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Inclusivité et exclusivité définitionnelle au prisme des modèles d’analyse de l’écologie des groupes professionnels l’écologie des groupes professionnels

assurant des missions de service public par le récit et par le nombre

2.1. Comment définir la population face à l’absence de statut précis et de décompte définitif.décompte définitif

2.1.3. Inclusivité et exclusivité définitionnelle au prisme des modèles d’analyse de l’écologie des groupes professionnels l’écologie des groupes professionnels

L’absence de réalisation de liste de recensement à certains échelons implique pourtant de poser de manière claire les problématiques de définition des spécialistes des eaux souterraines. Des décisions doivent être prises quant à savoir si des agents peuvent être identifiés de manière fiable par les institutions dans lesquelles ils travaillent, par le type et la durée de leurs études. Diverses questions doivent être posées. Les enseignants doivent-ils être considérés ? Doit-on inclure les employés de la section administrative d’une organisation dédiée aux eaux souterraines ? Quid des personnes ayant reçu une formation mais qui ne travaille pas sur le sujet à proprement parler au moment T ? Comment considérer les personnes dont le temps de travail n’est pas complètement consacré aux eaux souterraines ?

Dans les deux pays, l’accès à la position de spécialiste de l’hydrogéologie dans un service issu de l’administration publique est sanctionné par de multiples barrières : possession d’un diplôme reconnu, candidature à un processus de sélection sur concours (voie externe) ou titularisation sur dossier, après plusieurs années de carrière dans une administration publique sur contrat (voie interne). Ce parcours ne prévoit aucune forme de reconnaissance de la compétence si celle-ci n’a pas été attestée par les institutions. On réalise cependant qu’un tel travail de définition de la population d’intérêt, en ne considérant qu’un noyau dur et restrictif, demeurerait insuffisant. L’optique d’une définition plus exclusive qu’inclusive présente un risque : laisser hors du cadre les hydrogéologues ne répondant pas à l’ensemble des conditions présentées plus haut, dont les actions sont pourtant tout autant susceptibles de s’inscrire dans les politiques publiques. La population considérée varie suivant ses structures d’emplois, mais aussi suivant ses activités, ou la représentation, idéale ou réaliste, que l’on

185 s’en donne. L’hydrogéologue peut exercer en université, pour le compte de l’ État ou des collectivités locales. Bien qu’actif dans le secteur privé, un hydrogéologue peut en France recevoir un agrément de l’État visant à émettre son avis éclairé quant à l’utilité publique d’un captage. En France, les hydrogéologues exerçant dans le secteur privé sont estimés à un millier. Ils officient dans les entreprises de géothermie, de stockage des déchets, dans les domaines de l’exploration minière et pétrolifère. Ils sont parties-prenantes des politiques publiques, bien que difficiles à atteindre. On ne peut en donner meilleure illustration que l’existence des millions de puits construits et maintenus dans une invisibilité relative. Construits et maintenus en-dehors des circuits de contrôle étatique, ces puits contournent la législation tout autant qu’ils suscitent de nouveaux outils de contrôle et de réglementation. Les archives, rapports, entretiens, textes de loi, qui forment et informent l’hydrogéologie publique sont émaillées de mentions d’actifs œuvrant dans le domaine des eaux souterraines, situés hors des cercles administratifs : liés par une division du travail organique dans la réalisation des tâches, mais sans que cette proximité justifie une identification commune.

En France, l’hydrogéologue des collectivités locales ne réalisent que très rarement les études hydrogéologiques, commandées à des bureaux d’étude pour lesquels il réalise un cahier des charges. En Inde, ce phénomène, moins étendu, n’est pas non plus réduit à une portion négligeable : les études sont réalisées au sein du CGWB mais peuvent être également sous-traitées auprès de consultants extérieurs. La population de référence présente une cartographie éparse qui doit être prise en compte pour l’étude de l’écologie des politiques publiques consacrées aux eaux souterraines. Sans analy se de cette cartographie, c’est tout un pan d’activités que l’on se prive d’observer si l’on se limite à considérer ce groupe professionnel comme une structure corporative.

2.1.3.1.De la structure corporative au groupe professionnel

On trouve une tradition d’analyse restrictive des activités sous l’angle de la profession dans la littérature dès De la division du travail social : bien que le modèle de la corporation médiévale ne subsiste plus à l’époque de Durkheim, l’auteur le considè re comme un garant d’une éthique professionnelle. Il réapparait également avec une série de travaux inspirés de Parsons et Merton, qualifiée par Jean-Michel Chapoulie de « théorie fonctionnaliste des professions ».

