• Aucun résultat trouvé

les eaux souterraines ?

1.1.4 Institution et Institutions de l’hydrogéologie

Centrale en sociologie, la notion d’institution possède des définitions multiples (Tournay, 2011). Nous retenons ici deux de ses acceptions. En premier lieu, institution au sens métonymique du terme. De façon générale, on considèrera comme institutions scientifiques l’ensemble des organisations ayant en charge le développement de la science au sens large : centres de recherche public ou privés, universités. Une deuxième définition considèrera la science elle -même, en tant qu’institution « dotée

42 de règles, de procédures, et d’usages stables pesant sur les croyances et les comport ements des acteurs sociaux » (Lagroye & Offerlé, 2010). La science est ainsi une institution qui permet la reproduction de pratiques stabilisées dans la durée, basées sur l’observation, l’explication des phénomènes et l’expérimentation.

Une pratique scientifique, dépendante des intérêts particuliers et du temps que des individus peuvent lui accorder, peut rester marginale, voire disparaître en même temps que les individus qui lui consacrent leur temps, sans mise en place de structure formelle permettant le développement d’une communauté scientifique nationale (Gingras, 1991). Les académies royales qui se développent en Europe au XVIIIe siècle, constituent ainsi une première étape vers l’institutionnalisation de la recherche scientifique, face aux universités dont la fonction n’est que la collation des diplômes, avant de devenir plus tard des centres de production du savoir, qui relèguera les Académies à un rôle d’appointement de l’élite scientifique. En tant que spécialité de la géologie, discipline scientif ique plus large, l’hydrogéologie, pour se développer, a été soutenue par plusieurs types d’institutions. Quelles ont été les institutions historiquement associées à la naissance de l’hydrogéologie ?

1.1.4.1 Un tournant scientifique : les pratiques d’analyses substantielles

L’historien Pickstone voit dans le tournant commun affectant les sciences et les techniques au XVIIIe siècle l’effet de nouvelles pratiques savantes qu’il qualifie de « pratiques analytiques substantielles », soit l’étude extensive des éléments (qu’ils soient sous forme organique, minérale, chimique, etc.) qui composent les objets étudiés. Ces pratiques analytiques substantielles se sont développées à partir de pratiques plus anciennes (l’histoire naturelle) voire existantes dès l’Antiquité, si on pense à l’artisanat et aux Mathématiques. C’est en revanche autour du XVIIIe siècle que ce type d’analyse en termes d’éléments substantiels devient courante (étude des tissus corporels, de la charge électro-statique, etc.). On étudie des phénomènes jusqu’à leur dénominateur commun le plus réduit : beaucoup de ces éléments substantiels sont nouveaux et chaque ensemble d’éléments peut constituer les prémisses d’une nouvelle science. Trouver les éléments fondamentaux, puis en comparer les structures permet de réviser les classifications précédentes. L’étude des tissus de corps malades permet de fonder une nouvelle classification des maladies, jusque-là connues et ordonnées suivant leurs symptômes. Suivant les travaux de Pickstone, le développement de la géologie participe de cette même révolution analytique : L’étude précise de la formation des roches, et plus précisément des fossiles, ouvre la possibilité de caractériser les strates géologiques, genèse de cette nouvelle science de la stratigraphie(Pickstone, 2000).

43

1.1.4.2Tempérament scientifique dans le contexte urbain et pratiques architecturales

Au début du XIXe siècle, les musées ne font pas que préserver et exposer : ce sont des lieux de production de sciences, dotés de professeurs plutôt que de conservateurs (Pestre, 2015). Les lieux permettent d’y disséquer des corps, décomposer les spécimens, étudier les collections. Ce sont les lieux d’essor pour les sciences analytiques et comparatives (zoologie, botanique, géologie).

Cette situation découle d’une mise en œuvre, après la Révolution Française, d’une partie du programme des Lumières de l’Encyclopédie par le biais de politiques « idéologiques, laïques et

nationalistes ». Le Jardin du Roi est transformé en créant un Muséum National d’Histoire Naturelle

dans le Jardin des Plantes. Le Muséum est relativement proche, sous sa forme, d’une université nationale d’Histoire Naturelle et de Chimie, combinant recherche, formation, et conférences de vulgarisation. Un musée industriel est créé au sein du CNAM, où sont employés des professeurs des Manufactures : recherche et pratiques s’irriguent mutuellement. La Révolution française détruit certaines formes académiques anciennes et génère de nouvelles légitimités au pouvoir. Financés par l’État, des professeurs titulaires, nommés sur compétences, donnent des cours fondés sur la rédaction de manuels universitaires. D’après l’auteur, ces installations françaises exercent une forte impression, notamment en Grande Bretagne, via une série d’échanges suivant les guerres napoléoniennes. Après visites et échanges diplomatiques, les institutions scientifiques et techniques parisiennes sont imitées à Londres : la Geological Survey est créé sur le modèle du Musée géologique : « l’importance du soutien

accordé à la géologie reflète la popularité de ce domaine de recherche de plein air tout autant que les préoccupations nationales concernant l’industrie minière14 ».

Après avoir transformé le Jardin du Roi en Muséum Nationale d’Histoire Naturelle, le pro fesseur-administrateur Lamarck forge en 1802 le terme d’hydrogéologie, dans une thèse éponyme dont le titre complet opère comme une définition : « Hydrogéologie ou recherche sur l’influence qu’ont les eaux sur

la surface du globe terrestre, sur les causes de l’existence du bassin des mers, de son déplacement et de son transport successif sur les différents points de la surface de ce globe ; enfin, sur les changements que les corps vivants exercent sur la nature et l’état de cette surface ». On voit que le sens conféré par

Lamarck à ce néologisme savant diffère de son acception contemporaine. L’hydrogéologie est initialement définie comme une démarche cognitive : le chapitre français de l’AIH dans son Histoire de

44

l’hydrogéologie française ne manque pas ainsi d’y voir un « acte de naissance aux fondements d’une science exacte et naturelle ». Elle consiste à rechercher l’influence des eaux sur la surface du globe. Le

terme est donc doublement inscrit dans les sciences de l’eau et de la terre . Il est intéressant de constater que la figure tutélaire d’un Lamarck, savant incontournable pour ses travaux en zoologie, ne soit pas que l’apanage d’hydrogéologues français, comme nous l’avons vu plus haut. Si Lamarck était biologiste, l’inscription de l’hydrogéologie dans les sciences de la Terre se poursuit. Via le rappel de figures tutélaires, les spécialistes des eaux souterraines évoquent un champ de connaissance dont la constitution progressive en spécialité, aujourd’hui acquise, fut consolidée par le croisement d’agendas multiples.

Outline

Documents relatifs