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compromis technocratiques

1.6.5 Les applications administratives de la modélisation prévisionnelle

Le développement technologique des outils de modélisation s’articule à celui des données administratives qui sont de plus en plus centralisées. Le déploiement du potentiel technologique aussi bien qu’administratif de la modélisation opère dans une séquence temporelle relativement courte. Dans la décennie 1970, l’intégration progressive de la modélisation dans les processus administratifs conduit à des effets performatifs majeurs : sur le plan de la nomenclature administrative d’une part, mais aussi sur ceux de la planification et la réglementation des pompages.

1.6.5.1 Référentiel Hydrogéologique : révisions constantes de la codification

des systèmes aquifères à des fins de gestion

Les modèles hydrogéologiques donnent lieu à une nouvelle nomenclature, dans le cadre de la démarche nationale 1976-1979 pour l’étude des conditions hydrogéologiques du pays. La démarche se base sur le principe de délimitation des systèmes aquifères. Forgé par Jean Margat, ce concept définit « un domaine hydrogéologique dont toutes les parties sont en liaison hydraulique et qui est

circonscrit par des limites faisant obstacle à toute propagation d'influence appréciable vers l'extérieur70».

Cette notion se substitue à celles de nappes ou de réservoirs aquifères, dé finies de manière trop vague ou trop exclusivement par rapport aux structures géologiques et à la stratigraphie. Les critères d’identification présentent également une prise en compte accrue de l’échelle de travail. Une autre définition du Référentiel Hydrogéologique souligne la dimension d’action dans la définition du système aquifère : « système physique fini et défini dans lequel les réactions à des actions projetées sont ainsi

prévisibles, localisables et quantifiables. C’est donc le cadre spatial logique et de l’évaluation et de la gestion des eaux souterraines ».

69Jardin, P., Canaleta, B., Fourny., Ibid., p. 137

120 Le système aquifère peut ainsi être défini comme un système hydraulique avec vocation de gestion des ressources. Durant ces années, les systèmes aquifères sont identifiés à l’échelle 1/500 000, puis représenté au 1/1 00 000 à l’échelle nationale. En 1980, le BRGM publie La carte hydrogéologique de

la France : Systèmes Aquifères, suivant l’échelle du millionième.

Cette publication introduit l’utilisation de la nomenclature dite des Codes Margat. Ces codes servent de base pour la détermination du référentiel hydrogéologique. Ils inspirent l’identification des masses d’eau dans le cadre de la Directive Européenne au début des années 2000. La première version de la Base de Données sur le Référentiel Hydrogéologique Français (BD RHF) était basée sur un code dit signifiant. Composé de trois chiffres, l’identifiant utilisé correspond à une plage signifiante, qui indique la nature de l’entité hydrogéologique71. La carte des principaux systèmes aquifères est suivie dans les années 1980 des identifications régionales : bassin Rhône-Méditerranée à échelle 1/250 000 ; bassin

Loire-Bretagne au 1/100 000 en 1983.

La précision des échelles suscite un abandon de la classification Margat telle qu’établie en 1979. Jugée pertinente à l’échelle du millionième, elle est critiquée pour sa perte de précision : les échelles plus réduites nécessitent la prise en compte de phénomènes locaux.

Au milieu des années 1990, le passage du Référentiel Hydrogéologique à cette échelle plus réduite : celle du 1/50 000. La Commission Supérieure de Codification ayant acté la conservation de la codification existante, l’enregistrement des masses d’eau s’effectue en conservant les Codes Margat, mais aux trois chiffres de la classification initiale est ajouté un quatrième caractère, indexé sur délimitation des unités à échelle 1/50 000.

La conservation de la nomenclature n’est donc qu’apparente. Les rapports portant sur la transformation précisent que le Code Margat est conservé « mais sans qu’il demeure signifiant comme

à l’origine ». Ou bien que « la codification Margat devient une numérotation insignifiante ». Les

occurrences du champ lexical de l’insignifiance jouent pour le lecteur sur le double registre de sens : décorrélation de la nomenclature avec ce qui est perçu comme une réalité physique qui ne serait pas prise en compte, mais aussi absence de pertinence. Entre les lignes se joue une autre réalité, cette fois administrative, répondant à l’introduction d’une logique de classement informatique : « il est toutefois

dorénavant admis que [sic] qu’elle devenait insignifiante dans la mesure où la classification typologique

71 Nomenclature ci-après :

001 à 199 : grands systèmes aquifères à nappe essentiellement libre 201 à 299 : grands systèmes aquifères captifs

301 à 499 : zones alluviales dans les domaines sans grand système aquifère individualisé 501 à 599 : domaines sans grand système aquifère individualisé, en terrains sédimentaires 601 à 699 : domaines sans grand système individualisé, en terrains de socle.