Par profession établie, on entend les catégories de métiers au statut social élevé, dont les référents les plus courants sont les professions libérales de la médecine et du droit. Au début du XXe siècle, le terme est utilisé pour des professions qui ont développé un ensemble de caractéristiques spécifiques : certification stricte, monopole d’exercice de certaines fonctions, ainsi que la délégation par le pouvoir

186 judiciaire d’une partie du contrôle des praticiens par leurs pairs. Dans cette approche, le concept de profession établie s’articule à celui de « professionnalisation », qui désigne le processus selon lequel un corps de métier tend à s’organiser suivant le stéréotype social des professions établies. La professionnalisation accomplie imiterait ainsi les formes particulières de professions libérales spécifiques : un monopole réservé des tâches qui repose sur des compétences techniques ; une formation certifiée ; le contrôle par les pairs de la qualité et de l’éthique des activités (Hughes, 1996).

Cette approche, depuis critiquée pour son caractère normatif et téléologique (tout groupe professionnel tendrait à progresser suivant le modèle des professions libérales médicales et juridiques, sous peine de n’être qu’une semi-profession non aboutie) laisse peu de place à la contingence et aux régressions d’acquis. La professionnalisation est un processus d’émulation qui ne peut être complètement transposé pour les métiers insérés dans des organisations bureaucratiques, qui ne possèdent pas les caractéristiques d’urgence dramatique comme les profess ions médicales ou les avocats. Appréhender ainsi des professions par l’intermédiaire de caractéristiques des professions établies qu’elles ne possèdent pas revient à statuer de l’incomplétude de leur organisation. Déduire d’une description idéal-typique des formes d’exercices et d’organisations du travail qui seraient logiquement nécessaires, in fine, ne conduit qu’à qualifier une grande majorité d’occupations de semi-professionnelles. Chapoulie écrit ainsi qu’il est facile de mettre en évidence qu’aucun métier ne s’approche du modèle des professions établies, en y incluant également les métiers considérés par les fonctionnalistes comme des professions établies per se. Les activités des agents présentés comme appartenant à une même communauté professionnelle médicale présentent de très fortes disparités en fonction de la position hiérarchique, sociale, géographique, etc., dans le secteur d’activité. Un médecin ajuste ainsi sa pratique et le prix de ses prestations en fonction de l’appartenance sociale de ses patients. Les disparités économiques et symboliques sont fortes, entre le médecin de campagne et le professeur cumulant des activités en salarié du milieu hospitalier ainsi qu’en indépendant dans un cabinet de ville. L’inadéquation du modèle fonctionnaliste est encore plus évidente pour décrire d’autres professions, notamment celles des classes inférieures : exigences de formation, prétentions salariales, et modes de revendication corporatistes, diffèrent complètement du stéréotype social des professions aspirationnelles des classes moyennes (Rueschemeyer, 1964).

2.1.3.2. Organisation et juridiction des hydrogéologues en tant que groupe professionnel : démonstration par le cas liminaire des sourciers

A rebours d’un courant qui s’attache à définir de manière précise le concept de profession, les travaux d’Abbott optent pour une définition large : celui de groupes professionnels exclusifs possédant un

187 bagage de connaissances plus ou moins abstraites pour réaliser des tâches définies sur des situations précises. C’est la détention du corpus de connaissance qui permet aux individus de faire valoir leur monopole d’activité et leur juridiction (Abbott, 1988).

Dans plusieurs situations étudiées, il arrive que les hydrogéologues émettent le souhait d’une plus large autonomie vis-à-vis des parties prenantes et de l’administration, suivant l’idée que la gestion des eaux souterraines devraient résulter de leurs compétences exclusives. Ce désir d’autonomie est une revendication que l’on retrouve parmi d’autres corps de métiers. Il s’exprime suivant des récriminations classiques quant au manque de latéralité : supervision par des personnes qui ne connaissent rien au métier et ne devraient pas s’y mêler, prétention des parties-prenantes à connaître le sujet mieux que les spécialistes, obstruction à l’exercice pur et simple du métier, etc.

