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coloniales croisées

1.4.4 Les rivalités entre GSI et ETO : le tournant agraire de la question hydrogéologique hydrogéologique

Les travaux réalisés tout au long de la décennie, d’une grande envergure, impliquent des réagencements des départements en charge des opérations et un recrutement inédit de personnel. Ces transformations, a priori anecdotiques, témoignent du nouveau régime d’utilisation des eaux souterraines. Sujet d’études des administrations à vocation minière, l’exploration hydrogéologique devient progressivement un chantier pris en charge à des fins de développement agraire.

En 1945, le Geological Survey of India comptait cinq officiers au sein de la nouvelle section d’Ingénierie Géologique et des Eaux Souterraines (Engineering Geology and Groundwater Section). Durant les discussions préliminaires avec l’USGS, une nouvelle section est créée. Distincte de la première, La Section d’Exploration des Eaux Souterraines (Groundwater Exploration Section) est chargée d’apporter un soutien technique de sélection des sites destinés aux forages. Une autre de ses fonctions consiste à l’enregistrement des strates géologiques identifiées lors des enquêtes de terrain. La section compte une trentaine d’employés, cadres et techniciens. Si le recrutement compte une majorité de géologues (24 d’après Subramaniam), y figurent également 3 chimistes, un géophysicien, et une dizaine de techniciens et d’assistants chargés des enquêtes de terrain utilisant des méthodes de résistivité électrique visant à identifier la présence d’eau et la nature des strates du sous-sol.

Cette transformation dans l’organigramme de la GSI, certes notable, ne réduit pas à elle seule les enjeux de transformation institutionnelle qui se jouent entre Ministères. Sous les auspices de l’accord bilatéral indo-américain, le Ministère de l’Agriculture fonde en 1953 un nouvel organisme,

36Le Patiala and East Punjab State Union (PEPSU) était une éphémère coalition de petits royaumes constitués en État de l’Union Indienne, dissoute et intégrée ensuite aux États limitrophes (Penjab, Haryana, Himachal Pradesh) en 1956.

77 l’Exploratory Tubewell Association (ETO), dans le but de se doter à son tour d’une section à même d’entreprendre les recherches locales de ressources hydrogéologiques. Un partage des tâches s’instaure. Sous le patronage de son homologue américain, la GSI sélectionne les sites de prospection, collecte, analyse, interprète, et reporte les données obtenues. À charge pour l’ETO d’effectuer les forages et la construction des installations.

1.4.4.1 Tensions entre partenaires autour d’un ‘projet éléphantesque’ : explorations rapides

ou inventaire ?

À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’ingénieur Ralph M. Parsons crée une agence d’ingénieur-conseil à Los Angeles. La toute jeune entreprise parvient à obtenir un appel d’offre commandité par l’ETO. Dans les couloirs de la Parsons Corporation, on s’active sur ce qui a été surnommé le Projet

Eléphant. Cette vaste opération mêlant ingénierie et logistique complexe ne sera pas sans présenter

des goulots d’étranglements. Dans le cadre du contrat, l’ETO importait depuis les USA une quinzaine de foreuses. Les camions destinés à rendre les foreuses mobiles furent cependant livrés entièrement démontés, afin d’économiser sur les droits de douane. L’entreprise avec laquelle avait été passé un contrat d’assemblage, dont l’expérience ne portait que sur les véhicules de poids légers, ne fit qu’ajouter aux aléas techniques de cette expérience de coopération internationale. Les pompes étaient acheminées avec retard, et les protocoles de maintenance étaient difficiles à respecter dans un calendrier désorganisé. Les dommages et pertes matérielles, provoqués par des erreurs élémentaires (oubli de lubrifier des pièces métalliques, de remplir d’eau un radiateur) auraient pu être aisément évitées.