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à laquelle elle fait référence ne se justifie plus dès lors que sont mis en place des systèmes d’information structurés en base de données, ce qui est bien l’objectif des Agences Banques de l’eau72.

La révision du BD RHF qui s’ensuit induit une standardisation des systèmes aquifères au niveau de leur représentation, qui s’effectuait dans une traduction de l’échelle 1/ 500 000 au 1/1 100 000 sans harmonisation au niveau des agences. Elle acte aussi la suppression de l’enregistrement des unités dites de « domaine hydrogéologique ». Ce concept complémentaire définissait par défaut un territoire géographique conçu pour indexer les données hydrogéologiques hors système aquifère. Dans la version révisée du référentiel, seuls les systèmes aquifères sont pris en compte.

Le découpage retenu, sur la base de critères géologiques et le comportement hydrodynamique a vocation à la stabilité et à la durabilité ; le redécoupage des entités pour tenir compte des effets des pressions anthropiques est limitée à certains seuils (les captages fournissant plus de 10 m3/jour d’eau, ou utilisés pour l’alimentation en eau de plus de 50 personnes sont inclus dans l’unité hydrogéologique. La vocation de gestion de ressources oriente cependant la nomenclature des systèmes hydrauliques, excluant les entités sur lesquelles ne s’effectue aucun prélèvement. On retrouve ce parti-pris dans la Directive Cadre Européenne sur l’Eau (DCE) au début des années 2000 : « les eaux souterraines profondes, sans lien avec les cours d’eau et les écosystèmes de surface, dans

lesquelles il ne s’effectue aucun prélèvement et qui ne sont pas susceptibles d’être utilisées p our l’eau potable en raison de leur qualité (salinité, température…), ou pour des motifs technico-économiques (coût du captage disproportionné) peuvent ne pas constituer des masses d’eau73».

La délimitation des unités hydrogéologiques se fait à échelle plus réduite, suivant celle adoptée pour la couverture géologique de référence du BRGM : « Elle est dix fois supérieure (en longueur) et 100 fois

supérieure (en surface) à l’échelle utilisée antérieurement (1/500 000 restitué au 1/1 000 000 par J. Margat) ». La réduction de la focale permet d’inclure les données ponctuelles (forages, ouvrages

d’exploitation et de rejet) identifiées par coordonnées kilométriques, et visualisables au 1/50 000 sur le fonds de l’Institut Géographique National (IGN). Il s’agit d’utiliser une échelle de travail « compatible

avec les objectifs d’évaluation et de gestion des ressources en eau au niveau des préoccupations d’une échelle de bassin 74 ».

72Ibid., p. 8.

73Mise en Œuvre de la DCE. Identification et délimitation des masses d’eau souterraine. Guide méthodologique. BRGM/RP 52266, Janvier 2003, p. 11.

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1.6.5.2 Modèles et Schémas Directeurs

Sur le plan de la gestion, les modèles ont des applications multiples, portant sur des aspects qualitatifs et quantitatifs. Elles servent à l’édification des plans d’alerte et de protection contre les pollutions accidentelles. Elles peuvent être dédiées à l’évaluation du potentiel des ressources et du débit d’exploitation. Pour le BRGM, les modèles couplés MARTHE (modèle nappe/rivière) et GARDENIA (modèle global à réservoir pluie/débit) permettent la prévision des niveaux piézométriques des nappes à moyen terme. L’emploi administratif de la modélisation est essentiel dans la décennie 1990, avec l’établissement des Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Exploitation (SDAGE). L’étude des corrélations entre niveaux de nappe et débit global d’exploitation est utilisée pour fixer des seuils de prélèvements à ne pas dépasser, qui servent ensuite de support à la réglementation. On les retrouve dans la décennie 2000 pour les nappes ayant fait plus tard l’objet d’un contrat de nappe.

Le rôle instrumental de la modélisation dans la réglementation trouve ses racines dans la fin de la décennie 1970. Trois années de sécheresses consécutives inquiètent les pouvoirs publics, qui tournent leur attention sur les eaux souterraines et leur potentiel compensatoire. Le ministère chargé de l’Environnement sollicite le BRGM et les DIREN (anciennes DREAL) pour obtenir un état des lieux des ressources. À l’échelon départemental, les préfectures mettent en place des Comités Sécheresses. Des mesures de restriction des usages peuvent y être définies, avec consultation des hydrogéologues du BRGM. Des modèles de calcul prévisionnel sont établis spécifiquement à cet effet dans les aires géographiques ayant été particulièrement touchées durant la sécheresse. En 1977, le BRGM publie un bulletin de situation et de prévision des ressources en eau, qui devient interministériel l’année suivante, sous le nom de Situation Hydrologique et Prévisions de basses eaux. Trimestrielle, cette lettre présente l’état et les prévisions de niveau des principales nappes du territoire.

1.6.6 Revolution Verte : les eaux souterraines au service de l’aménagement du

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