La défense d’une juridiction au nom de l’argument d’une compétence scientifique n’est pourtant pas toujours recevable. Justifier de son utilité n’est parfois pas chose aisée quand le public disp ose d’une alternative qu’il juge à-même de réaliser les mêmes services. L’hydrogéologue est, parmi d’autres, un scientifique qui doit parfois faire valoir son expertise face aux tenants du parascientifique et des pseudo-sciences.

Intégrer les sourciers dans notre cartographie pour les considérer comme des compétiteurs valables peut faire sourire. Les anecdotes sur ces acteurs qui prétendent pouvoir sentir l’eau sous la terre reviennent cependant souvent dans les témoignages. Elles prennent parfois la forme d’une mention amusée et surprise face à la résurgence du paranormal dans la routine. La figure du sourcier n’en manque pas moins de susciter plus une forme de curiosité qu’un rejet pur et simple. C’est le cas par exemple pour un hydrogéologue responsable d’équipe en France, qui accorde une relative efficacité aux sourciers sur les cas précis des nappes peu profondes. La contradiction entre science et magie est résolue dans ses propos par l’usage peu défini du terme « énergie », dans le sens d’un courant hypothétique que le sourcier serait capable de percevoir de manière sensible :

« Pour les aquifères peu profonds je peux à la rigueur reconnaître une forme d’expertise chez eux, parce

qu’il y a une forme d’énergie qu’ils peuvent ressentir. Il y a certainement un courant énergétique produit par l’eau et ils cherchent à se concentrer là-dessus. Mais je ne pense pas que les sourciers soient capables de percevoir cette énergie dans le cas des nappes profondes, car ils ont besoin de relier leur énergie à celle de l’eau en se tenant à la surface du sol. C’est de manière basique [sic] une simple question de fusion des énergies qui pourraient être à l’œuvre. »

En Inde, un ancien directeur de structure, aujourd’hui retraité, évoque avoir rencontré à de multiples reprises des sourciers au cours de ses différents transferts géographiques. Une anecdote précise

188 montre qu’il n’invalide pas les capacités des sourciers dans leur intégralité, mais sur des points particuliers :

« Dans mes interactions avec les devins de l’eau j’ai vu qu’ils n’étaient pas capables d’établir un

pronostic sur la qualité de l’eau. Ils ne savent pas dire si l’eau est bonne, contaminée au fluor ou par les intrusions salines. Peut-être parce que le courant d’énergie répandu par l’eau reste le même, quel que soit sa qualité. C’est une simple supposition de ma part. »

Si les sourciers ne sont pas capables de ressentir de manière sensible la différence entre une eau impropre à la consommation et une eau pure, cette affirmation valide en revanche l’idée qu’ils sont capables de déceler des ressources souterraines. Dans cette logique, une partie des prétentions des sourciers leur est reconnue.

Mais les rapports entre hydrogéologues et sourciers peuvent aussi s’exprimer sous des tonalités moins pacifiées. Il peut s’agir d’une exaspération quand un élu municipal propose de faire appel aux pouvoirs magnétiques d’un des membres de sa famille pour trouver un nouveau point d’approvisionnement. Ou bien d’une inquiétude plus profonde face aux nombreux cas de fermie rs crédules et endettés qui se retrouvent avec un forage infructueux. Ici, la relation entre praticiens légitimes et adeptes franc-tireur de méthodes parascientifiques n’est pas pleinement abordée sans évoquer leur public mutuel, susceptible de faire confiance aux sourciers.

Faire appel à la magie plutôt qu’à la science est un choix que l’on peut aisément qualifier de peu rationnel. Les conclusions deviennent moins tranchées si l’on rapporte les fonctions du sourcier et de l’hydrogéologue à leur dimension la plus basique : trouver depuis la surface de l’eau souterraine. C’est sur cette capacité à répondre à ce service que se joue la juridiction des uns et des autres. On constate ainsi que certains contextes hydrogéologiques permettent aux sourciers de rendre ce service d’une manière qui, d’après les usagers, semble presque aussi efficace que les hydrogéologues. Passer par un sourcier consiste ainsi un choix rationnel qui est le résultat d’une transaction entre risques et avantages perçus.