Subramaniam revient sur les rationalisations a posteriori données par la Parsons Company pour justifier ces avaries matérielles. Selon l’entreprise, les causes profondes résidaient dans la nature de l’ETO. Selon les Américains, cette structure indienne est développée à la manière d’une entreprise de Travaux Publics, à la mentalité d’employés de service technique. Le point de vue est évidemment condescendant : on estime les employés indiens incapables d’orchestrer des entreprises exploratoires nécessitant des prises de décision immédiate sur le terrain. Les errances dans la chaîne d’information, en plus des retards, aboutirent d’après la compagnie à la perte d’un nombre de forages (creusés mais pas encore protégés par caisson de protection) difficilement estimable (Subramaniam, 2017).

Le récit des plaintes de l’entreprise sous-traitante du programme de coopération américain relevées par Subramaniam constitue un jeu de transfert de responsabilités dans les problèmes techniques

78 rencontrés classique des chantiers mobilisant plusieurs opérateurs. L’auteur fait mention de plaintes de la compagnie américaine vis-à-vis de la GSI : les employés de l’organisme indien sont jugés mal formés, leurs recherches menant à des relevés erronés.

G. C. Taylor, ingénieur en mission pour l’USGS, déjà mentionné plus haut, forme au sein de l’ETO des géologues locaux pour le département de géologie appliquée (Engineering Geology), puis pour le département de prospection hydrogéologique (Groundwater Exploration Section) : les objectifs de formation portent sur l’inventaire des points de forage, le suivi des forages exploratoires pour les agences de coopération, le relevé piézométrique, et les analyses de qualité. Un autre volet de formation porte sur le travail de bureau : compilation des données et préparation à la publication des rapports. Il souligne le peu de cas fait des études préalables : « dans la plupart des cas, on ne produisait

que des analyses sommaires sans cadre formel. Bien souvent, les projets étaient conçus au cas par cas, et mis à exécution sans étude de faisabilité ».

Les archives montrent une situation d’agendas conflictuels entre la GSI, autorité tutélaire du sous-sol indien avec une histoire indo-britannique, et les nouveaux arrivants américains, mobilisés par le volet d’autonomie agraire indienne, condition première des aides au développement. Les sous -traitants américains du projet d’exploration des ressources hydrogéologiques se déclarent en porte-à-faux avec le GSI, jugé se consacrer à des forages exploratoires « sans visée immédiate avec la production de

ressources économiques en eaux souterraines ». Là où une zone d’exploitation des eaux souterraines

est découverte, utilisant l’expression de « “economic supplies of groundwater”, les entreprises se plaignent auprès de l’organisme américain de coopération que le GSI souhaite poursuivre des études de productivité des puits et des aquifères. Les injonctions contradictoires s’échangent, mais les travaux se poursuivent.

1.4.4.2 Inventaire ou exploration à visée productive ? La géologie indienne

tranche sur un compromis

De 1953 à 1959, l’All India Groundwater Exploration est actif dans les zones côtières et les plaines alluviales du territoire. Chaterji affirme que près de 1,5 millions de mètre carrés seraient quadrillés durant la période, sujets à des forages de reconnaissance dans les bassins sédimentaires et les aquifères côtiers. L’ETO visait à une série de forages exploratoires dont l’objet concerne le potentiel hydrogéologique des territoires. L’entreprise demeure liée à une géologie complexe. À peu près 54% du territoire est composé de couches géologiques que l’on nomme « région de socle » dans le jargon

79 géologique courant. Un terme générique qui peut s’appliquer aux roches magmatiques ou métamorphiques de faible porosité (granites, basaltes, schistes et gneiss). L’eau souterraine présente dans ces roches ne permet qu’une productivité faible des ouvrages de pompages, et des variations de rendement sur de faibles distances (Mukherjee & al., 2015). Les notes rétrospectives de Chaterji, Directeur Général de la GSI reviennent sur l’effort d’inventaire des ressources fourni durant la décennie 1950 montrent que les régions de socle constituent un domaine méconnu, dont le potentiel de développement est jugé hasardeux : « On peut diviser l’Inde entre trois catégories géohydrologiques

