’une borne -fontaine tous les cent mètres et les jets d’eau de la place Wilson. L’adduction d’eau de la source du Rosoir, conçue par l’ingénieur, est toujours en service aujourd’hui.

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1.2.4.2 Les puits artésiens : de l’abondance jaillissante des pionniers au mythe

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