Un hydrogéologue indien spécialisé dans la localisation de forages pour les agriculteurs nous explique ainsi que ses services, jugés onéreux, sont peu sollicités par ces derniers. Les fermiers peuvent parfois le solliciter durant les périodes suivant des catastrophes nature lles, lorsque les autorités locales leurs accordent des subventions pour creuser de nouveaux puits afin de limiter les risques de contamination par l’eau. Mais dans des périodes de routine, l’hydrogéologue et ses collègues font face à la méfiance des fermiers et doivent désarmer leurs idées préconçues concernant les tarifs pratiqués par le département. Il est parfois difficile de convaincre les clients potentiels quand des sourciers, adeptes de connaissances parascientifiques, leur propose un service similaire pour une somme inférieure :

189 « Le nombre de consultations varie. Les paysans viennent nous voir quand ils disposent de subventions

ou de prêts. Durant la dernière période post cyclone, on a pu construire plus de 200 puits, le département était débordé. Maintenant, je ne peux pas vous dire précisément. Pour tout l’État de […] nous sommes huit hydrogéologues, trois femmes et deux hommes à couvrir plus de trente districts. Pourtant dans de nombreux districts, le public ne vient pas car il n’a pas confiance. Ils craignent que cela soit cher […]. Même quand je propose aux fermiers de leur expliquer les objectifs de mon enquête de prospection électrique, ils sont réticents à m’écouter. Pourtant, les prix ne sont pas inaccessibles. Il en coûte 500 roupies INR pour un puits destiné à l’irrigation, 1000 roupies INR pour un puits avec un autre usage, avec une somme en plus pour l’essence […]Les gens préfèrent faire appel aux doshi111. Ils sont un peu moins chers que nous comme ils ne demandent pas de frais d’essence. Ils utilisent des pendules, des noix de coco qu’ils sentent vibrer quand ils se trouvent au-dessus d’un point d’eau… ils le font parfois aussi avec des clés suspendues, comme pour un pendule. J’essaye de leur dire que ces pratiques ne sont pas du tout fiables, que s’ils font confiance au sourcier ils risquent de perdre énormément d’argent s’ils creusent à un endroit qui ne produit pas. Mais ils me répondent qu’ils font confiance au sourcier et à leur propre flair, qu’ils connaissent leur terrain… qu’ils n’ont pas besoin de payer 500 roupies supplémentaires… et ils commencent à creuser à 50 mètres… puis jusqu’à 100 mètres. Ils risquent de tout perdre, bien plus que 500 roupies. »

D’après les entretiens, les sourciers et autre devins locaux prouvent leur légitimité auprès du pu blic par des résultats positifs en dépit du caractère parascientifique de leurs protocoles, qu’il s’agisse de la chaîne de cuivre d’un pendule entrant en rotation quand le sourcier a sous ses pieds un sous-sol censé regorger d’eau, ou bien des signes supranaturels déchiffrés par les astrologues. Les arguments évoqués montrent qu’ils officient généralement dans des zones où la géologie est sédimenteuse. L’eau s’y trouvant facilement, les chances de trouver un bon emplacement de forage par hasard sont fortes : la méthode utilisée à beau être erronée, le client qui aura fait appel au fermier voit sa demande satisfaite.

L’hydrogéologue souligne de manière lapidaire qu’une proportion importante de sa clientèle est constituée de fermiers ayant eu une déconvenue après avoir fait appel à des méthodes parascientifiques : « les gens malchanceux sont ceux qui finissent par venir nous consulter après le

sourcier ». Une autre partie de la clientèle développe des stratégies d’ajustement étonnantes entre

méthodes scientifiques et magiques, en distribuant les coûts d’expertise : « parfois des gens font appel

111 Expression locale pour qualifier les sourciers. On retrouve dans les entretiens une variante hindi, le

jyotish. Si ces appellations renvoient également à un contexte magique ou astrologique, les méthodes

parascientifiques utilisées mettent en avant la vibration d’objets divers tenus par le sourcier. A noter que ces sourciers empruntent également à un certain empirisme : un certain type de végétation, des masses rocheuses, serviront tout autant d’indice à la présence d’eau souterraine que le magnétisme prétendument ressenti.

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à un astrologue ou à un sourcier pour une certaine portion de leur terre. Puis ensuite ils nous appellent. C’est une manière de ne pas mettre les œufs dans le même panier.»

L’exemple liminaire de la présence des sourciers aux marges du groupe des hydrogéologues souligne de manière frappante la nécessité de ne pas réduire la compréhension de l’acceptation des praticiens par la seule maîtrise d’un cursus établi. Loin de se limiter à la détention d’un diplôme, le monopole d’activité est un exercice constant de recherche de validation sociale.

2.1.4. Les pratiques auto-définitionnelles : identification, regroupement et

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