distinctes : les zones himalayennes ; les plaines alluviales des fleuves Indus et Gange ; le manteau péninsulaire, avec ses ceintures côtières étroites. La présence d’eau souterraine est contrôlée par des ères géologiques et structurelles qui ont évolué au fil de phénomènes géologiques et tectoniques complexes. Les plaines alluviales présentes dans les dépressions ainsi que les zones côtières comportent des aquifères sur lesquels ont prospérés des sociétés agricoles pendant plusieurs siècles […] La ceinture himalayenne et le manteau péninsulaire qui constituent les trois quarts du territoire, sont constitués de roches dures et consolidées. La présence et la circulation des eaux souterraines dans ces roches est suit l’existence des zones de faille. Le potentiel d’exploitation à grande échelle des eaux contenues dans ces structures géologiques dépend du hasard37. Généralement, les roches crystallines présentent une perméabilité et des capacités de réservoir faibles. Les bassins paléo-mesozoïques du manteau péninsulaire, en particulier le haut paléozoïque et le jurassique, contiennent cependant des zones de failles prometteuses ».

À la fin de la décennie 1950, on ignore encore l’hydrogéologie des grands types topographiques du pays. Pour toute la période du premier plan quinquennal (1951-1956) les efforts d’inventaire concernent essentiellement les plaines alluviales sédimentaires. Ainsi, les 350 forages exploratoires se concentrent sur les bassins fluviaux : Sindh, Gange, Brahmapoutre, Narmada, Tapti et Purna. Certains espaces sont laissés à l’abandon, la conjoncture politique (fin des politiques coloniales de Comptoirs commerciaux européens) ou les conflits réduisant l’accès aux territoires : Jammu et Cachemire, Pondichéry, ainsi que les territoires du Nord-Est (Nagaland, Tripura, Manipur). Le compte-rendu d’inventaire affirme que « la majorité des zones alluviales sédimentaires non consolidés ou

semi-consolidés a été prise en compte » sur des structures géologiques allant du « Jurassique aux époques

plus récentes » et que les études « font état d’importantes réserves d’eau jusqu’à une profondeur de

457 mètres » (Chatterjee, 1969).

37 “The possibilities of large-scale withdrawal of groundwater from these formations largely depend on chance”

80 L’ETO produit une liste des zones explorées avérées productives pour le développement à large échelle des eaux souterraines par forages intensifs lors de la phase d’inventaire de 1953-1959. Une liste des zones à haut potentiel de développement de la ressource est délimitée.

Lors du premier plan quinquennal (1951-1956), la Commission au Plan sélectionne les plaines alluviales du Nord de l’Inde (Uttar Pradesh, Gujerat), le bassin de la rivière Krishna à l’Ouest (Maharashtra, Karnataka) ainsi que des régions semi-désertiques (Rajasthan) pour des projets d’irrigation intensive. Les projets bénéficient de la coopération technique des États-Unis au Rajasthan, du Canada au Karnataka, de la Suède au Kerala (bassin de la rivière Ponnani), des Pays-Bas au Bihar (bassin de la rivière Betwa).

Le deuxième plan quinquennal (1956-1961) fournit une évaluation plus systématique des bassins, suivant une échelle à plus long terme, bénéficiant des crédits multilatéraux alloués dans le cadre de la Décennie Hydrologique Internationale. Les études couvrent de 1956 à 1961 un total de 66 régions, sur une surface de 70 000 lan2. À cette époque, la couverture de nouveaux territoires explorés s’élève à 940 km2 par an. La liste des aires explorées à fort potentiel d’extraction s’allonge de nouvelles zones fluviales : plaine gangétique (Uttar Pradesh), vallée de la rivière Son (Bihar), Piémont et vallée du Bengale, bassin de la Narmada, de la Tapti (Madhya Pradesh). Sont incluses d’autres formations d’origine alluvionnaire des régions semi-arides au Punjab et en Haryana. Les zones côtières sont également prises en considération à l’Ouest (Kerala, Gujerat) ainsi qu’à l’Est (Madras, Orissa). Des zones moins accessibles sont explorées sur les contreforts montagneux (Jammu et Cachemire).

Cette phase d’inventaire constitue un moment de développement de l’usage des outils géophysiques ; la formation d’une classe de spécialistes à-même de poursuivre l’inventaire des ressources suscite l’apparition de nouveaux centres d’enseignement et de production de connaissances.

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