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Naissance du Central Groundwater Board : Rivalités ministérielles quant à la prérogative des ressources souterraines

compromis technocratiques

1.6.7 Naissance du Central Groundwater Board : Rivalités ministérielles quant à la prérogative des ressources souterraines

La frontière entre les prérogatives qui reviennent au GSI, et celles qui reviennent à l’ETO est poreuse, source de tension entre les deux organismes. Institution centenaire à l’ethos britannique, la GSI exerce la mission exploratoire des eaux souterraines à la manière des grands projets d’inventaire du sous -sol national. Crée en 1954 sous l’égide du Ministère à l’Agriculture et à l’Alimentation, la raison d’être de l’ETO est le développement rapide des ressources souterraines destinées à l’irrigation. Les missions

132 des deux organismes, selon la formule, pourraient être complémentaires ; elles deviennent antagonistes.

Les tensions entre les deux administrations, présentes dès la naissance de l’ETO, vont en s’amplifiant tout au long de la période, attisée par l’institut de coopération américain qui cherche à saper l’autorité de la GSI. Difficilement tenable d’un point de vue diplomatique par l’USGS, la politique d’hostilité est littéralement sous-traitée aux sociétés américaines de droit privée officiant en Inde. Les officiers de l’USGS se contenteront tout au plus de douter des résultats d’analyse géologique de la GSI, produits par une main d’œuvre locale jugée incompétente et inexpérimentée, ce ci en dépit des recrutements récents de la GSI.

Tout au long de l’All India Exploration Project, des instructions contraires seront émises entre officiers d’État et ingénieurs américains détachés. De manière chronique, le consortium Parsons adopte une ligne contradictoire, peu compatible avec la raison d’être de la GSI : le principe d’exploitation des gisements d’eau souterraines, jugé prioritaire, ne doit pas être interrompu par des considérations de recherche. Les forages de reconnaissance des strates géologiques et de composition hydrogéochimique, voire même des évaluations de rendement des aquifères du GSI sont interrompus, jugés peu pertinent pour le développement économique de l’exploitation des ressources hydrogéologiques. Ces tensions n’empêchent pas la découverte de réserves hydrogéologiques massives dans les plaines indo-gangétiques (Bihar, Uttar Pradesh), la vallée de la rivière Narmada plus à l’Ouest, dans la zone désertique de Jaisalmer au Rajasthan, et sur la face Est du pays (Orissa et Bengale). Le Punjab, véritable grenier à blé de l’Inde, est lui aussi considérablement doté en réserves souterraines.

Lorsque le projet Indo-américain prend fin en 1959, la poursuite des activités hydrogéologiques de la GSI devient incertaine. L’aboutissement du projet impacte l’organigramme maison : l’une des deux sections dédiées aux eaux souterraine, la Section Exploratoire des Eaux Souterraines ( Groundwater

Exploration Section), est définitivement fermée.

1.6.7.1 La GSI justifie sa raison d’être : projet de réalisation d’une carte

hydrogéologique de l’Inde

Afin de conserver son volet d’activité hydrogéologique,

la GSI cherche à renouveler l’agenda scientifique des prochaines décennies. Les exploitations rapides sur de larges portions du territoire, qui dirigeaient les activités de la décennie précédente, ne limitent pas l’horizon des possibles : elles

133 constituent une première étape vers des études de suivi de long terme des gisements découverts durant la décennie 1950. Les rapports d’activités de la décennie suivante témoignent de ce nouveau tournant. La GSI s’attellent à l’évaluation des ressources hydrogéologiques disponibles à l’irrigation, aux débits par mètre cube des principaux aquifères. Cette politique est cependant jugée “décousue” par Subramaniam82. Selon lui, son principal manquement est de ne pas anticiper la principale tendance des années à venir, à savoir le boom des puits individuels, encouragé par les administrateurs. Le jeu de rivalités entre GSI et ETO est réactivé en 1970 par les politiques menées par BB Vohra, Secrétaire à l’Agriculture. A la fin de la décennie 1960, le GSI compte une équipe de 100 hydrogéologues et chimistes, fonctionnaires de haute catégorie : un effectif qui a presque quadruplé depuis en 20 ans. Peu impressionné par cette progression Vohra développe l’argumentaire inverse : si le GSI poursuit ses activités d’inventaire à effectif et productivité constante, il ne faudrait pas loin de plusieurs déce nnies pour établir une cartographie complète des eaux souterraines du pays. On notera le caractère spécieux de l’argument, les inventaires géologiques et hydrogéologiques à l’échelle des puissances nationales, a fortiori de la taille de l’Inde, ayant nécessité parfois près d’un siècle (Grout, 1995).

Les enjeux de la polémique étaient de toute autre nature : Vohra défendait la centralisation de toute recherche hydrogéologique au sein de l’ETO, organisme sous égide de son propre Ministère. A une époque où les bailleurs internationaux investissaient massivement dans les activités de développement des ressources souterraines du pays, transformer l’ETO en unique point de contact s’avérait une stratégie hautement rémunératrice. Pour le Secrétaire à l’Agriculture, quel alma mundi, ne pouvait accueillir la structure dédiée à ces eaux cachées, si ce n’était son propre Ministère ? Vohra appela ainsi de ses vœux la création d’une nouvelle structure spécialisée sous égide du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, pour « la simple raison que l’agriculture, est la principale bénéficiaire

des eaux souterraines, et donc le domaine le plus concerné par leur développement 83».

Les archives de l’USGS qui reviennent elles aussi sur cet épisode présentent une vision lég èrement différente de la nouvelle organisation. La création du Central Groundwater Board en octobre 1970 n’y est pas décrite comme une transition directe depuis l’ETO, mais comme une organisation chapeautée par une direction collégiale tripartite : la Carte Géologique de l’Inde (GSI), la Commission Centrale de l’Energie Hydraulique (Central Water Power Commission), et le Département Indien de Météorologie (Indian Meteorological Department). Ses institutions, dont les employés sont des fonctionnaires titulaires, permettent via un système de mise à disposition, d’envoyer une partie de leurs équipes prendre des fonctions au sein du CGWB. Les équipes techniques de l’ETO, après dissolution de

82“the GSI’s approach was somewhat desultory”

134 l’organisation, sont quant à elles absorbées en totalité par la nouvelle organisation. Ces transferts de compétences permettent de développer les études d’hydrologie de surface et de météorologie liées aux eaux souterraines. La croissance du CGWB prend deux modes opératoires : construction d’antennes régionales, ou absorption des structures existantes.

En 1972, la section dédiée aux études hydrogéologiques de la GSI est supprimée, mettant fin à plusieurs décennies de recherche sur les eaux souterraines au sein de l’organisme. Les anciennes équipes sont intégrées à la nouvelle structure, dans un organigramme dont la raison d’être n’est plus l’inventaire du sous-sol mais l’évaluation des ressources, l’exploration et le développement de l’irrigation agricole. Une rivalité peut en cacher une autre : le rapport de la Commission Irrigation s’exprimait négativement en faveur de cette possibilité de nouvel agencement : « la prospection et la

cartographie des eaux souterraines était une responsabilité de la GSI. Récemment, décision a été prise de transférer la division en charge de ces activités au sein du CGWB. La Commission recommande qu’une cette décision soit reconsidérée et que la GSI puisse poursuivre de telles fonctions84.

1.6.7.2 Inventaire et extraction : un mariage de raison dont le secteur agraire

est le principal bénéficiaire

La GSI et l’ETO, qui jusque-là avaient fonctionné indépendamment, fusionnent pour constituer une seule entité : le Central Groundwater Board (CGWB), dédié selon son administrateur à l’exploitation systématique des ressources souterraines ». L’organigramme comporte un schéma centralisé, composé de trois ailes : administrative, ingénierie, géohydrologie, qui se déploient sur le territoire via des bureaux régionaux.

Si l’Exploratory Tubewell Organisation s’était chargée pendant presque 20 ans de la prospection hydrogéologique, le CGWB continue d’effectuer des forages exploratoires. Dans ce mariage de raison, le nouvel organisme semple réconcilier objectifs d’extraction et d’évaluation des ressources sur site afin d’établir un ratio d’exploitation sans dangerosité : les expressions de « safe pumping » et « safe yield » apparaissent dans le cahier de charge de l’établissement public.

Instaurant une demande en main d’œuvre technique et ingénieurs cadres, la création du CGWB propose des débouchés par voie de concours aux diplômés (graduates) en ingénierie géologique. Le

84“The Commission recommends that the decision may be reviewed and the GSI allowed to continue to do this work”.

135 nombre d’universités ouvrant des programmes relatifs aux eaux souterraines, ainsi qu’une estimation des diplômés sur la période, demeure difficile. La création du CGWB n’en suscite pas moins l’intensification et la coordination de recherches, rencontres scientifiques et autres séminaires.

Les thématiques demeurent à majorité quantitative, à vocation opératoire (l’organisme produit des modélisations d’aquifères suivant les entrées et sorties de nappe, les différentes techniques d’augmentation de la recharge). Mais les problématiques suivant la qualité de l’eau, les pollutions naturelles et humaine apparaissent dans les enquêtes de terrains. Le CGWB ouvre des antennes régionales (State Groundwater Board ou State Unit), qui favorisent les recherches orientées suivant des problèmes précis. Dans le volet des « problem-oriented works », on compte la salinisation et l’engorgement des sols.

1.6.7.3 Des services publics et privés d’assistance au forage très lucratifs

L’initiative de centralisation des budgets et des initiatives de développement des eaux souterraines par le Ministère de l’Agriculture n’était pas sans compter sur les forces d’un tissu régional administratif déjà développé. Dès le milieu des années 1960, l’essor de l’utilisation des eaux souterraines et de l’irrigation (plus de 1 250 000 puits tubés lors du Quatrième Plan Quinquennal) appelle à des efforts organisationnels de même ampleur. La création d’un tissu administrative est ambivalente. Face aux enjeux de surexploitation, la Conférences des Commissaires de la Production Agricole recommande l’instauration d’une législation (Model Bill), à émuler par les États régionaux, afin de contrôler et réguler l’exploitation de plus en plus importante des eaux souterraines. La question hydrogéologique constitue une opportunité pour les États Régionaux de ne plus se contenter de programmes ponctuels, mais d’avoir des actions pérennes et avalisées par les bailleurs de fonds. A la fin des années 1960, la plupart des États de l’Union Indienne ont renforcé leur appareil administratif, et disposent de State

Level Groundwater Departement, cellules incluses dans les sections d’ingénierie agricole, et dans une

moindre mesure dans les départements de Travaux Publics (Public Work Department). A l’échelle des États régionaux, ces institutions fournissent une assistance pour les exploitations agricoles. Les problématiques concernent essentiellement les enjeux de la petite irrigation, qui bénéficie de taux de financement très libéraux et de service d’accompagnements.

La Commission Irrigation suggère que les activités d’exploitation des eaux souterraines soient dévolues à deux entités distinctes : elle suit en cela une organisation présente dans les États régionaux du Nord, qu’elle invite les grands États du sud de la péninsule à émuler. Les départements d’irrigation auront la

136 charge du volet de planification, d’opération et maintenance des grands équipements public d’extraction. Les départements d’ingénierie agricole quant à eux, auront la charge du creusement et du forage des puits peu profonds.

Fortement sollicités, ces services ne peuvent répondre aux demandes des petits exploitants cherchent à s’équiper de puits. Cette situation permet à des techniciens bénéficiant d’une expérience au sein des départements publics de fonder leur propre entreprise, sur un marché où la demande dépasse l’offre. L’exemple de Limaye constitue, sur deux générations, une illustration de ces trajectoires entrepreneuriales entre administration publique et structure personnelle. L’entreprise G urnam Singh & Company figure aussi dans cette catégorie. Foreur indépendant dans sa jeunesse, Singh rejoint l’ETO où il exerce dans différents endroits du pays, et s’initie aux forages profonds pendant une dizaine d’années. Il s’engage ensuite dans la compagnie nationale des charbonnages (National Coal

Development Corporation) : un pas de côté dévoilant la porosité entre techniques de forages minières

et hydrogéologiques. En 1970, Singh achète d’occasion une foreuse rotative et s’installe à la veille de la Révolution Verte au Punjab, région fertile de l’Inde fortement dépendante de l’irrigation souterraine. Structure de capitalisme familial, la compagnie a creusé en 40 ans plus de 50 000 puits. De mono-entrepreneuriale, la Gurnam Singh & Company un groupe prestataire de service pour des départements agricoles des États régionaux, les industries, ainsi que la Banque Mondiale (450 puits tubés installés au Bengale à la demande de l’institution).

Les trajectoires de carrière de ces hommes œuvrant dans des domaines techniques est également un sujet d’intérêt pour la Commission. Empruntant bien des aspects de l’administration britannique de l’époque coloniale, les ressources humaines de la fonction publique indienne tendent à réserver les postes à responsabilité aux profils dits généralistes, au détriment des profils techniques et spécialistes dont les possibilités de promotion sont fortement limitées. Cette tendance générale, encore visible dans l’esprit de certains concours de la haute fonction publique indienne , est fortement contestée au sein de la fonction publique dans les années 1960.

Dans cette optique, la commission suggère l’ouverture de postes de directeur ou secrétaire adjoint au Département d’Irrigation à des profils d’ingénieurs (considérés comme des spécialistes), jusque-là réservés à des profils d’administrateurs généralistes : « the Commission is of the opinion that in the

appointment of the Secretary, Union Ministry of Irrigation & Power and Secretaries to the State Irrigation Departments, technocratsshouldbetreated at par withgeneralists ». On note ici l’expression

de « technocrats » qui pourrait induire en erreur en étant compris comme « technocrate », figure de l’administrateur expert polyvalent. Mais la phrase exprimant le souhait que ces derniers soient traités

137 sur un même pied d’égalité que les profils généralistes indique bien que « technocrats » se réfère ici à « technicien ».

1.6.8 D’un Ministère à un autre : extension des prérogatives et organisation par

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